Questionnaire de ressources et cristallisation de la pension de réversion

Qu’en est il de la cristallisation de la pension de réversion, alors qu’une demande de retraite personnelle doit obligatoirement s’accompagner d’un questionnaire de ressources afin que l’assuré complète ses revenus, avec une cristallisation de la pension de réversion doit être fixée entre 60 et 62 ans selon la date de naissance de l’assuré ?

Article :

Il convient de s’intéresser à la question spécifique du questionnaire de ressources dans le cadre d’une demande de pension de réversion ,

Il convient aussi et surtout de s’intéresser à la validité des formulaires de questionnaire de ressources proposés par les Caisses,

Ce sujet est d’autant plus d’actualité que la question des retraites demeure au cœur des préoccupations financières, non seulement de tout un chacun, mais encore et surtout de l’Etat lui même et de ses organismes,

Il arrive qu’il y ait des désaccords sur les droits obtenus d’autant plus qu’il n’est pas rare de constater que les modalités ne sont pas forcément respectées par les organismes de retraite en charge de procéder aux vérifications d’usage du questionnaire de ressources,

Il convient de rappeler que la pension de réversion correspond à une partie de la retraite dont bénéficiait ou aurait pu bénéficier l’assuré décédé .

Elle est servie sous certaines conditions à l’époux survivant.

La  pension de réversion peut  fait l’objet de révision.

Cette révision est strictement réglementée à travers les dispositions de l’article R 353-1- 1 du Code de la Sécurité Sociale qui prévoit :

« La pension de réversion est révisable en cas de variation dans le montant des ressources, calculé en application des dispositions de l’article R. 353-1, dans les conditions et selon les modalités fixées aux articles R. 815-20R. 815-38, R. 815-39 et R. 815-42.

La date de la dernière révision ne peut être postérieure :

  1. a) A un délai de trois mois après la date à laquelle le conjoint survivant est entré en jouissance de l’ensemble des avantages personnels de retraite de base et complémentaire lorsqu’il peut prétendre à de tels avantages ;
  2. b) A la date à laquelle il atteint l’âge prévu par l’article L. 161-17-2, lorsqu’il ne peut pas prétendre à de tels avantages. »

Il est résulte que la cristallisation de la pension de réversion doit être fixée entre 60 et 62 ans selon la date de naissance de l’assuré conformément au tableau fixé par les circulaires en question.

Cette dernière révision est importante car elle permet de fixer de manière quasi définitive le montant de la pension de réversion.

Toutefois, la pratique laisse à sérieusement penser que les différents caisses adressent un questionnaire de ressources aux assurés au-delà de la date de cristallisation prévue par le texte, de telle sorte que les informations sont pas nature tronquées,

En effet, les personnes interrogées établissent leur réponse en prenant comme point de repère la date d’émission et d’envoi du questionnaire de ressources lequel n’est pas forcément conforme au délai de trois mois pourtant prévu par les textes.

Dès lors, force est de constater que les caisses ne respectent pas les délais requis,

Mais surtout, ce non respect des délais est lourd de conséquences puisque cela peut impacter très sérieusement les calculs des droits, générer des demandes de remboursement, voire même entrainer l’annulation du versement de ladite pension de réversion, au grand préjudice des personnes bénéficiaires,

Ainsi, si nous prenons pour exemple, le cas d’un assuré bénéficiant de l’ensemble de ses droits à 60 ans et recevant un questionnaire sur ses ressources à 65 ans, la caisse pourrait très bien se rendre compte que l’assuré bénéficie depuis 60 ans d’une retraite complémentaire qu’elle n’a pas prise en compte dans ses calculs, ce qui l’amènerait à effectuer une révision et à générer une créance qu’elle pourrait réclamer à son assuré.

Dans certains cas, la caisse n’a pas de scrupules à solliciter l’annulation de la pension de réversion.

Il est important de savoir que ces créances qui peuvent être réclamées en remboursement d’un trop perçu peuvent atteindre des montants importants pouvant aller jusqu’à 10 000 euros, si ce n’est plus,

La pratique démontre qu’afin de réduire ces difficultés, il n’est pas rare de constater que les caisses renvoient la discussion devant la Commission de Recours Amiable qui diminue la dette jusqu’à 50%.

Donnant presque l’impression qu’a travers ce « rabais » l’erreur pourtant commise par la Caisse serait plus supportable.

De plus, il est à noter que les pratiques ne sont pas égales entre les Caisses  ce qui est discriminatoire pour les assurés suivant leur lieu de résidence !

Pour autant, ce raisonnement est naturellement tronqué,

La réalité est qu’il appartient aux caisses de respecter les délais fixés par l’article R 353-1-1 du Code de la Sécurité Sociale

A défaut, il appartient à l’assuré de faire valoir ses droits et de saisir en tant que de besoin la juridiction compétente pour s’assurer que la dernière révision des droits est calculée sur des bases légales et ce dans le délai fixé par la loi.

A cette fin, il convient de citer une réponse du Ministère des affaires sociales et de la santé publiée au Journal Officiel du Sénat en février 2017 et parfaitement d’actualité, savoir :

« La pension de réversion définie à l’article L. 353-1 du code de la sécurité sociale est attribuée sous conditions de ressources.

En raison des ressources prises en compte, qui peuvent être de nature très diverse, le formulaire de demande peut apparaître relativement complexe et c’est la raison pour laquelle il est accompagné d’une notice, afin d’en faciliter la compréhension.

En outre, les assurés peuvent contacter leur caisse en cas de difficulté persistante, afin de les aider à compléter ce formulaire.

D’une manière générale, le Gouvernement s’attache à améliorer régulièrement le contenu des formulaires pour les rendre les plus clairs possibles.

À cet égard, un réexamen du formulaire de demande de réversion est notamment en cours par les caisses nationales d’assurance vieillesse, afin d’en renforcer la compréhension par les assurés.

Par ailleurs, en application de l’article R. 353-1-1 du code de la sécurité sociale, la pension de réversion est révisable en cas de variation dans le montant des ressources, à la hausse ou à la baisse, à chaque évènement porté à la connaissance de la caisse de retraite, notamment par l’assuré lui-même ou à l’occasion de l’attribution d’un autre avantage (droit personnel de retraite le plus souvent).

Toutefois, le montant définitif de la pension de réversion est fixé dans le régime général : soit trois mois après la date d’effet du dernier avantage viager attribué ; soit à compter du premier jour du mois qui suit l’âge légal de l’ouverture des droits à la retraite du demandeur, s’il ne peut pas bénéficier d’autres avantages viagers.

Préconisée en 2004 par le Conseil d’orientation des retraites et instituée par le décret du 23 décembre 2004, cette règle dite de « cristallisation » de la pension de réversion a pour objectif de permettre aux conjoints survivants d’avoir une visibilité sur leurs ressources au cours de leur retraite et de stabiliser leur situation dans le temps.

L’application de la règle de cristallisation trois mois après la date d’effet du dernier avantage viager attribué suppose que la caisse soit informée de la date à laquelle l’assuré est entré en jouissance de tous ses avantages personnels de retraite de base et complémentaire et du montant de ceux-ci.

C’est pourquoi les caisses sensibilisent les assurés sur la nécessité de les informer de tout changement de situation et leur envoient par ailleurs des questionnaires périodiques.

Lorsque la caisse révise le montant d’une pension de réversion à la suite d’une modification des ressources que l’assuré n’a pas signalée immédiatement, elle peut être conduite à récupérer des sommes indûment versées.

La demande de remboursement d’indu est pratiquée dans le respect de la prescription biennale prévue à l’article L. 355-3 du code de la sécurité sociale, sauf en cas de fraude ou de fausse déclaration.

Enfin, en cas d’erreur de l’organisme de retraite et de bonne foi de l’assuré, aucun remboursement d’indu n’est réclamé lorsque les ressources de l’intéressé sont inférieures au plafond de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA).

Lorsque ces ressources sont comprises entre le plafond de l’ASPA et le double de ce plafond, la commission de recours amiable est saisie avant tout remboursement d’indu en vue d’une remise de dette et d’un échelonnement de remboursement éventuels ».

Il est de ce fait certain que les Caisses ne sensibilisent pas les assurés puisqu’elles appliquent sans scrupule des suspensions, annulations, indus, 5 ans après avoir laissé les assurés bénéficies de droits sans connaître les ressources complémentaires dont ils ont connaissance.

Cela est vivement contestable,

Encore plus lorsque les Caisses elle même se fondent sur des formulaires incomplets et amenant justement à l’erreur la personne concernée,

Cette pratique est vivement contestable,

D’autant plus que la notion même de « droit à l’erreur » a été consacrée dans la Loi sur « un Etat au service d’une société de confiance »,

Il n’en demeure pas moins que la cristallisation de la pension de réversion doit être établi sur la base d’un questionnaire de ressources clair,

Si la Caisse ne fournit pas l’imprimé règlement signé et certifié par le Conseiller retraite, il y a lieu d’en conclure que le questionnaire de ressources n’est pas valable,

Bien souvent, les informées sur le questionnaire de ressources ne sont ni validées, ni tamponnées et signées par le conseiller retraite,

Bien plus, il apparaît que certains envois de questionnaire de ressources ne sont accompagnés d’aucun document l’informant l’assuré de son obligation de déclarer ses ressources,

Or, tout dépôt d’une demande de retraite personnelle doit s’accompagner d’un questionnaire de ressources afin que l’assuré complète ses revenus, et ce, avec des précisions suffisantes par la Caisse afin que l’assuré ait parfaitement conscience de son obligation de déclarer ses ressources,

En tout état de cause, il appartient à l’assuré de faire valoir ses droits et de s’opposer aux pratiques irrégulières des caisses qui ne fournissent pas nécessairement le questionnaire de ressources au bon moment, et de manière incomplète, ce qui peut, impacter considérablement la cristallisation de la pension de réversion,

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

 

 

 

Résiliation du bail commercial et assignation à jour fixe, quel salut ?

Un preneur a bail commercial qui n’a pas payé ses loyers et qui est frappé d’une ordonnance de référé définitive constatant l’acquisition de la clause résolutoire et l’expulsion de ce chef peut-il sauver son bail en payant les loyers et en assignant à jour fixe le bailleur ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour d’Appel d’Aix en Provence en avril 2018 qui vient aborder le sort du locataire commercial alors que le bail commercial a été résilié, le locataire ne payant pas ses loyers et la clause résolutoire ayant été acquise par décision du juge des référés, le locataire ayant fait le choix « malheureux » de ne pas se défendre à cette instance,

 

La question était de savoir quel échappatoire avec le preneur à bail commercial pour sauver son bail alors qu’une ordonnance de référé, désormais définitive, avait prononcé l’acquisition de la clause résolutoire et l’expulsion de plein droit de tout occupant de son chef,

 

Dans cette affaire, le 28 octobre 2013, Monsieur X avait fait l’acquisition d’un fonds de commerce de restaurant et donné à bail commercial pour 9 ans à compter du 1er octobre 2009 par une SCI, ladite SCI propriétaire des murs,

 

En l’état d’impayés de loyers et d’une absence d’exploitation temporaire du locataire, le bailleur fait délivrer, le 14 mars 2016, un commandement visant la clause résolutoire relative aux charges impayées en 2015, à des loyers de févriers et mars 2016 et aux fins d’avoir à justifier de l’attestation d’assurance et de l’exploitation des locaux, ces derniers étant fermés.

 

Par la suite, ce même bailleur apprend en se rendant inopinément sur place, que Monsieur X avait concédé le 1er avril 2016 (ce n’est pas un poisson), et pour deux ans l’exploitation du fonds en location gérance à Monsieur G.

 

Par la suite, le bailleur a assigné Monsieur X, locataire, devant le juge des référés,

 

Pour autant, et pour des raisons qu’on ignore, le locataire n’a pas pu, ou n’a pas cru, se présenter ou se faire représenter,

 

C’est dans ces circonstances que par ordonnance de référé en date du 5 octobre 2016, le Président du Tribunal de Grande Instance de Draguignan a résilié de plein droit le bail commercial, par acquisition de la clause résolutoire le 15 avril 2016, et a ordonné l’expulsion de Monsieur X, nonobstant sa condamnation au paiement d’une somme provisionnelle de 19 925,86 euros.

 

Cette décision a été signifiée et est donc devenue définitive, faute pour Monsieur X d’avoir frappé de recours la décision en litige,

 

Le bail commercial serait il alors perdu pour toujours ?

 

Pas nécessairement…,

 

Monsieur X tente une approche différente afin de sauver son bail commercial,

 

Il s’est fait autorisé, par ordonnance du 16 mars 2017, à assigner à jour fixe le bailleur devant le Tribunal de Grande Instance afin d’obtenir la suspension des effets de la clause résolutoire et des délais de paiement.

 

Cette tentative a échoué en première instance,

 

Par jugement du 1er juin 2017, le Tribunal de Grande Instance a rejeté cette demande de suspension des effets de la clause résolutoire, a constaté l’acquisition de la clause résolutoire du bail commercial à la date du 15 avril 2016, ordonné l’expulsion de Monsieur X et l’a condamné au paiement de la somme de 6 952,36 euros correspondant au solde de l’indemnité d’occupation due au jour de la décision rendue et ce au bénéfice de l’exécution provisoire.

 

Monsieur X a relevé appel de ce jugement.

 

A ce stade, il n’échappera pas au lecteur attentif que dans le cadre de cette procédure à jour fixe de dernière minute, Monsieur X avait pris soin d’accompagner son action salvatrice d’un certain nombre de paiement visant à réduire comme peau de chagrin la créance des loyers dus.

 

Cette démarche, peut-être inopérante sur le terrain juridique demeurait bien pensée sur le terrain économique,

 

Pour autant, le bailleur n’a pas manqué de faire preuve de résistance et a naturellement contesté les prétentions de Monsieur X, au motif pris notamment de ce que la créance de loyers, malgré les efforts conséquents n’était toujours pas soldée,

 

Et que par ailleurs, plusieurs violations au bail commercial ont été constatées.

 

Le bailleur faisait notamment valoir que le commandement de payer était parfaitement régulier ,

 

Bien plus que les infractions constatées étaient toujours d’actualité et notamment que la location gérante était irrégulière, et ce, à double titre,

 

En premier lieu, elle n’était pas autorisée par le bailleur,

 

En deuxième lieu, le locataire gérant n’était toujours pas inscrit au Registre du Commerce et des Sociétés outre que son accord n’a pas requis.

 

En troisième lieu par le locataire gérant, personne physique tel qu’il en résultait du contrat de location gérance litigieux, avait pris soin de se faire substituer par une société finalement crée, alors que ni le bail commercial litigieux, ni le contrat de location gérance ne prévoit de faculté de substitution.

 

En quatrième lieu parce que par dessus tout, le locataire gérant, fut-ce t’il personne physique ou personne morale, avait eu, en sus, l’outrecuidance de procéder à des installations non autorisées par ledit bail commercial,

 

L’ensemble de ses arguments juridiques amenaient le bailleur à penser qu’il obtiendrait, au fond, la confirmation de la décision obtenue au seul stade des référés,

 

Pour autant la Cour ne partage pas cet avis.

 

Dans un premier temps, elle confirme que le commandement de payer est parfaitement valable,

 

Qu’aux termes de ce commandement de payer visant la clause résolutoire, au titre du paiement des loyers de février et mars 2016 ainsi que d’un arriéré de charges de 2015, il était imparti un délai d’un mois à la locataire pour s’acquitter de la somme en principal de 3 991,96 euros.

 

Or, il est dans un premier temps constant qu’aucun règlement n’est intervenu de la part de Monsieur X dans le délai du commandement de payer,

 

Suivant ce raisonnement, la Cour constate que la clause résolutoire est acquise, le jugement étant dès lors confirmé en ce qu’il a constaté la résiliation du bail par l’effet de la clause résolutoire.

 

Pour autant, l’effort fait par Monsieur X sur le terrain économique, pendant le temps de la procédure au fond, fut-ce t’elle à jour fixe, semble être payant,

Puisque Monsieur X a réglé dans le même laps de temps plus de 23 588,810 euros, ce qui a permis de solder l’ensemble des causes du commandement de payer ainsi que les créances ultérieures, générées depuis lors,

 

De telle sorte qu’au jour ou la Cour s’exprime, la dette est quasiment soldée,

 

Au regard de ces éléments, la Cour considère qu’il y a matière à accorder à Monsieur X des délais courant du 15 avril 2016 au 31 mars 2017 (date à laquelle la cause locative du commandement de payer est soldé) pour s’acquitter de sa dette locative et justifier d’une attestation d’assurance,

 

La Cour ordonne alors la suspension des effets de la clause résolutoire pendant le cours des délais accordé.

 

Elle constate qu’à la date du 31 mars 2017, Monsieur X s’est acquitté des causes du commandement du 14 mars 2016 visant la clause résolutoire et a justifié d’une assurance des locaux de telle sorte que la clause résolutoire ne peut plus jouer passé cette date,

 

Dès lors, Monsieur X conserve et sauve son bail commercial,

 

Cependant, se posait toujours la question de la location gérance mise en place in extrémis par Monsieur X qui semblait dans l’impossibilité d’exploiter lui même le local objet du bail commercial,

 

Pour autant, la Cour déboute le bailleur de ses contestations et de ses demandes aux fins de résiliation du bail de ce chef et considère qu’il appartenait au propriétaire de justifier de la poursuite de l’infraction reprochée au locataire au-delà du délai d’un mois imparti par le commandement, poursuite qui ne résulte pas des constatations effectuées le 14 mars et le 15avril 2016 soit dans ce délai et non au-delà.

 

N’ayant pas sollicité le prononcé de la résiliation du bail de ce chef (et pour cause, le bailleur l’ignorait au moment de la signification du commandement de payer), les violations alléguées relatives au contrat de location-gérance, non visées dans le commandement de payer, sont en conséquence sans objet.

 

Cela peut malgré tout sembler contestable car dans la mesure ou le preneur à bail commercial avait assigné à jour fixe devant le Tribunal de Grande instance statuant au fond, et non plus dans le cadre d’une procédure de référé, le bailleur était en droit de solliciter, non plus que soit acquis la clause résolutoire tel que découlant du commandement de payer, la résiliation du bail commercial aux torts du locataire principal,

 

Pour autant, la Cour d’appel ne retient pas cette argumentation et ce, pour deux raisons,

 

En premier lieu, sur le terrain juridique, si le contrat de bail commercial interdisait la cession ou la sous location du bail commercial, rien n’est prévu quant au contrat de location gérance,

 

En deuxième lieu, sur le terrain économique, la Cour semble avoir des « scrupules » à prononcer la résiliation du bail commercial alors même que le preneur à bail, nonobstant les difficultés rencontrées a fait au mieux pour régler la créance de loyers et finir à jour de ses dettes locatives devant la Cour,

 

Cette stratégie du locataire principal, qui a rencontré des difficultés et qui subit les conséquences juridiques d’une ordonnance de référé ou il n’a pu se défendre est judicieuse,

 

En effet, nonobstant le non paiement de loyers et l’obtention d’une ordonnance de référé désormais définitive, l’assignation à jour fixe visant à obtenir la suspension des effets de la clause résolutoire accompagnée d’une demande de délais de paiement s’avère, dans ce cas d’espèce, efficace,

Cette stratégie permet sinon en droit mais plutôt sur un terrain purement économique de démontrer les efforts faits par le locataire pour rattraper une situation qu’il a lui même générée.

 

Cette décision n’est pas satisfaisante sur le terrain juridique.

 

Il convient de rappeler qu’entre l’arrêt rendu par la Cour d’Appel en avril 2018 et les causes du commandement de payer remettant à mars 2016, plus de deux ans se sont écoulé sans que le bailleur soit assuré d’une parfaite exécution de bonne foi du contrat de bail commercial par le locataire.

 

Cependant sur le terrain économique elle l’est parfaitement,

 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

 

Décompte de créance, saisie immobilière et prescription

Dans le cadre d’une saisie immobilière, le débiteur peut-il contester le décompte de créance annexé au commandement de payer, peut-il solliciter d’autres documents bancaires, et surtout, peut-il se baser sur ce décompte de créance pour contester le TEG et en s’en servant aussi comme point de départ du délai de prescription à 5 ans, lorsque l’obtention du prêt en litige remonte à bien avant ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence en mars 2018 qui vient aborder les moyens que peut opposer le débiteur saisi à l’encontre de l’établissement bancaire notamment sur le décompte de créance,

 

Fort d’un acte notarié de prêt immobilier en date du 24 septembre 2007 et de la défaillance de l’emprunteur, la banque avait fait délivrer à Monsieur G un commandement de payer valant saisie immobilière signifié le 16 décembre 2016 et publié le 6 février 2017 pour paiement de la somme de 961 082,33 euros suivant décompte de créance joint,

 

Ceci fait, la banque a assigné Monsieur G à l’audience d’orientation du Juge de l’exécution près le Tribunal de Grande Instance,

 

Par jugement en date du 13 juillet 2017 le Juge d’orientation avait rejeté la demande de communication de pièces présentée par Monsieur G en sus du décompte de créance fourni, déclaré irrecevable la demande reconventionnelle du chef de responsabilité contractuelle du créancier, débouté Monsieur G de l’ensemble de ses demandes, déclaré irrecevables comme prescrits les moyens de la nullité de la clause de stipulation d’intérêt du délai d’acceptation et a ordonné la vente forcé du bien.

 

C’est dans ces circonstances que Monsieur G a frappé d’appel la décision en litige et une fois de plus la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE vient briller par une sévérité particulière en rejetant l’ensemble des moyens de faits et de droits soulevés par le débiteur afin de contester les prétentions de la banque.

 

Dans le cadre de cette procédure, Monsieur G avait tenté de contester l’exigibilité de la créance de la banque en remettant en cause la validité de la déchéance du terme et ce notamment à la lueur des jurisprudences récentes qui ont été rendues en 2015 qui amènent le débiteur à penser que toute mise en déchéance du terme automatique était parfaitement contestée.

 

Or, la Cour rend une décision sévère,

 

En premier lieu elle considère, au visa de l’article 954 du Code de procédure civile que le débiteur n’a pas suffisamment développé les moyens sur lesquels les prétentions sont fondées.

 

Cela peut quand même sembler curieux dans la mesure où cette argumentation et les développements qui vont de pair ont été prises dans le cadre de ses conclusions de première instance puis reprises dans ses conclusions d’appel,

 

En deuxième lieu, Monsieur G contestait la validité de la déchéance du terme eu égard aux prescriptions de la loi et de la jurisprudence en la matière.

 

Or, la Cour considère qu’il ressort des termes de l’acte notarié de prêt au paragraphe « définition et conséquence de la défaillance de l’emprunteur » :

 

« Est réputé défaillant sans qu’il soit besoin d’adresser une mise en demeure en cas notamment de non paiement à bonne date, d’une quelconque somme due par lui. Le prêteur étant en droit, dans ces circonstances, d’exiger le remboursement immédiat du solde du contrat ».

 

Pourtant, est ce bien conforme à la jurisprudence en la matière ?

 

Pour la Cour, le contrat est sans ambigüité,

 

Il n’est pas contesté que Monsieur G n’a pas pu régler aucune mensualité de prêt depuis l’année 2013 et qu’il n’a pas repris les versements à l’issue du moratoire d’un an accordé au mois de février 2014 dans le cadre de la procédure de traitement de surendettement dont il a déjà bénéficié.

 

Dans ces conditions, la Cour considère que la banque était en droit de se prévaloir de l’exigibilité immédiate de plein droit du prêt sans l’envoi d’une mise en demeure préalable alors même que la jurisprudence est pourtant claire en la matière.

 

Cette décision est curieuse sur ce point,

 

Par ailleurs, le débiteur avait également voulu contester le taux effectif global au motif pris qu’il était erroné, en remettant notamment en cause le décompte de créance fourni aux débats,

Cette argumentation permettait à la fois de contester le décompte de créance proposé par l’établissement bancaire,

 

Tout comme de contester la validité de la saisie immobilière,

 

Pour ce faire cependant, le débiteur a réclamé des éléments complémentaires à la banque, au delà de ce décompte de créance que celle-ci fournit classiquement dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière,

 

En effet, la banque lance sa procédure de saisie immobilière et assigne le débiteur à comparaitre devant le juge de l’orientation sur la base de documents prescrits par la loi, et qui comprennent notamment un décompte de créance,

 

Or la remise du décompte de créance n’est pas nécessairement suffisant et satisfaisant,

 

Bien plus, cela n’enlève rien au fait que le débiteur saisi, qui est considéré comme un paria par l’établissement bancaire, se retrouve sans décompte de créance et sans documents,

 

Le compte bancaire clôturé et l’accès internet aux comptes coupé, le débiteur se retrouve en manque d’information concrète pour pouvoir contester la créance de la banque et notamment vérifier sur les relevés bancaires antérieurs et postérieurs à la déchéance du terme prononcé,

 

Pourtant cette vérification d’usage permettrait de s’assurer que la banque n’a pas privilégié ses frais bancaires astronomiques au détriment du remboursement du prêt,

 

En effet, il n’est pas rare de constater que l’ensemble des frais et pénalités pouvant être pris sur un compte bancaire peut pousser à la déchéance du terme alors que bien souvent le débiteur mis en difficulté aurait pu faire ou a tenté de faire face en rattrapant son arriéré.

 

Ce rattrapage est alors mis à mal par l’ensemble des frais et pénalités qui sont prélevés en premier et qui empêche le débiteur de régulariser la situation dans de bonnes conditions.

 

Or, devant la Cour, Monsieur G avait renouvelé in limine litis sa demande de communication de pièces par la banque et afin d’obtenir divers justificatifs notamment pour obtenir communication d’un certain nombre de documents, savoir :

 

  • Justificatif de décompte de créance et du calcul des intérêts,
  • Justificatif de décompte de créance avec les intérêts année par année.
  • Toute attestation émanant de la banque afin que cette dernière rappelle les modalités de calcul des intérêts annuels sur une base de 360 jours annuel ou sur une base de 365/366 jours annuel.
  • L’offre de prêt et les conditions générales de l’offre de prêt ainsi que le justificatif de la déchéance du terme.

 

Pour autant, la Cour s’y refuse et ne somme pas, avant dire droit la banque de communiquer ces éléments,

 

La Cour s’estime suffisamment renseignée par la banque et considère que l’établissement financier a régulièrement communiqué le décompte de créance qu’il estime propre à justifier du principe du droit et du montant de sa créance et que ces documents sont suffisants pour permettre à la Cour de statuer sur les contestations.

 

Ceci est à mon sens fort regrettable car le propre du débat contradictoire est effectivement d’avoir d’accès aux documents permettant de se défendre dans de bonnes conditions,

 

Or, dans pareil cas, seul le créancier est suffisamment armé pour envisager une saisie immobilière ce qui est fortement regrettable.

 

Ceci d’autant plus qu’il n’est pas rare de constater que dès les premières difficultés économiques, la banque qui prononce la déchéance du terme clôture également le compte bancaire a découvert sur lequel les échéances de prêt étaient prélevées,

 

Cette clôture du compte amène bien souvent la banque à bloquer l’accès internet au débiteur mais pourtant client, qui n’a plus accès à ces informations bancaire et relevés,

 

Rendant le débiteur aveugle, ce dernier n’ayant plus aucune visibilité sur ces comptes, sur ses dettes et les frais et intérêts qui sont générés,

 

Pourtant la remise de ces documents peut avoir de l’importance dans le cadre de la contestation de la déchéance du terme, comme sus-évoqué, tout comme de la contestation du TEG et de la validité de la clause de stipulation des intérêts,

Et ce, à double titre,

 

En premier lieu, pour permettre au débiteur, et au juge saisi, de vérifier si le TEG est erroné,

 

En deuxième lieu, pour décaler le point de départ de la prescription en pareille matière, qui est de 5 ans, en vertu de l’article L312-33 du Code de la Consommation et de l’article 1907 du Code Civil.

 

En effet, le point de départ de cette prescription de 5 ans court, soit à compter du jour de l’acte de prêt, soit à compter du jour où l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître l’erreur ou l’irrégularité qu’il invoque lorsque l’examen de la teneur de l’acte ne permet pas de la constater,

 

Le point de départ de la prescription peut être décalée au jour de la révélation de l’erreur à l’emprunteur.

 

A condition que la banque fournisse un minimum de précision,

A condition que le juge somme la banque de communiquer ces éléments lorsque celle-ci ne les communique pas,

 

Or, dans cette affaire, la Cour considère que la prescription des demandes en déchéance du droit aux intérêts conventionnels et en nullité de la clause de stipulation d’intérêts conventionnels résultant du Taux Effectif Global a commencé à courir à la date de la signature desdits actes.

 

L’offre de crédit ayant été accepté le 5 septembre 2007 et l’acte authentique de prêt ayant été signé le 24 septembre suivant, la prescription était dès lors acquise à la date de la délivrance du commandement de payer valant saisie immobilière signifié le 16 décembre 2016.

 

Dès lors, le débiteur invoque l’irrégularité du TEG figurant à l’acte de prêt en raison de l’absence d’explication des modalités de son calcul et l’erreur affectant le calcul des intérêts annuels déterminés par référence en année bancaire de 360 jours,

 

Bien plus, en tant qu’appelant, il fait grief au premier Juge d’avoir déclaré prescrite sa demande tendant à voir substituer le taux d’intérêt légal au taux conventionnel en faisant courir la prescription quinquennale à compter de la date du prêt alors que la seule lecture de cet acte ne permet pas de vérifier quelque éléments que ce soit au sujet du TEG,

 

La Cour relève que l’acte authentique du prêt immobilier reçu le 24 septembre 2007 reprend les caractéristiques du crédit énoncés dans l’offre de prêt accepté par Monsieur G le 5 septembre précédent pour un montant en capital de 1 038 100 euros dont 760 000 euros devaient être remboursés par les fonds à provenir de la vente d’un bien immobilier dans les 24 mois suivant le versement du crédit en l’état d’un montage au titre d’un crédit relais.

 

Le capital était alors remboursable en 360 échéances mensuelles moyennant un taux d’intérêt initial de 4,27 % l’an et un Taux Effectif Global de 5,54 % l’an dont le mode de calcul est détaillé à l’acte, de même que les charges annexes prises en compte pour le calcul de ce TEG à hauteur de 0,51%.

 

La Cour se contredit complètement,

 

En effet, d’un coté elle considère que la lecture de l’offre et de l’acte notarié ne permet pas de vérifier si, comme le soutient Monsieur G, le taux d’intérêt a été fixé sur une base de 360 jours par an, ce qui affecterait la validité du TEG,

 

Et de l’autre coté, elle considère que les erreurs que le débiteur invoque étaient susceptibles d’être décelées à la lecture de l’offre et du contrat de prêt,

 

De telle sorte que l’appelant ne démontre pas ne pas avoir pu les appréhender au jour de l’offre de prêt ou de l’acte de prêt,

La Cour retient même, et c’est un comble, que le débiteur ne ne démontre pas plus que les erreurs qu’il invoque lui auraient été révélé postérieurement.

 

Et pour cause, la banque se refuse de communiquer quoi que ce soit,

 

Cela est spécieux,

 

La Cour reconnait elle-même que la lecture de l’offre et de l’acte notarié du prêt ne permet pas de conclure que le taux d’intérêts aurait été fixé sur une base de 360 jours ou de 365 ou 366 jours,

 

Dès lors, force est pourtant de constater que l’emprunteur avait accepté cette offre de prêt et réitéré cet acte de prêt dans des conditions obscures, avec un véritable vide juridique et contractuel quant à la définition des modalités de calcul du TEG en question.

 

Bien plus, la Cour d’appel, qui ne se refuse rien, vient même considérer que rien n’empêchait par la suite Monsieur G de soulever la contestation en dehors de ce fameux délai de 5 ans.

 

Cela est véritablement spécieux,

 

Le silence de la banque, et la passivité à cet égard des juges du fond, empêchent le débiteur d’avoir accès à des informations qui permettraient de justement révéler l’erreur,

 

C’est aussi mal comprendre l’argumentation du débiteur qui rappelle en tant que de besoin que conformément au droit de la saisie immobilière le commandement de payer valant saisie immobilière est accompagné d’un décompte de créance.

 

Que ce décompte de créance fait état d’un certain nombre d’intérêts, frais et accessoires lesquels sont vérifiables et peuvent justement cristalliser des erreurs quant à la validité du TEG,

 

Pour autant, la Cour considère que ce décompte de créance ne peut servir de nouveau point de départ de la prescription au motif pris notamment de ce qu’il appartenait à l’emprunteur de rechercher bien avant cela si oui ou non le TEG était erroné,

 

Cela est regrettable,

 

A mon sens, la banque doit fournir les documents qui permettent de vérifier la véracité et la justesse du décompte de créance,

 

En ce considérant suffisamment éclairée par le décompte de créance, la Cour s’exonère d’un « devoir de curiosité » qu’elle oppose pourtant elle-même au débiteur qui aurait du s’interroger et interroger la banque dans les 5 ans de l’obtention du prêt,

 

A cet égard d’ailleurs, la Cour ne précise même pas si pareille démarche aurait eu un quelconque effet interruptif de prescription,

 

Bref, dans cette affaire la Cour s’est fourvoyée en présumant que la banque avait forcément raison et que son décompte de créance était forcément juste,

 

Cela n’est pas acceptable,

 

Fort heureusement, le conseil du débiteur malheureux se doit d’apporter la contradiction sur ce point, et se doit de tout faire pour préserver les droits de l’emprunteur, qui voit ses droits bafoués par la pratique bancaire et judiciaire lorsque celui-ci, du fait des mauvais hasards de la vie, a eu « l’outrecuidance » de ne plus respecter les échéances de son prêt,

 

 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr