Acte authentique et créance indéterminable : l’impossible saisie

Une saisie immobilière peut-elle être engagée sur la seule base d’un acte authentique ayant force exécutoire alors que le solde rendu exigible après la déchéance du terme est augmenté des intérêts échus, des intérêts à courir et surtout de l’indemnité forfaitaire, dits éléments qui ne sont pas nécessairement déterminés dans le cœur de l’acte ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour de Cassation en ce mois de mars 2018 et qui vient aborder la question spécifique du caractère exécutoire d’un acte authentique,

 

En effet, la question est de savoir si oui ou non le débiteur peut contester l’acte authentique pour remettre en cause son caractère exécutoire.

 

Cet acte authentique revêtu du caractère exécutoire est un acte bien pratique pour le créancier qui, en cas de défaillance du débiteur, peut immédiatement engager des mesures d’exécution sans passer par une décision de justice,

 

Il n’échappera d’ailleurs pas au lecteur attentif que la jurisprudence commentée n’a pas été publiée au Bulletin, ce qui laisse quand même à penser que les rares jurisprudences bénéfiques pour les débiteurs et les emprunteurs en difficulté sont diffusés au « compte goute »…,

 

Dans cette affaire, une banque avait consenti un prêt bancaire à une société X par acte authentique, établi par un notaire, et revêtu de la force exécutoire,

 

Le même acte authentique formalisait également l’engagement de caution solidaire des consorts Y,

 

Face à la défaillance de la société X, la banque a fait signifier à l’encontre des consorts Y, cautions solidaires, par acte du 24 décembre 2015, un commandement aux fins de saisie immobilière sur leur résidence principale,

 

La procédure de saisie immobilière est engagée devant la juridiction du Tribunal d’instance de Colmar, ce qui est important car la procédure est spécifique et différente, en l’état de l’application du droit local d’Alsace Moselle.

 

C’est dans ces circonstances que le Tribunal d’Instance de Colmar, par ordonnance du 27 janvier 2016, a ordonné l’exécution forcée de l’immeuble appartenant aux cautions.

 

Les cautions ont alors formé un pourvoi immédiat contre cette ordonnance,

 

Le président du Tribunal d’instance, (car la procédure prévoit cette démarche spécifique) a renvoyé l’affaire la Cour d’Appel.

 

Ladite Cour d’appel ayant fait droit aux prétentions des cautions, la banque s’est pourvu en cassation,

 

Pour motiver son pourvoi, la banque rappelle qu’aux termes de l’article 794-5 du Code de Procédure Civile Locale une créance pour laquelle une vente forcée peut-être ordonnée doit être déterminée et résulter de l’acte authentique en vertu duquel la vente forcée est sollicitée.

 

La banque laisse à penser que tel est le cas,

 

Pourtant, cela est loin d’être acquis,

 

Des lors, le titre exécutoire doit contenir le montant dû conformément à ses dispositions intégrées à l’article L11-5 du Code de Procédure Civile d’Exécution.

 

Qu’il en résulterait dès lors que la somme doit être déterminée et fixée sans élément extérieur et ultérieur à l’acte authentique.

 

Or, la difficulté rencontrée est que l’acte authentique en question et en vertu duquel la requérante avait sollicité la vente forcée du bien des cautions mentionne pourtant les conditions du prêt consenti qui sont par ailleurs reproduites dans un tableau d’amortissement.

 

La banque quant à elle considérait que les éléments constitutifs de la créance, requis par l’article L11-6 du Code Procédure Civile d’Exécution étaient bel et bien présents dans le cœur même de l’acte authentique,

 

Fort heureusement, le débiteur ne l’entendait pas de cette oreille,

 

La caution considérait que la créance invoquée à l’appui de la requête en saisie immobilière ne résultait pas directement de l’acte authentique en tant que tel,

 

Sauf à devoir la déterminer un fois la déchéance du terme acquise dont le solde rendu exigible augmenté des intérêts échus, des intérêts à courir et surtout de l’indemnité forfaitaire calculée sur un solde qui n’est pas encore fixé.

 

Ce décompte de créance est d’importance car l’ensemble des pénalités frais et intérêts viennent très souvent bousculer l’équilibre de la créance pour un débiteur conscient de ses défaillances mais qui n’imagine jamais se retrouver avec une créance aussi importante lorsqu’il regarde le décompte proposé dans le commandement de payer,

 

Ainsi, dans cette affaire, le débiteur, et caution, considérait que seul le commandement de payer qui avait été signifié le 24 décembre 2015 détaillait la somme réclamée qui était, à cette date, de 166 919.05 euros au titre du capital restant dû en principal arrêté au 26 octobre 2015 soit bien après l’acte authentique en question.

 

Dès lors, selon le débiteur l’acte authentique ne pouvait suffire à rendre la créance déterminable.

 

Dans cet arrêt qui n’est pas publié, rappelons le encore, la banque tentait de passer outre cette difficulté en soulignant le fait que c’était seulement en vertu des dispositions applicables au département du Bas Rhin du Haut Rhin et de-là Moselle que la difficulté apparaissait,

 

En effet, elle soutenait que dans la mesure ou le titre exécutoire établi par Notaire portant sur une somme d’argent déterminée contenant une clause de soumission en exécution forcée immédiate à laquelle le débiteur avait consenti, c’était à bon droit que la banque avait requis l’exécution forcée d’un acte authentique à l’encontre de la caution personnelle dans la mesure où cet acte contenait une clause de soumission à exécution forcée immédiate à laquelle toutes les parties avaient consenti.

 

Pour autant, rien ne laissait à penser que cette clause de soumission à exécution forcée immédiate n’empêchait pas le débiteur de contester le caractère exécutoire de l’acte authentique,

 

Ceci d’autant plus que les conditions du prêt consenti étaient reproduites dans l’acte authentique avec le tableau d’amortissement,

 

A bien y croire la banque, les éléments constitutifs de la créance y figuraient bien.

 

Fort heureusement, les débiteurs cautions contestent cette argumentation,

Ils considèrent, à juste titre, que le la somme due au titre de l’engagement de caution résultait essentiellement du décompte de la créance arrêtée au 26 octobre 2015 et était détaillée seulement dans le commandement de payer qui avait été signifiée au débiteur poursuivi,

 

De telle sorte que la créance en question ne résultait nullement de l’acte authentique sauf à devoir déterminer une fois la déchéance du terme acquise, par le solde rendu exigible augmenté des intérêts échus, des intérêts à courir et de l’indemnité forfaitaire calculée sur un solde qui n’était pas encore fixé,

 

Pour la Cour de cassation, les conditions des articles L111-2 , L111-5 et L11-6 du Code de Procédure Civile d’Exécution n’étaient pas caractérisées,

 

La sanction est immédiate,

 

L’acte authentique perds son caractère exécutoire et ne peut donc constituer un titre exécutoire en tant que tel.

 

La Cour de Cassation, une fois n’est pas coutume, dans cet arrêt non publié, fait droit finalement à l’argumentation du débiteur.

 

Selon la Haute juridiction, il résulte de l’article 794-5 du Code Procédure Civile Locales applicables en Alsace et Moselle devenu l’article L111-5 du Code Procédure Civile d’Exécution que les actes notariés ne peuvent servir de titre exécutoire que s’ils ont pour objet le paiement d’une somme déterminée et non pas seulement déterminable,

 

La Cour relève ensuite que si l’acte authentique en vertu duquel la vente forcée avait été sollicitée mentionnait les conditions du prêt consenti reproduites dans un tableau d’amortissement la créance invoquée à l’appui de sa requête ne résultait pas de l’acte sauf à devoir la déterminer une fois la déchéance du terme acquise par le solde rendu exigible augmenté des intérêts échus, des intérêts à courir et de l’indemnité forfaitaire calculée sur un solde qui n’est pas encore fixé.

 

La Haute juridiction confirme le raisonnement de la Cour d’Appel qui a exactement déduit, sans se contredire et sans dénaturer l’acte authentique notarié du 1er octobre 2013, que la créance pour laquelle la vente forcée du bien était poursuivie n’était pas suffisamment déterminée.

 

Ce raisonnement est intéressant,

 

Pouvons nous y voir une absence totale du caractère exécutoire de l’acte authentique ou un caractère exécutoire mais pour lequel le caractère non déterminable empêcherait une saisie immobilière ?

 

Sur cette question, la Cour de Cassation ne répond pas clairement,

 

A bien y comprendre, l’acte authentique serait insuffisant lorsque la créance pour laquelle la vente forcée du bien était poursuivie n’était pas suffisamment déterminée,

 

Mais est ce que pour autant ce raisonnement empêcherait une saisie immobilière ?

 

C’est ce que laisse à penser l’arrêt en tout cas c’est comme ça que l’arrêt sanctionne l’établissement bancaire,

 

Pour autant, sommes nous surs du fondement juridique retenu par la Haute juridiction ?

 

En effet, d’un coté la Cour de Cassation semble faire une avancée non négligeable en reconnaissant quand même que le principe même de la créance à vocation à être remis en question sérieusement dans la mesure où le créancier ne peut se satisfaire d’une créance insuffisamment déterminée dans l’acte authentique,

 

Cependant, l’arrêt ne semble pas complet,

 

En effet si la Haute juridiction que la créance est insuffisant déterminée pour fonder une mesure de saisie, je pense cependant qu’il faudrait clairement faire enlever à l’acte authentique son caractère exécutoire faute de créance suffisamment déterminée.

 

Cela mettrait fin peut-être, à une pratique ô combien douteuse qui consiste pour la banque, détentrice d’un acte authentique et de deux ou trois échéances impayées, de prononcer la déchéance du terme et d’enclencher très rapidement une procédure de saisie immobilière,

 

Cette jurisprudence viendrait apporter un nouvel équilibre,

 

Faute de créance suffisamment déterminable, le créancier ne pourrait saisir aussi facilement,

 

Il serait alors contraint d’engager une action judiciaire pour obtenir un titre exécutoire et saisir par la suite,

 

L’emprunteur malheureux serait alors en mesure de mieux faire valoir ses droits à contestation en engageant, dans un débat serein, la responsabilité de la banque qui a peut-être mal ou trop rapidement prononcé une déchéance du terme dévastatrice,

 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

 

 

 

Contradiction entre l’état descriptif de division et le règlement de copropriété

Un copropriétaire souhaite transformer un local d’habitation situé au 2ème étage d’un immeuble en local professionnel en y apposant sa plaque. Le syndic peut-il s’y opposer, même si le règlement de copropriété ne prévoit rien à ce sujet, au motif pris que l’état descriptif de division, qui a une valeur contractuelle, est beaucoup plus restrictif sur cette question ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour de Cassation du mois de juillet 2017 et qui vient aborder la problématique spécifique de la contradiction pouvant exister au sein d’une copropriété entre l’état descriptif de division et le règlement de copropriété en tant que tel.

 

En effet, dans cette affaire la question se pose plus particulièrement de déterminer la force juridique de l’état descriptif de division lorsque d’une part, il s’est vu conférer valeur contractuelle et lorsque, d’autre part, ces mentions ne sont pas nécessairement en contradiction avec les stipulations du règlement de copropriété,

 

La Haute Juridiction reconnait donc que lorsque les parties lui ont donné une telle nature contractuelle celle-ci doit recevoir sa pleine application.

 

Dans cette affaire la société P, propriétaire d’un lot composé d’un appartement situé au 2ème étage d’un immeuble en copropriété a assigné le syndicat des copropriétaires en annulation de la décision d’Assemblée Générale lui ayant refusé l’autorisation d’apposer des plaques professionnelles.

 

Dans cette même procédure le Syndicat des Copropriétaires sollicitait, quant à lui, qu’il soit constaté qu’en vertu du règlement de copropriété les locaux situés au 2ème étage ainsi qu’aux étages supérieurs ne pouvaient être occupés à titre professionnel.

 

Or, une contradiction était clairement constatée dans la procédure entre l’état descriptif de division et le règlement de copropriété lequel n’imposait aucune restriction particulière pour le copropriétaire de transformer, au besoin, ses locaux.

 

Ceci, d’autant plus que si le Syndicat des Copropriétaires venait opposer la force de l’état descriptif de division il n’en demeurait pas moins que le règlement de copropriété stipulait clairement que l’immeuble était destiné à un usage professionnel, de bureaux commerciaux et d’habitations en ce qui concerne les locaux situés aux étages et aux combles,

 

De telle sorte qu’au sens des articles 8 et 9 de la loi du 10 juillet 1965, rien n’empêchait le propriétaire des lots d’en jouir et d’y apposer une plaque professionnelle.

 

Le copropriétaire, la société P, considérait que le règlement de copropriété ne pouvait pas imposer de restriction aux droits des copropriétaires et que ces derniers avaient le droit d’user librement des parties privatives comprises en son lot, qu’importe ce que pouvait préciser l’état descriptif de division,

 

Ceci d’autant plus que rien, au sens du règlement de copropriété, n’y interdisait d’y apposer une plaque professionnelle.

 

Pour autant, le syndicat des copropriétaires tenait une position juridique différente,

 

L’article 8 de la loi du 10 juillet 1965 prévoit que : « l’état descriptif de division dont chaque propriétaire avait connaissance et accepté les termes avait la même valeur contractuelle que le règlement lui-même ».

 

L’état descriptif de division détermine l’affectation particulière de chaque lot dépendant d’un groupe de bâtiments que son propriétaire s’oblige à respecter.

 

Qu’il s’en suit que les copropriétaires de la copropriété ont entendu conférer, par des dispositions spéciales du règlement de copropriété, une valeur contractuelle à l’état descriptif de division et à l’affectation des lots déterminés par cet état.

 

La société P considérait, quant à elle, que le règlement de copropriété ne pouvait imposer aucune restriction à l’endroit des copropriétaires en dehors de celle qui serait justifiée par la destination de l’immeuble tel qu’il est défini aux actes par ses caractères et ses situations.

 

Que dès lors, elle considérait que les lots situés dans les étages de la résidence ne pouvaient avoir usage professionnel au prétexte que l’état descriptif de division inclus dans le règlement de copropriété le décrivait comme des appartements.

 

Ladite société considérait que ce moyen soulevé par le syndicat des copropriétaires était inopérant dès lors qu’elle constatait que le règlement de copropriété stipulait clairement que l’immeuble était destiné à un usage professionnel de bureaux commerciaux ou d’habitations en ce qui concernent les locaux situés aux étages et combles.

 

De telle sorte qu’au sens des articles 8 et 9 de la loi du 10 juillet 1965, ces derniers étaient bien fondés à transformer ces lots en locaux professionnels.

 

La société P était d’autant plus à même de soutenir cela qu’elle considérait que chaque copropriétaire était en droit d’user librement des parties privatives comprises de leur lots à la seule condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble.

 

Qu’importe l’état descriptif de division,

 

Pour autant la Cour de Cassation ne partage pas cet avis.

 

En premier lieu, elle rappelle que le règlement de copropriété avait conféré une valeur contractuelle à l’état descriptif de division de telle sorte que l’état descriptif de division affectait les locaux situés au dessus du premier étage et à une destination exclusive d’habitation.

 

Que l’état descriptif de division n’est pas en contradiction avec les stipulations du règlement selon lesquelles l’immeuble « était destiné à un usage professionnel de bureaux commerciaux ou d’habitation en ce qui concernait les locaux situés aux étages et combles dès lors que les dispositions de l’état descriptif de division étaient plus précises en ce qu’elles portaient sur chaque lot alors que la destination énoncée au règlement était de matière générale et distinguaient les étages au delà du premier.

 

A bien y comprendre, la société P ne peut obtenir de ce que ces locaux situés au 2ème étage ainsi qu’aux étages supérieurs ne soient occupés à titre professionnel.

 

Cette décision est intéressante en ce qu’elle rappelle la force de l’état descriptif de division, lequel vient compléter le règlement de copropriété surtout lorsque le règlement de copropriété a, justement, conféré une valeur contractuelle à l’état descriptif de division afin d’affecter les lots de manière bien précise.

 

La Cour de Cassation a bel et bien considéré que l’état descriptif de division auquel le règlement de copropriété avait conféré une valeur contractuelle affectait sans contradiction avec la destination de l’immeuble les lots situés au dessus du 1er étage de l’immeuble en copropriété à une destination exclusive d’habitation.

 

De telle sorte qu’en vertu de ce règlement et de l’état descriptif de division ayant valeur contractuelle, les locaux situés aux étages supérieurs ne pouvaient être occupés à titre professionnel.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

 

 

Revendication de propriété de matériel identifiable et dissociable des autres actifs

Dans le cadre d’une liquidation judiciaire, le dirigeant peut-il s’opposer à la revendication de propriété du matériel d’un créancier et à la restitution au motif pris que la clause de réserve de propriété ne serait pas ostensible, que son avis n’a pas été demandé et qu’il y aurait de surcroit un risque de dégradation des actifs ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu en novembre dernier qui vient aborder la problématique propre à la revendication de propriété dans le cadre de la procédure collective et dans lequel l’arrêt en question apporte des réponses précises.

 

En premier lieu, dans cette jurisprudence, la Cour rappelle qu’à la lecture de l’article R 624-13 alinéa 1er du Code du Commerce, ledit article n’exige pas qu’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception contenant la demande de revendication de propriété soit adressée au débiteur lorsque ce dernier est assisté d’un administrateur ou représenté par le liquidateur.

 

En deuxième lieu, la Cour considère également qu’une action en revendication de propriété est bien fondée dès lors que la clause de réserve de propriété a été acceptée au plus au moment de la livraison et que le bien identifiable peut-être démonté sans risque de dégradation pour le débiteur.

 

En effet, la particularité de cette affaire est qu’effectivement, le matériel revendiqué était attaché à un plancher en béton.

 

A ce sujet, la Cour considère que le matériel revendiqué était identifiable et dissociable du plancher en béton sur lequel il avait été fixé,

 

Que son démontage nécessitait qu’en éventuelle remise en état de celui-ci sans risque de dégradation pour les biens de la société débitrice,

 

De telle sorte que la Cour de Cassation considère que la Cour d’Appel en a souverainement déduit que la séparation des biens pouvait s’effectuer sans qu’ils en subissent un dommage au sens de l’article L624-16 alinéa 3 du Code du Commerce.

 

Dans cette affaire la société M avait été mise en redressement judiciaire par un jugement du 2 avril 2010, Maître Y ayant été désigné administrateur.

 

La procédure a été, par la suite, convertie en liquidation judiciaire par un jugement du 23 juin 2010.

 

La société E, fournisseur de matériel de tuyauterie avait déclaré à la procédure une créance de 32 227 euros et formé, dans le même temps, une demande de revendication de propriété de matériel afin de récupérer son matériel.

 

Dans le cadre de la procédure en question c’est le dirigeant qui, en qualité de représentant de la société débitrice, venait contester l’arrêt de la Cour d’Appel qui avait fait droit à la demande du créancier et venait solliciter le rejet des prétentions de la société E qui avait revendiqué et obtenu le matériel en question.

 

Il considérait notamment que si le créancier récupérait cet actif il le réaliserait à son seul profit et viendrait désintéresser en tout ou en partie sa seule créance au détriment des autres créances de la procédure collective,

 

Cette revendication de propriété de matériel vient clairement impacter le désintéressement des créanciers assujettis à un ordre précis de paiement strictement réglementé dans le cadre de la procédure collective entre créanciers privilégiés, rang des privilèges, et créanciers chirographaires,

 

Cela peut avoir une importance pour le dirigeant, caution par ailleurs, qui préfèrerait bénéficier du paiement des créances suivant le rang légal, notamment au profit de l’établissement bancaire pour lequel il serait caution,

 

Cela pourrait expliquer pourquoi ce dernier a imaginé contester cette revendication de propriété car il est bien évident que l’actif revendiqué en question avait vocation à désintéresser d’abord le créancier revendiquant alors que l’actif aurait pu être réalisé par les organes de la procédure collective et désintéresser en premier lieu les créanciers privilégiés.

 

Le débiteur vient contester la procédure de revendication de propriété sur la base de trois axes précis.

 

En premier lieu, il contestait avoir accepté la clause de revendication de propriété de matériel lors de la formation du contrat de telle sorte qu’elle n’était pas opposable dans le cadre de la procédure collective.

 

En deuxième lieu, le dirigeant considère que suivant l’interprétation qu’il fait des articles L624-9 et R624-13 du Code du Commerce, la demande de revendication de propriété doit être adressée à l’administrateur judiciaire et en cas de liquidation judiciaire au mandataire liquidateur, de telle sorte que cela n’enlevait rien au fait qu’il appartenait au créancier revendiquant d’adresser également la demande de revendication entres mains du débiteur, même en liquidation judiciaire,

 

Le dirigeant reproche au revendiquant de ne pas avoir respecter la procédure applicable en matière de revendication de propriété en adressant sa demande tantôt au représentant des créanciers puis à l’administrateur puis au liquidateur mais en se refusant de l’adresser au débiteur à titre personnel, de telle sorte que cela rendrait sa demande irrégulière.

 

Le dirigeant considère également que le matériel et les meubles ne pouvaient être démontés car cela génère un démontage risqué et risque d’occasionner des dégradations, ce qui impacterait la réalisation de l’actif en tant que tel si le créancier avait vocation effectivement à obtenir la restitution du matériel livré.

 

Pour autant, la Cour de Cassation ne partage absolument pas cet avis.

 

En effet, à la lecture de l’article L124-16 alinéa 2 du Code de Commerce, la clause de réserve de propriété devait avoir été convenue par les parties et notamment avoir été acceptée par l’acheteur au moment de la livraison, même tacitement mais à la condition que son attention ait été suffisamment attirée sur l’existence de la clause,

 

Ce qui impose, est-il besoin de le rappeler, que cette clause de réserve de propriété ait été ostensible isolée des autres conditions contractuelles et parfaitement visible.

 

Or, dans les faits, la clause apparaissait dans les devis et dans la facturation ainsi que sur le bon de livraison pour lequel le débiteur avait signé avec la mention « bon pour accord ».

 

Tout laissait donc à penser que le dirigeant l’avait clairement et expressément acceptée.

 

La Haute Juridiction considère en effet que la clause de réserve de propriété figurait bien sur les devis, sur les factures d’acomptes des 16 novembre 2005 et 30 janvier 2006 ainsi que sur celle du 23 mars 2006 émise avant la livraison pour le règlement du solde,

 

Par ailleurs, les deux factures d’acompte ont été payées sans observations de la part du représentant de la société débitrice qui a également apposé sur le bon de livraison la mention «  bon pour accord » de telle sorte qu’il apparaissait évident que la société débitrice avait accepté la clause de réserve de propriété dans un écrouit établi au plus tard au moment de la livraison .

 

La demande en revendication de propriété de matériel impose une lecture attentive de l’article L124-9 et de l’article R624-13 du Code du Commerce qui rappellent que la demande en revendication de propriété ou en restitution doit être exercée dans un délai de trois mois en étant adressée par lettre recommandée avec avis de réception à l’administrateur ou à défaut au débiteur avec copie au mandataire judiciaire,

 

Aux termes de l’article L624-17 du Code du Commerce, l’administrateur avec l’accord du débiteur ou à défaut le débiteur après accord du mandataire judiciaire peut acquiescer à la demande de revendication de propriété.

 

Pour autant, l’article L6247-13 alinéa 1er du Code du Commerce n’exige pas que la lettre recommandée avec demande d’avis de réception contenant la demande de revendication de propriété soit adressée au débiteur lorsque ce dernier est assisté d’un administrateur ou représenté par un liquidateur.

 

Enfin et surtout, la dernière question posée à la Cour est relative au démontage et à la séparation demandée du matériel par rapport à la dalle béton.

 

Sur ce point, la Cour de Cassation précise que c’est à bon droit que la Cour d’Appel a, en ayant relevé que le matériel revendiqué était identifiable et dissociable du plancher en béton sur lequel il avait été fixé de telle sorte que son démontage ne nécessité qu’une éventuelle remise en état de celui-ci sans risque de dégradation pour les biens de la société débitrice de telle sorte que la séparation des biens pouvait s’effectuer sans qu’ils en subissent un dommage tel et ce, dans le parfait respect de l’esprit de l’article L624-16 alinéa 3 du Code du Commerce.

 

Que c’est salutaire puisque la Haute Juridiction rappelle en tant que de besoin que les conditions de revendication de prospérité en rappelant bien dans quelle mesure le créancier doit faire apparaitre sa clause de réserve de propriété au sein de ces devis, factures et bons de livraison.

 

Elle rappelle également que dans le cadre de la procédure collective, qu’il s’agisse d’une procédure de sauvegarde, d’un redressement ou de liquidation judiciaire, le créancier, s’il souhaite procéder à une demande de revendication de propriété de matériel et au besoin en cas de liquidation, une restitution de matériel doit respecter la procédure et doit adresser aux organes de la procédure dans un délai de trois mois les demandes en question et ce de manière distincte à la déclaration de créance qui en est faite,

 

De même il doit vérifier à chaque fois si le matériel revendiqué est clairement identifiable et dissociable des autres actifs de la liquidation judiciaire pour pouvoir justement récupérer sans difficulté ou en tout cas sans créer quelques préjudices que ce soient à la liquidation judiciaire.

 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr