Action en report de la date de cessation des paiements

Comment combattre une action en report de la date de cessation des paiements ? surtout lorsque celle-ci annonce finalement une action en responsabilité du dirigeant pour insuffisance d’actif. Entre vérification rigoureuse des créances, surtout lorsque le passif n’est ni vérifié ni déposé ni définitif, et analyse de la comptabilité. Analyse des différentes techniques.

Article :

Il convient de s’intéresser un arrêt qui a été rendu par la Cour d’Appel d’Amiens en décembre 2018 qui vient aborder la problématique spécifique de report de la date de cessation des paiements qui permet bien souvent au mandataire liquidateur, ensuite, d’exposer la responsabilité du dirigeant.

Par jugement du Tribunal de commerce d’Amiens en date du 21 juillet 2016 une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l’encontre de la société F, et la date de cessation des paiements a été fixée au 30 mai 2016 pour dettes impayées à cette date.

Pour autant, par exploit d’huissier en date du 19 juillet 2017, La SELAS B désignée liquidateur judiciaire de la société a saisi le Tribunal de commerce aux fins de voir reporter la date de cessation des paiements à la date du 1er septembre 2015 soit quasiment plus d’un an avant l’ouverture de la procédure collective.

Néanmoins, la stratégie du mandataire liquidateur n’a pas été payante.

Par jugement du Tribunal de Commerce d’Amiens en date du 5 décembre 2017, la date de cessation des paiements a été reportée au 1er avril 2016, ce qui est extrêmement raisonnable,

Le Tribunal retenant essentiellement que la société n’était débitrice envers l’URSSAF Midi Pyrénées que d’une somme de 1 481,67 euros au quatrième trimestre 2015 et d’une somme de 11 466 euros au 1er trimestre 2016 pour s’élever au 28 février 2017 à plus de 42 000 euros alors que la créance de l’URSSAF de Picardie s’élevait en avril 2016 à la somme de 82 319 euros sur un total produit de 213 322 euros au regard d’un chiffre d’affaires de 1 900 000 euros.

C’est dans ces circonstances que le mandataire liquidateur a interjeté appel de la décision en ce qu’il n’a pas été fait droit à sa demande de report de la date de cessation des paiements au 1er septembre 2015.

Le mandataire liquidateur exposait que l’actif de la procédure était presque totalement inexistant et que la société avait laissé de longue date s’accumuler de nombreux impayés.

Le mandataire liquidateur faisait ainsi valoir que la Direction Générale des Finances publiques avait déclaré une créance de 3 991,50 euros au titre d’impayés du 27 mai 2015 et l’URSSAF de Toulouse une créance d’un montant de 42 049,67 euros dont 1 481,67 euros au 4ème trimestre 2015 et 11 466 euros au 1er trimestre 2016 et l’URSSAF d’Amiens une créance d’un montant de 213 322 euros dont des cotisations impayées à partir de septembre 2015.

Il faisait également fait observer que la date d’exigibilité des créances restées impayées était bien antérieure à la déclaration de cessation des paiements et de la date retenue par le Tribunal de Commerce,

De telle sorte qu’en première instance le tribunal ne pouvait se fonder sur la réalisation d’un chiffre d’affaires conséquent qui n’était pas un élément d’appréciation de la liquidité de l’entreprise, comme la réalisation d’un bénéfice n’était pas de nature à permettre la contestation d’un état de cessation des paiements.

Le gérant de l’entreprise pressent que derrière cette action en report de la date de cessation des paiements se cache une action en responsabilité dans laquelle celui-ci se retrouverait poursuivi pour insuffisances d’actifs et devrait supporter le passif de la liquidation judiciaire de la société.

Il a donc pris soin de réclamer un grand nombre de documents au mandataire car ce dernier avait cru bon fonder son action sur la seule base d’une liste du créancier sans fournir pour autant les décomptes des créances en tant que telles.

Avant dire droit la société F entendait solliciter les documents suivants :

  • Les réponses à contestation des deux créances de l’URSSAF d’Amiens
  • Le justificatif du dépôt de requête aux fins de dépôt du seul passif privilégié
  • Le justificatif du dépôt de l’état des créances privilégiées
  • Le justificatif de la date d’audience des créances contestées de l’URSSAF devant le juge commissaire

Sur le fond, le dirigeant de la société F expose que le passif important de la société est constitué essentiellement de factures EDF qui sont des créances récentes et que les créances de l’URSSAF ne sont exigibles qu’en fin de trimestre et qu’elles sont au demeurant contestées et n’ont toujours pas été admises.

Il fait observer que s’il est argué d’un passif important, il n’est pas justifié du dépôt d’une requête aux fins de dépôt du seul passif privilégié et que les seules créances invoquées pour la période en litige sont des créances de faible importance qui ne sauraient justifier une cessation des paiements.

Et encore moins une action en report de la date de cessation des paiements.

Il soutient encore que le report de la date de cessation des paiements ne peut être justifié sur la seule base de créances équivalentes à 1% du chiffre d’affaires de l’entreprise qui était au 31 décembre 2015 de 1 900 000 euros.

Il est à noter par ailleurs que le Ministère Public avait été sollicité dans le cadre de cet appel et qu’il avait déclaré s’en rapporter à la justice.

C’est dire le pressenti de ce dernier qui ne voyait pas dans cette affaire une raison valable d’envisager une action en report de la date de cessation des paiements pour finalement envisager ensuite une action en responsabilité contre le dirigeant.

La Cour ne s’y trompe pas,

Elle rappelle que l’état de cessation des paiements est l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible.

Elle rappelle par ailleurs la charge de la preuve de cet état de cessation des paiements repose sur l’organe de la procédure qui entend voir reporter la date de cessation des paiements.

Ainsi les demandes formées par le dirigeant relatives à la communication par le liquidateur d’éléments relatifs à la contestation des créances de l’URSSAF s’avèrent inutiles dans la discussion relative au report de la date de l’état de cessation des paiements dont la preuve incombe au mandataire qui doit établir notamment la réalité du passif exigible.

En l’espèce, les pièces versées aux débats par le liquidateur ne permettent aucunement de caractériser un état de cessation des paiements au 1er septembre 2015 dès lors qu’à cette date il n’est justifié que d’une créance de la Direction générale des finances publiques d’un montant de 3 991,35 euros.

En effet les dettes des deux URSSAF ne concernent que des cotisations dues au plus tôt au titre du quatrième trimestre 2015 ou des cotisations dues au titre du mois de septembre 2015 pour la somme de 2 360 euros et dont l’exigibilité n’est pas établie faute pour le liquidateur de produire des contraintes ou de justifier de leur admission par le juge commissaire.

La Cour d’Appel fait observer que les éléments figurant au bilan de l’année 2015 ne présentent qu’une image de la situation de l’entreprise au 31 décembre 2015 et ne suffisent pas à avérer un état de cessation des paiements au 1er septembre 2015.

De surcroît au regard du niveau d’activité de la société dont le chiffre d’affaires net s’est élevé en 2015 à 1 794 469 euros et l’actif circulant au titre des créances et disponibilités s’est élevé à la somme de 97 505 euros, la faible différence entre la seule dette fiscale et les disponibilités de la société s’élevant à la somme de 1 205 euros ne caractérise pas suffisamment un état de cessation des paiements au 1er septembre 2015.

La Cour d’Appel considère alors qu’il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a reporté la date de cessation des paiements au 1er avril 2016 alors même qu’à cette date le passif de la société s’élevait à plus de 100 000 euros alors que l’actif disponible était presque inexistant.

Cette décision est extrêmement intéressante car elle met clairement en lumière le fait que le mandataire judiciaire a envisagé cette action en report de la date de cessation des paiements téméraire avait finalement comme vrai seul but d’engager par la suite la responsabilité du dirigeant pour que celui-ci fasse face à l’insuffisances d’actifs de ladite société.

En tout état de cause, il appartient au dirigeant de se défendre, d’appréhender à sa juste mesure les risques inhérents à une telle action et de la combattre au travers d’une analyse précise et rigoureuse de l’ensemble des créances déclarées au passif et de l’ensemble des décomptes au sein même desdites créances.

Par ailleurs, le dirigeant a été débouté de sa demande de communication de pièces mais cela a quand même attiré l’attention de la Cour d’Appel sur les problématiques liées à une absence totale de justificatif créances par créances d’une cessation des paiements antérieures au 1er avril 2016.

Cela montre bien que la rigueur de la défense et les contestations qui vont de pair sont d’importance et visent à empêcher un report dangereux de la date de cessation des paiements et de limiter les risques d’une action en responsabilité contre le dirigeant.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

Faillite personnelle et interdiction de gérer du chef d’entreprise

Analyse d’une jurisprudence exposant le chef d’entreprise à une mesure de faillite personnelle au motif pris d’une absence de tenue de comptabilité, d’un retard dans la déclaration de cessation des paiements et finalement au motif pris d’un passif trop important. Quels sont les moyens de défense pour éviter une mesure de faillite personnelle ?

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour d’Appel d’Aix en Provence en ce mois d’octobre 2018 qui vient aborder la problématique particulière de la faillite personnelle et interdiction de gérer du chef d’entreprise pour lequel le mandataire judiciaire, comme à son accoutumée ne manque pas de lui reprocher un certain nombre de fautes.

Dans cette affaire, Monsieur C avait exercé en nom propre une activité de gardiennage depuis le 16 avril 2003.

Par jugement en date du 8 juin 2015, le Tribunal de Commerce avait ouvert à son encontre une procédure de redressement judiciaire qui avait été convertie, le 8 juin 2015, en liquidation judiciaire.

Maître D avait établi un rapport dans lequel il indiquait que Monsieur C se serait abstenu de tenir une comptabilité, fait matérialisé par la déclaration de créances de l’URSSAF correspondant à la mise en œuvre de procédures de taxation d’office d’avril à mai 2015,

Le mandataire lui reprochait également de s’être abstenu de faire une déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours, l’état de cessation des paiements datant du 8 décembre 2013 avec passif déclaré s’élevant au 6 mai 2016 à la somme de 2 214 800 euros,

C’est dans ces circonstances que le mandataire liquidateur soulignait, selon lui, la totale incurie, l’absence de sens de responsabilité et l’incapacité à gérer de Monsieur C.

Au vu de ces éléments, le Procureur de la République a cité à comparaître Monsieur C devant le Tribunal de Commerce afin de répondre des conséquences de l’absence de tenue de comptabilité ou tenue d’une comptabilité fictive ou incomplète, de la disparition des documents comptables et de l’abstention de déclaration de son état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours.

Le Procureur de la République sollicitait dans le cadre de son action en sanction de voir infligé au chef d’entreprise une mesure de faillite personnelle ou, à défaut, d’une mesure d’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale et toute personne morale pendant dix ans.

Avant toute chose, il est loisible de souligner et de critiquer le fait suivant lequel le rapport du Procureur de la République est souvent identique, au mot pros à celui établi par le mandataire liquidateur.

C’est dans ces circonstances, que par jugement en date du 27 novembre 2017, le Tribunal de Commerce a :

Pour statuer de la sorte, le Tribunal de Commerce s’était fondé sur le montant du passif déclaré entre les mains du mandataire judiciaire, soit 2 214 800,41 euros, sur le défaut de tenue de comptabilité, y compris depuis le début de l’ouverture de la procédure collective, sur l’abstention de déclaration de l’état de cessation des paiements dans les 45 jours, ce qui caractérisait, pour la juridiction saisie, l’incurie et l’absence du sens des responsabilités du chef d’entreprise incapable de gérer sainement une entreprise.

C’est dans ces circonstances que Monsieur C a interjeté appel de la décision en litige et a réclamé la réformation du jugement en son entier.

Il entendait contester le prononcé de la faillite personnelle,

Selon lui, la faillite personnelle n’était pas caractérisée,

Monsieur C soutenait qu’il avait transmis aux organes de la procédure collective les éléments comptables relatifs aux années 2012, 2013 et 2014,

Or, le redressement judiciaire datant du 8 juin 2015, il est bien évident que la procédure collective intervenant en plein milieu de l’année civile il y aurait forcément un vide comptable à ce sujet.

Par voie de conséquence, il ne pouvait y avoir de faillite personnelle à cet égard,

Par ailleurs, en l’état des éléments comptables présentés, Monsieur C exposait que c’était l’aggravation de la masse salariale et des charges sociales qui étaient à l’origine de ses difficultés.

Celles-ci résultant des éléments comptables 2014 et 2015, il s’en suivait que l’ensemble de la comptabilité avait bien été communiquée, ce qui s’évinçait d’ailleurs d’un courrier du mandataire judiciaire en date 21 décembre 2016 dans lequel ce dernier reconnaissait avoir été destinataire des éléments comptables.

Monsieur C précisait que le passif était essentiellement composé de créances fiscales, outre un contrôle URSSAF pour 799 901 euros, créances qu’il contestait mais qu’il avait de toute façon souhaiter contester dans le cadre de la procédure collective dans le cadre de la vérification de créances.

Ainsi, l’appelant faisait valoir que la comptabilité a été tenue et que 90% de son passif était dans les délais de la date de cessation des paiements.

De telle sorte que là encore, les critères de la faillite personnelle n’étaient pas remplis.

En outre, Monsieur C indiquait que l’expert-comptable initial, ayant rencontré des impayés, avait cru bon de mettre un terme à sa mission au premier semestre 2015 et refusé d’établir le bilan 2014 et la situation du 1er trimestre 2015.

Un des arguments important soulevé par Monsieur C dans le cadre de la contestation de la sanction de faillite personnelle était plutôt d’ordre économique.

Il rappelait en effet que pendant plus de 12 ans il avait exercé son activité en tenant parfaitement sa comptabilité, en payant ses salariés, les caisses sociales et les organismes fiscaux ou sociaux sur la base de bilans bénéficiaires et démontrant qu’il n’était pas en état de cessation des paiements depuis 45 jours.

Nous sommes bien loin des critères de la faillite personnelle….

Sur le terrain purement personnel, Monsieur C affirmait ne s’être pas enrichi mais sacrifié et même appauvri en tentant de sauver l’entreprise.

Enfin, il soulignait que si le passif était important, il résultait essentiellement d’une importante créance de l’URSSAF qui correspondait à une taxation d’office qui avait vocation à être régularisée dès lors que la comptabilité aurait été reconstituée.

De telle sorte que si le passif déclaré était effectivement important il était essentiellement « virtuel ».

La Cour d’Appel va répondre sur la base de plusieurs arguments précis avant de réformer la décision de faillite personnelle.

Tout d’abord la Cour d’appel s’intéresse à la demande de remise de documents au mandataire liquidateur,

Puis elle s’intéresse aux fautes reprochées à Monsieur C en dissociant les fautes de gestion relative à l’absence d’une tenue de comptabilité régulière et complète et la faute de gestion relative à la déclaration tardive de l’état de cessation des paiements.

In fine elle vient aborder la question de l’appréciation de la sanction de faillite personnelle autour de trois axes :

1 – Sur la demande tendant à la remise des documents par le mandataire judiciaire

Il importe de préciser que Monsieur C avait sollicité la remise des relevés bancaires des années 2014 et 2015 et des éléments comptables afin de permettre à un expert-comptable de reconstituer la comptabilité manquante notamment en 2015.

Pour autant la Cour d’Appel considère qu’en application des articles 132 et suivants du code de procédure civile, que la faculté de demander au juge d’enjoindre à la partie adverse de communiquer une pièce qu’elle détient est une faculté ouverte aux justiciables n’a pas pour but de substituer le juge aux parties dans la charge de la preuve.

La Cour considère qu’ il n’appartient pas au mandataire judiciaire de tenir la comptabilité du débiteur de sorte que, soit celui-ci a tenu une comptabilité, et qu’il a été en mesure de la transmettre aux organes de la procédure collective pour l’accomplissement de leur mission de telle sorte que le chef d’entreprise dispose en conséquence, lui-même ou son expert-comptable, de la faculté de produire directement lesdites pièces,

Soit, la Cour considère que le chef d’entreprise est défaillant dans la communication des documents comptables au mandataire judiciaire et celui-ci ne disposant d’autres pièces que celles transmises par le débiteur ou, à la demande de ce dernier, par son expert-comptable, n’est pas en mesure de communiquer des pièces que par définition il ne peut détenir.

En conséquence, la Cour rejette la demande de sursis à statuer formée par Monsieur C.

De prime abord, la Cour d’appel n’a pas compris la problématique posée par la remise des documents comptables.

En effet, il importe de préciser que lorsque la procédure collective est ouverte et que le débiteur se retrouve en liquidation judiciaire, il doit communiquer les éléments comptables au mandataire judiciaire de telle sorte qu’il se démunit de l’ensemble des originaux qu’il a en sa possession.

Par la suite, la banque refuse remettre les relevés bancaires au débiteur pour la simple et bonne raison que les comptes sont clôturés et que seul le mandataire liquidateur a vocation à représenter la société.

Dans l’hypothèse où le mandataire liquidateur se refuse de communiquer les pièces, le débiteur ne peut reconstituer la comptabilité.

Et s’expose alors à un risque de sanction de faillite personnelle, ce qui est un comble.

2 – Sur les fautes reprochées à Monsieur C

Il convient tout d’abord de s’intéresser à la faute de gestion relative à l’absence de tenue d’une comptabilité régulière et complète.

Il résulte de l’article L.653-5 du Code de Commerce que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle du dirigeant s’il a fait disparaître des documents comptables, s’il n’a pas tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ou s’il a tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.

Si la Cour d’Appel souligne que le débiteur n’a pas remis sa comptabilité à l’ouverture de la procédure collective, il n’en demeure pas moins qu’elle reconnait que c’est dans le cadre de la vérification des créances déclarées que Monsieur C avait remis des éléments de comptabilité présentant un caractère parcellaire.

Bien plus, Monsieur C a tout fait pour procéder à la reconstitution de sa comptabilité, et ce, malgré la réticence du mandataire liquidateur a lui adresser copie des documents comptables et bancaires remis.

La Cour considère qu’en ne remettant aucun document comptable, Monsieur C est réputé ne pas avoir tenu de comptabilité, cette présomption étant d’ailleurs corroborée par les déclarations de l’intéressé par lesquelles il fait état de la décision de son expert-comptable de ne pas tenir sa comptabilité en raison du non-paiement de ses honoraires.

Pourtant la Cour souligne, et cela est spécieux, qu’il est constant que le fait pour un dirigeant de ne pas rémunérer l’expert- comptable auquel il confie la tenue de sa comptabilité ne saurait être une cause exonératoire de responsabilité pour ledit dirigeant en cas de cessation de sa mission par l’expert-comptable et qu’une telle attitude du dirigeant met au contraire l’accent sur son incurie et son incapacité à gérer de manière diligente son entreprise.

Elle souligne également que des déclarations de créances de l’URSSAF PACA ayant fait l’objet de taxations d’office d’avril 2014 à mai 2015, viennent caractériser le fait que les bordereaux afférents à l’organisme social ne lui ont pas été adressés et, en conséquence, n’ont pas été pris en comptabilité.

Cette approche peut là encore faire l’objet d’une analyse différente puisqu’il est bien évident que dans la mesure où le débiteur est en cessation de paiement ou en difficultés financières, il est assujetti au bon vouloir de l’expert-comptable qui peut, en cas d’impayés, refuser de poursuivre ses diligences et acculer encore plus le dirigeant.

Cela justifie t’il pour autant une sanction de faillite personnelle ?

Je ne le crois pas.

Concernant la faute de gestion relative à la déclaration tardive de l’état de cessation des paiements, la cour rappelle les dispositions de l’article L.631-4 du Code de Commerce :

« l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements, s’il n’a pas, dans ce délai, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation »

L’article L.653-8 alinéa 2 du même code dispose également que l’interdiction de gérer peut-être infligée au dirigeant :

« qui aura omis de faire, dans le délai de quarante-cinq jours, la déclaration de cessation des paiements, sans avoir par ailleurs, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation »

La procédure de redressement judiciaire a été ouverte sur assignation de l’URSSAF PACA en date du 26 novembre 2014 et par jugement d’ouverture de la procédure collective, la date de cessation des paiements a été fixée au 8 juin 2015.

Or le mandataire judiciaire n’avait pas manqué d’envisager une action en report de la date de cessation de paiement et le Tribunal de Commerce avait fait remonter la date de l’état de cessation des paiements au 8 décembre 2013.

Pour la Cour d’Appel, le jugement étant définitif le dirigeant s’était volontairement abstenu de déclarer dans le délai de 45 jours son état de cessation des paiements.

Ce point est important car lorsque le dirigeant est destinataire d’une demande en report de la date de cessation des paiements, ce dernier risque fort de voir sa responsabilité engagée tantôt en sanction sur la base d’une demande de faillite personnelle ou interdiction de gérer tantôt au titre d’une insuffisance d’actifs.

Dès lors, à ce seul stade, il est impératif que le chef d’entreprise se défende,

3 – Sur la sanction

La Cour d’Appel rappelle les dispositions de l’article L.653-5 du Code de Commerce qui prévoit à l’encontre du dirigeant qui s’est abstenu de tenir une comptabilité complète et régulière, une mesure de faillite personnelle et celles de L.653-8 du même Code qui prévoit que :

« dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci. ”

Or, la Cour considère que si l’incurie manifestée par Monsieur C dans la gestion de son entreprise est constante mais qu’il convient d’observer qu’il ne s’est pas opposé à la liquidation judiciaire de son entreprise moyennant quoi, la Cour infirme la sanction prononcée de faillite personnelle pour 10 ans des premiers juges et sanctionne finalement Monsieur C d’une « simple mesure d’interdiction de gérer pour une durée de cinq ans.

La décision est dont extrêmement satisfaisante sur ce point car elle vient réduire sérieusement le champ de la sanction du dirigeant.

Surtout elle ne retient plus la sanction de faillite personnelle.

Cette jurisprudence est intéressante.

Elle rappelle que pour limiter sa responsabilité, et éviter une action en sanction aux fins de faillite personnelle en établissant sa comptabilité, en contestant les créances et en réagissant contre le mandataire liquidateur des lors que ce dernier envisage ne serait-ce qu’une action en report de la date de cessation des paiements.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

Réservation en ligne par carte bleue et opposition à prélèvement

Un client peut-il faire opposition au prélèvement auprès de son établissement bancaire alors même qu’il a communiqué toutes ses références de carte bleue au site de réservation en ligne, qu’il s’agisse d’un site de réservation en ligne de chambres d’hôtel, de restaurants ou bien encore de voyages ou de séjours ?

Article :

Il convient de s’intéresser à deux arrêts rendus tantôt en mars 2009 tantôt en mai 2016 qui viennent aborder la problématique particulière de la réservation en ligne de chambres d’hôtel notamment lorsque le site réclame le numéro de carte bancaire sans que pour autant un débit soit autorisé et pour lequel par la suite le compte du client est prélevé.

Cette question s’impose d’autant plus que les conditions générales de ces sites précisent bien souvent que la réservation en ligne font état que la facturation ne prévoit aucun paiement de garantie, le numéro de carte bancaire étant simplement nécessaire pour la réservation et la carte bancaire ne pouvant faire l’objet de quelque débit que ce soit.

Or, il n’est pas rare de constater qu’en cas de difficultés, l’établissement hôtelier et le site en ligne procèdent à un prélèvement sur le compte de leur client sans que celui-ci en soit avisé et sans que la banque ne manifeste quelque vérification ou refus que ce soit.

La question qui se pose est de savoir si le client peut faire opposition au prélèvement auprès de l’établissement bancaire alors même qu’il a communiqué son numéro de carte bleue au site de réservation en ligne ?

Dans les conditions générales du site de réservation en ligne il est très souvent précisé que la résiliation en ligne n’entraine aucune facturation, ni paiement en garantie ni aucun débit.

Il est donc bien évident qu’en cas de prélèvement, le client peut former opposition auprès de sa banque et la banque ne peut refuser de faire droit à cette opposition au motif que la cliente aurait communiqué un numéro de carte bleue au site de réservation en ligne.

Le Code Monétaire et Financier prévoit que le titulaire du compte bancaire peut faire opposition à un prélèvement déjà effectué et en demander le remboursement à sa banque dans deux situations précises, savoir :

Il convient de rappeler les dispositions de l’article L 133-8 du Code Monétaire et Financier qui règlementent l’opposition à prélèvement

« I. – L’utilisateur de services de paiement ne peut révoquer un ordre de paiement une fois qu’il a été reçu par le prestataire de services de paiement du payeur sauf disposition contraire du présent article.

II. – Lorsque l’opération de paiement est initiée par le bénéficiaire ou par le payeur qui donne un ordre de paiement par l’intermédiaire du bénéficiaire, le payeur ne peut révoquer l’ordre de paiement après avoir transmis l’ordre de paiement au bénéficiaire ou donné son consentement à l’exécution de l’opération de paiement au bénéficiaire.

 Lorsque l’opération de paiement est initiée par un prestataire de services de paiement fournissant un service d’initiation de paiement mentionné au 7° du II de l’article L. 314-1, le payeur ne peut révoquer l’ordre de paiement après avoir donné son consentement à ce que le prestataire de services de paiement fournissant le service d’initiation de paiement initie l’opération de paiement.

Toutefois, en cas de prélèvement et sans préjudice du droit à remboursement mentionné à l’article L. 133-25, le payeur peut révoquer l’ordre de paiement au plus tard à la fin du jour ouvrable précédant le jour convenu pour le débit des fonds.

III. – Dans le cas où il a été convenu entre l’utilisateur qui a ordonné l’opération de paiement et son prestataire de services de paiement que l’exécution de l’ordre de paiement commencera un jour donné ou à l’issue d’une période déterminée ou le jour où le payeur aura mis les fonds à la disposition de son prestataire de services de paiement, l’utilisateur de services de paiement peut révoquer l’ordre de paiement au plus tard à la fin du jour ouvrable précédant le jour convenu.

IV. – A l’expiration des délais mentionnés aux I, II et III, l’ordre de paiement ne peut être révoqué que si l’utilisateur de services de paiement et son prestataire de services de paiement en sont convenus. Dans les cas mentionnés au II, le consentement du bénéficiaire est également requis. Si la convention de compte de dépôt ou le contrat-cadre de services de paiement le prévoit, le prestataire de services de paiement peut imputer des frais pour la révocation. »

La jurisprudence vient clairement répondre sur cette problématique particulière à travers deux jurisprudences directement liées à la réservation en ligne.

Dans la première jurisprudence, Monsieur et Madame X M. et Mme X, titulaires d’un compte joint dans les livres de l’établissement bancaire souhaitant procéder à une réservation en ligne dans un hôtel, ont communiqué sur le site internet le numéro de la carte bancaire de Mme X.

Ils n’ont finalement pas donné suite à leur projet.

Pour autant leur compte a été ultérieurement débité à l’initiative de l’hôtel d’une somme de 780 euros à titre de pénalité, dont ils ont réclamé le remboursement à la banque.

Les consorts X ont alors décidés de poursuivre leur banque en responsabilité afin d’obtenir le remboursement de la somme prélevée sans leur accord et sans que leur opposition ait été suivie d’effet.

Or, le Tribunal d’Instance avait rejeté la demande de Madame X au motif pris que le numéro de la carte de crédit, sa date de validité et le cryptogramme visuel à trois chiffres avaient été communiqués volontairement sur le site internet de réservation en ligne de l’hôtel par cette dernière,

A bien y comprendre, la communication par le titulaire de la carte au site de réservation en ligne autorisait la banque, au vu de ces données transmises par le commerçant à payer et à débiter le compte,

Fort heureusement, la Cour de Cassation ne suit pas ce raisonnement et précise qu’en se déterminant par de tels motifs impropres à établir que Mme X, qui n’avait communiqué à distance les données figurant sur sa carte bancaire au site de réservation en ligne que pour garantir la réservation d’une chambre d’hôtel, sur un formulaire précisant que cette communication ne donnerait lieu à aucun débit,

De telle sorte que le client n’avait absolument pas donné un mandat de payer, et qu’à défaut d’un tel mandat, la banque était tenue de restituer la somme débitée.

Cette décision est salutaire,

Elle rappelle que la réservation en ligne dans la mesure où celle-ci n’entraine aucun paiement ni aucun débit, n’a pas vocation à faire l’objet d’un paiement par la banque.

Qu’en conséquence, le titulaire du compte est tout fait fondé à faire opposition à son prélèvement pour obtenir son remboursement.

La banque doit s’exécuter,

Rappelons le, l’article L 132-4 du code monétaire et financier, précise que « dans le cas où le paiement contesté a été effectué frauduleusement, à distance, sans utilisation physique de sa carte, si le titulaire de celle-ci conteste par écrit avoir effectué un paiement ou un retrait, les sommes contestées lui sont recréditées sur son compte par l’émetteur de la carte ou restituées, sans frais, au plus tard dans le délai d’un mois à compter de la réception de la contestation. »

Dans la décision de mai 2016, la problématique est liée à l’utilisation d’une carte de débit différé puisque la banque avait cru bon donner suite au prélèvement alors même que la cliente et titulaire du compte avait fait opposition au motif pris qu’elle n’avait jamais donné son accord.

La banque, quant à elle, considérait que l’utilisation de la carte par la cliente emportait ordre de paiement irrévocable.

Là encore, la titulaire du compte est parfaitement fondée à faire opposition au prélèvement au motif que la banque ne pouvait se prévaloir d’un ordre de paiement irrévocable, alors qu’au contraire, la cliente n’avait pas donné mandat de paiement.

L’établissement hôtelier n’avait aucune autorisation de débit signée par la cliente de telle sorte que la banque ne pouvait pas débiter son compte,

Ces deux jurisprudences sont intéressantes,

Le client qui frappe d’opposition un prélèvement non autorisé par ses soins peux parfaitement sommer la banque de le rembourser,

Qu’importe le fait que le client ait communiqué ses références de carte bleue au site de réservation en ligne.

A bon entendeur,

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

Le motard et l’indemnisation intégrale de ses différents postes de préjudice

Dans le cadre d’un accident de la route, un motard indemnisé par l’assurance, et victime d’une aggravation des séquelles de l’accident souhaite obtenir une indemnisation intégrale de son préjudice. Analyse des développements parfois nécessaires pour permettre une indemnisation intégrale pour chaque poste d’indemnisation, et ils sont nombreux.

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’Appel de Colmar en Avril 2018 et qui vient aborder la problématique spécifique de l’indemnisation intégrale de l’ensemble des chefs de préjudice dans le cadre d’un accident de la route avec un ou deux motocyclistes.

Dans cette affaire, le 2 janvier 2010, Monsieur C âgé de 52 ans, motard de son état, et exerçant la profession de mécanicien poids lourds avait été très sérieusement blessé dans un accident de la circulation,

Ce qui lui avait occasionné une fracture fermée du tableau tibial externe du genou gauche associée à une fracture de la tête de la fibula.

Une transaction était intervenue le 27 aout 2012 dans le cadre de la loi du 5 juillet 1985 entre Monsieur C et l’assureur du véhicule adverse qui lui reconnaissait un droit à indemnisation à hauteur de 50 % avec une consolidation fixée au 13 février 2012 avec un taux de déficit fonctionnel permanent de 10%.

Cela semblait clore l’affaire,

Malheureusement, Monsieur C a été victime d’une aggravation des séquelles de l’accident, non contestée par la compagnie d’assurances d’ailleurs, qui a entrainé la mise en place d’une prothèse totale du genou le 31 mai 2013.

C’est dans ces circonstances que la compagnie d’assurances a formalisé une nouvelle proposition d’indemnisation sur la base d’un rapport d’expertise établi par deux docteurs le 4 avril 2014 fixant une nouvelle consolidation au 27 mars 2014 avec un taux de déficit fonctionnel permanent de 12%.

Pour autant, Monsieur C a contesté cette proposition d’indemnisation et a assigné devant le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg la compagnie d’assurances afin d’obtenir une indemnisation intégrale de son entier préjudice,

Un jugement a été rendu et appel a été interjeté par Monsieur C dans lequel il sollicite l’infirmation du jugement afin qu’il y ait une indemnisation intégrale de l’ensemble de ces préjudices.

Cette jurisprudence est intéressante en ce qu’elle vient justement, malgré sa lecture fastidieuse et l’ensemble des décomptes, aborder le principe même de l’indemnisation intégrale du préjudice subi.

En effet, il arrive trop fréquemment que l’ensemble des chefs de préjudice ne soit pas correctement indemnisé,

Tel est malheureusement le jeu entretenu par les compagnies d’assurances,

Indemniser à moindre cout…

Pour autant, les chefs de préjudice sont nombreux,

Ils sont sujets à autant de mise en place d’une indemnisation intégrale,

L’attrait de cette jurisprudence est justement de reprendre et de ventiler un grand nombre de chapitres d’indemnisation,

Tous distincts,

Tous importants,

Les chefs de préjudice se divisent en plusieurs familles,

Il convient de s’intéresser aux éléments fournis par Monsieur C pour faire valoir ses droits et obtenir l’indemnisation intégrale de ses différents postes de préjudices,

Les préjudices patrimoniaux peuvent de dissocier en deux grands volets à savoir :

Pour ce poste, la Cour rappelle qu’il faut fournir le décompte définitif fourni par la CPAM outre les frais de mutuelles qui doivent être justifiés par un certain nombre de pièces.

Dès lors, il appartient à la victime de produire l’ensemble des frais d’hospitalisation et de soins.

Monsieur C a pris soin de souligner la perte de salaires qui a vocation à être prise en compte en déduction des indemnités journalières ce qui permet de mettre en avant notamment les primes qui auraient été versées pendant la même période et qu’il n’aurait pas forcément reçues.

Monsieur C a pris soin de faire un décompte exact et précis de l’ensemble des frais engagés.

Ils sont nombreux.

Il a adressé les notes d’honoraires de son médecin, la facture du médecin conseil auteur du rapport d’expertise tout comme la facture du médecin qui l’a assisté lors de l’expertise, ainsi que les frais générés lors de son déplacement à Paris (parking, péage hôtel).

La Cour d’Appel considère que Monsieur C pouvait légitimement se faire assister par un médecin conseil de son choix au coté de l’expert de l’assureur adverse, de telle sorte que ces frais devaient être indemnisés.

La Cour d’Appel souligne par contre que la totalité des honoraires facturés par l’expert ne peut être prise en compte en l’état du montant abusif par rapport au tarif habituel.

Viennent s’ajouter des frais de téléphone et de télévision, de remise et copie du dossier médical, des frais postaux pour la constitution de son dossier bien que sur ce point, la Cour d’Appel émette une réserve puisqu’elle considère qu’il appartenait à Monsieur C de rapporter la preuve que tous les frais sollicités avaient bel et bien été exposés pour les besoins de son dossier et qu’ils avaient été nécessaires.

Concernant les frais de déplacement, il convient de fournir le certificat d’immatriculation du véhicule ainsi qu’un point précis des distances parcourues afin de permettre d’adapter le meilleur tarif fiscal au kilomètre le plus juste.

Monsieur C avait pris soin de faire un décompte précis de l’ensemble de ses déplacements entre son domicile et centre de réadaptation.

Il ressort notamment des pièces médicales listées dans le rapport d’expertise que son médecin lui a prescrit 20 séances de massages et rééducation de telle sorte que Monsieur C a réclamé les 40 allers retours comptabilisés entre son domicile et le kinésithérapeute.

Monsieur C avait également abordé la problématique de frais de vêtements pour la rééducation, mais sur ce point la Cour d’Appel rejette cette demande au motif pris qu’aucune justification n’est donnée concernant l’existence de tels vêtements.

Concernant l’assistance par tierce personne, une problématique est abordée puisque Monsieur C critique le nombre d’heures reconnu par l’expertise soutenant que c’est 3 heures dont il avait besoin durant la période du 10 juillet au 2 aout 2013 alors qu’il ne se déplaçait qu’en fauteuil roulant puis de la période du 3 au 31 aout 2013 une heure par jour.

Si l’approche était judicieuse, il lui appartenait cependant de démontrer la portée exacte de cette analyse,

Mais la Cour souligne qu’aucun élément de fait dans le rapport d’expertise ne permet de majorer des heures, le compte rendu du 4 avril 2014 que le médecin conseil de Monsieur C a adressé à son avocat, indique que les conclusions retenues concernant l’aide humaine sont satisfaisantes.

Dans la mesure où aucun autre élément n’est versé aux débats à l’appui de la demande, la Cour d’Appel considère que le nombre d’heures à retenir est celui résultant des conclusions de l’expert et que par ailleurs celui-ci applique un tarif horaire à hauteur de 15 euros ce qui semble parfaitement raisonnable et adapté aux pratiques en la matière.

Ces postes d’indemnisation sont importants car ils viennent aborder la problématique de l’indemnisation totale de la victime et interviennent de différentes manières :

Monsieur C évoque la prise en charge d’un surcoût en l’état d’une boite automatique mais il ne donne pas d’éléments nécessaires sur celui-ci.

Il ne justifie pas de ce que son véhicule était équipé d’une boite de vitesse manuelle ni de ce qu’il a dû acquérir un nouveau véhicule avec une boite automatique.

La demande concerne la période du 27 mars 2015 au 5 janvier 2016 et vient aborder le sort de cette perte de gain.

La Cour d’Appel retient que le salaire mensuel net moyen avant l’accident était de 1 601,74 euros, qu’il a été licencié le 14 mars 2014 pour inaptitude, qu’il a perçu des allocations POLE EMPLOI et qu’il a finalement crée son entreprise le 5 janvier 2015.

Or, Monsieur C considérait que le juge avait retenu une somme sans déduire les allocations chômages perçues.

La Cour rappelle que seules devaient être imputées sur l’indemnité revenant à la victime les prestations versées par les tiers payeurs et que l’allocation de retour à l’emploi ne revêt pas un caractère indemnitaire et ne donne pas lieu à recours subrogatoire.

Le premier juge a rappelé que dans le cadre de la transaction intervenue avant l’aggravation, l’incidence professionnelle avait été chiffrée à 10 000 euros et que dans le cadre de l’aggravation, le juge avait accordé le même montant.

Pour autant, la Cour d’Appel souligne que Monsieur C est devenu inapte au poste de mécanicien poids lourds alors qu’il avait bénéficié, après l’accident et jusqu’à l’aggravation, d’un poste aménagé dans l’entreprise.

Si un recyclage est possible, il n’en demeure pas moins que l’aggravation a eu une incidence professionnelle bien plus importante que les séquelles antérieures en l’obligeant à se reconvertir, en lui occasionnant une dévalorisation de sa personne sur le marché de l’emploi du fait de son incapacité et en augmentant pour lui la pénibilité du travail.

Si la Cour d’Appel considère que cette incidence ne saurait être évaluée en tenant compte d’une perte éventuelle de gains professionnels et d’années de cotisation de retraite, il n’en demeure pas moins que l’incidence professionnelle a pour objet d’indemniser la perte de revenus liée à l’incapacité ainsi que les incidences périphériques.

La Cour a donc réhaussé très sérieusement le poste d’incidence professionnelle.

Sont également abordés mais de manière plus rapide et qui ne méritent pas de développement à ce stade l’ensemble des préjudices extra patrimoniaux qu’il convient de ventiler en différents postes :

Ce poste de préjudice a pour objet d’indemniser l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique, c’est-à-dire du jour de l’accident jusqu’à la consolidation.

La Cour retient un déficit fonctionnel permanent de bon niveau puisqu’elle rappelle qu’il s’agit ici de réparer les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime (telle que la réduction du potentiel physique, psychosensorielle ou intellectuelle), qui demeurent même après la consolidation et que le point passe de 10 à 12%.

La Cour considère que compte tenu de l’âge de la victime lors de la consolidation de ses blessures résultant de son aggravation le déficit fonctionnel permanent devait être réévalué à la hausse.

Il est vrai que le nombre de postes de préjudice est important et que la démonstration requise pour obtenir une indemnisation intégrale peut paraître laborieuse,

Pour autant, elle est fondamentale,

En effet, cette jurisprudence vient consacrer le fait que la victime d’un accident ne doit omettre aucun chef de préjudice pour obtenir une parfaite et maximale indemnisation de son entier préjudice.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

Reddition des comptes et responsabilité pour insuffisance d’actif

Un mandataire liquidateur peut-il engager une action en reddition des comptes contre le gérant d’une entreprise en liquidation judiciaire alors que le délai de 3 ans pour engager une action en responsabilité pour insuffisance d’actif est dépassé ?

Article :

Il convient de s’interresser à un arrêt rendu en novembre dernier qui vient aborder la question spécifique du choix du mandataire judiciaire entre l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif et l’action en reddition des comptes telle que prévue par l’article 1993 du Code Civil.

Dans cette affaire la société A avait été placée en liquidation judiciaire le 11 juin 2009 et Maître X avait été désigné en qualité de liquidateur.

Ce dernier a, le 28 septembre 2012, (soit postérieurement au 3 ans requis pour engager une action en responsabilité pour insuffisance d’actif) et sur le fondement de l’obligation de reddition des comptes du mandataire social, assigné son gérant, Monsieur Y en paiement de la somme de 14 200 euros,

Dite somme pour lequel le mandataire liquidateur précisait que le gérant reconnaissait lui même avoir détourné au préjudice de la société.

La question qui se posait était de savoir si le mandataire judiciaire pouvait engager une action passé le délai de 3 ans en reddition des comptes alors qu’il ne pouvait plus faire une action en responsabilité pour insuffisance d’actif.

Il convient de rappeler lorsque le redressement ou la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître, comme en l’espèce, une insuffisance d’actif, les dispositions de l’article L. 651-2 du Code de Commerce prévoient que :

« le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion

L’action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire. »

Dans cette affaire la liquidation judiciaire avait été prononcée le 11 juin 2009 de telle sorte que l’action en comblement de passif était prescrite à partir du 12 juin 2012.

L’action en cause était lancée le 28 septembre 2012,

Dès lors la problématique de la faute de gestion interressait le gérant qui entendait considérer que cette nouvelle action en reddition des comptes, au visa de l’article 1993 du Code Civil, était prescrite.

En effet, le gérant considérait que le mandataire judiciaire détournait l’action en reddition des comptes pour pouvoir rendre possible une action qui ne visait qu’à venir combler l’insuffisance d’actif de la procédure collective au titre de fautes de gestion.

Pour autant la Cour de Cassation fait la part des choses,

Elle considère que l’action en reddition de comptes prévue par l’article 1993 du Code Civil n’a pas le même objet que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif prévue par l’article L. 651-2 du Code de Commerce de telle sorte que le mandataire judiciaire est parfaitement fondé à engager une action à cette fin.

La Cour considère que le mandataire liquidateur, sans faire référence à une insuffisance d’actif, ne réclamait que le remboursement d’une somme payée par un client de la société, que le dirigeant de celle-ci avait conservée entre ses mains de telle sorte qu’il y avait bel et bien un axe de responsabilité, en reddition des comptes, au visa de l’article 1993 du Code Civil.

Cette jurisprudence est interressante puisqu’elle met en exergue le fait que le mandataire judiciaire peut cumuler les actions,

D’une part, l’action en responsabilité contre le gérant pour insuffisance d’actif au titre des fautes de gestion antérieures à l’ouverture de la procédure collective,

D’autre part, l’action en reddition des comptes au titre de fautes de gestion postérieures à l’ouverture de la procédure collective,

Il appartient donc au chef d’entreprise de s’organiser pour défendre ses intérets et être attentif à ses actes de gestion tant antérieurs que postérieurs à l’ouverture pour ne pas engager sa responsabilité personnelle tout au long des deux périodes en question.

Fort heureusement d’ailleurs, meme dans le cadre d’une action en reddition des comptes, les moyens de défense du gérant sont nombreux,

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

Le protocole d’accord, titre exécutoire d’une saisie immobilière ?

Un créancier bénéficiant d’un protocole d’accord n’engageant qu’un seul des deux époux au paiement d’une créance peut-il envisager une saisie immobilière sur le bien commun des deux époux ?

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour de Cassation en ce mois de décembre 2018 qui vient aborder la problématique de la saisie immobilière dans le cadre d’un protocole d’accord conclu qui n’engage qu’un seul des co-débiteurs de la créance bancaire.

Dans cette affaire Monsieur et Madame B avaient souscrit un prêt auprès de la société M GESTION aux droits de laquelle la banque vient, un prêt .

La banque les avait fait assigner devant un le Tribunal de Grande Instance de Lyon qui les avait condamnés à lui payer une certaine somme au titre du solde de ce prêt .

Monsieur et Madame B ont interjeté appel de cette décision.

Dans le cadre de cet appel un protocole d’accord avait été conclu entre les parties le 29 avril 2008 et le dit protocole d’accord avait été homologué par arrêt la Cour d’Appel du 24 juin 2008.

Pour autant, et sur le fondement de ce protocole d’accord homologué, la banque avait fait délivrer à Monsieur et Madame B un commandement de payer valant saisie immobilière.

Suite à l’audience d’orientation, le juge de l’orientation avait rejeté toutes les contestations de Monsieur et Madame B et avait ordonné la vente forcée du bien immobilier objet de la saisie.

Les débiteurs saisis ont tout naturellement interjeté appel de la décision du juge de l’orientation,

Pour confirmer le jugement ayant ordonné la vente forcée, la cour d’appel, quant à elle, retenait que la banque disposait de la faculté d’agir en recouvrement sur les biens communs, celle-ci ne s’étant pas privée de cette possibilité en déchargeant dans ledit protocole d’accord Madame de sa dette de telle sorte qu’elle n’avait pas à recueillir son consentement exprès pour maintenir son droit.

Il ressortait en effet dudit protocole d’accord que Madame B avait été libérée de sa dette et n’avait pas donné son consentement pour engager le bien commun.

En effet, la créance dont se prévaut la banque était fondée sur ce protocole d’accord signé le 3 avril 2008 et homologué par arrêt de la Cour d’Appel de Lyon du 24 juin 2008.

Ce protocole d’accord avait eu pour objet de mettre un terme aux litiges et contentieux opposant les parties et avait notamment fixé la créance due par les époux B au titre d’un prêt consenti le 15 décembre 2008 dont ils étaient co-emprunteurs.

Dès lors que la banque avait déchargé Madame B de sa dette, la question était de savoir si le créancier pouvait saisir le bien commun.

En effet, l’immeuble objet de la présente procédure était commun aux époux B.

Il convient de rappeler que l’article 1415 du Code Civil prévoit que chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres mais engage alors les biens communs,

De telle sorte que cet article porte interdiction de poursuivre le paiement de dettes résultant d’un emprunt ou d’un cautionnement sur les biens communs, sauf le consentement exprès de l’autre conjoint.

Il en serait également de même en l’état d’un protocole d’accord.

Tel n’est pas le cas dans cette affaire, car immanquablement, Madame B n’était plus tenue au paiement de la dette.

C’est donc à bon droit que la Cour de Cassation a considéré que la transaction libérait Madame B de tout engagement et toute obligation de paiement au titre du prêt,

Monsieur B restant le seul tenu au remboursement du prêt, la Cour d’Appel ne pouvait procéder à la vente du bien commun.

Par voie de conséquence, la banque, en signant le protocole d’accord (qu’elle avait d’ailleurs elle même rédigée) reconnaissait libérer Madame B de tout engagement et de toute obligation, de telle sorte qu’elle ne disposait plus de la faculté d’agir en recouvrement sur les biens communs.

Il convient de rappeler que les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Dans le cadre de l’article 2.1 du protocole d’accord, la banque a libéré Madame B de tout engagement au titre du prêt, dont Monsieur B restait seul tenu au remboursement à hauteur de 300 000 euros.

Dès lors, la Cour de cassation considère que l’article 1415 du Code Civil n’était pas applicable, que la dette de remboursement du prêt était restée une dette commune, la Cour d’Appel a violé l’article 1134 du Code Civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016,

Bien plus, dans le cadre de l’article 2.3 du protocole d’accord, Madame B libérée de son obligation à paiement, avait expressément consenti à ce que Monsieur B s’engage au remboursement du solde du prêt et avait accepté que ces paiements soient acquittés avec les seuls revenus de Monsieur B.

Pour autant, la haute juridiction considère à juste titre que cette stipulation ne permettait pas au prêteur d’agir en recouvrement sur un immeuble commun, de telle sorte que la Cour d’Appel a violé les articles 1134 et 1415 du Code Civil.

La Cour de Cassation a donc cassé l’arrêt de la Cour d’Appel de Lyon en rappelant qu’en l’état du protocole d’accord la banque ne disposait plus de la faculté d’agir en recouvrement des biens communs dans la mesure ou elle avait déchargé Madame B de sa dette et n’avait pas recueilli son consentement exprès pour maintenir son droit.

Cet arrêt est intéressant car la Cour de Cassation dit qu’en application du protocole d’accord conclu le 29 avril 2008 et homologué le 24 juin 2008, la banque privée ne peut poursuivre le recouvrement de sa créance sur le bien immobilier commun et en conséquence, de telle sorte que la banque est à juste titre déboutée de sa demande de vente forcée. 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

Débiteur principal, débiteur décédé, caution, recours de la caution,

Quel est droit de la caution de se retourner contre le débiteur principal, lorsque celui-ci est malheureusement décédé ? Analyse d’une jurisprudence lorsque la caution décide de se retourner contre les héritiers de son débiteur principal décédé,

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour d’Appel d’Aix en Provence en septembre 2018 qui vient aborder la problématique spécifique du sort de la caution lorsque le débiteur principal est décédé.

Par acte sous seing privé en date du 29 juin 2011, Monsieur C s’était porté caution de Madame P dans le cadre d’un contrat de location qui lui avait été consenti le 1er juin 2011 par Monsieur D propriétaire.

Madame T avait été défaillante dans un premier temps puis est malheureusement décédée.

C’est dans ces circonstances que par jugement en date du 30 décembre 2013, Monsieur C avait été condamné solidairement avec Madame P à payer au bailleur les sommes de :

Or le jugement faisait bien état que Madame P, débiteur principal, était décédée en décembre 2012.

Le bailleur s’est donc retourné contre la caution sans se préoccuper du sort des éventuels héritiers du débiteur principal,

La caution a fait face à ses engagements et s’est retrouvée à désintéresser complètement le bailleur.

S’est alors posée la question de se retourner contre les parents du débiteur principal afin que ces derniers supportent les obligations de leur fille.

Monsieur C a fait assigner les parents du débiteur principal devant le Tribunal d’Instance et par jugement en date du 15 décembre 2016, ils ont été condamnés solidairement à payer à Monsieur C l’ensemble des sommes réglées.

Les parents du débiteur principal ont frappé d’appel la décision et ont sollicité la réformation du jugement déféré en demandant à la Cour d’Appel de déclarer inopposable le 1er jugement du 30 décembre 2013 au motif que Madame P était décédée en cours de procédure sans que ces derniers ne soient assignés en intervention forcée.

Ils considéraient que dans la mesure où Monsieur C, ancien compagnon de Madame P avait été parfaitement informé du décès de cette dernière, il aurait dû en informer la juridiction et son bailleur.

Il est assez spécieux qu’ils viennent reprocher à la caution de ne pas avoir informé le tribunal et le bailleur du triste sort du débiteur principal, afin de les faire appeler en cause en qualité d’héritiers.

Pour autant cette argumentation ne saurait prospérer.

Sur le terrain factuel, Monsieur C avait quitté Madame P bien avant son décès et celle-ci occupait seule le bien.

Elle était donc bel et bien le débiteur principal,

Il est particulièrement curieux de constater que les parents du débiteur principal considéraient que n’ayant pas été assignés en intervention forcée lors de la première procédure, le jugement ne pouvait qu’être déclaré inopposable à leur encontre et donc Monsieur C ne pouvait les poursuivre.

Pour autant la Cour d’Appel ne s’y trompe pas,

Elle considère que c’est à bon droit, au visa de l’article 2309 du Code Civil, que le premier juge a rappelé que la caution qui a fait l’objet d’un jugement de condamnation pour la somme totale de 9 990 euros est fondée à se retourner contre le débiteur principal en l’espèce ses héritiers et que ces derniers ne sont pas fondés à solliciter l’inopposabilité du jugement du 30 décembre 2013.

Ainsi le jugement déféré est confirmé en toutes ses dispositions.

Cet arrêt est intéressant car il explique bien lorsque le débiteur principal est décédé, la caution a le droit de se retourner contre ses héritiers.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

Vente en viager, incendie et liquidation judiciaire

Cas d’école d’une vente en viager, lorsque le crédirentier engage une action aux fins de constater l’acquisition de la clause résolutoire. Parcours procédural semé d’embuches, surtout lorsque le bien immobilier a subi un incendie et que le débirentier se retrouve en liquidation judiciaire.

Article :

Il convient de s’intérresser à un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Caen en ce début d’année 2018 qui vient aborder la problématique d’une vente en viager dans laquelle le credirentier a engagé une action aux fins de constater l’acquisition de la clause résolutoire alors même que le bien avait fait l’objet d’un incendie et que le débiteur était en liquidation judiciaire.

Dans cette affaire, par acte authentique du 8 février 2012, Monsieur H né en 1950 célibataire et sans enfant propriétaire de son bien avait cédé, par le biais d’une vente en viager, à Monsieur P un ensemble immobilier comprenant une maison d’habitation, dépendances et jardin sous forme viagère, le vendeur se réservant la jouissance de l’usufruit sa vie durant et l’acquéreur devant s’acquitter d’une rente annuelle de 12 640,81 euros sans qu’il soit prévu une somme immédiatement exigible et plus connue sous le nom de « bouquet ».

Seule la rente annuelle était due.

A la suite d’un signalement auprès du Procureur de la République faisant état d’abus de faiblesse sur la personne du vendeur, le Juge des tutelles a été saisi aux fins d’ouverture d’une mesure de protection à l’égard de Monsieur H.

Par jugement en date du 28 avril 2014, le Juge des tutelles de Caen a placé Monsieur H sous curatelle renforcée désignant une association tutélaire en qualité de curateur.

L’association s’est aperçue que Monsieur P n’effectuait aucun versement postérieurement à celui effectué à la signature de l’acte qui devait correspondre de prime abord à la première annuité.

Pour cette dernière, il y avait matière à remettre en question cette vente en viager,

C’est dans ces circonstances qu’un commandement de payer visant la clause résolutoire a été signifié le 29 décembre 2015 à Monsieur P débirentier lui enjoignant de payer dans le délai d’un mois la somme de 17 882,57 euros au titre de la rente viagère, de remettre en état les dépendances et les meubles qui avaient été détruits entre temps par un incendie.

Par acte d’huissier en date du 8 mars 2016, l’association a fait assigner Monsieur P devant le Tribunal d’Instance pour :

Un premier jugement a été rendu le 27 juin 2016 assorti de l’exécution provisoire,

Cependant ce n’était pas la la seule procédure,

En effet, par jugement du 8 juillet 2016, le Tribunal de Grande Instance de Caen a prononcé la résolution du plan d’apurement du passif de Monsieur P et une procédure de liquidation judiciaire en fixant la date de cessation des paiements au 10 mars 2016.

Le mandataire liquidateur qui a été désigné a immédiatement fait appel du jugement querellé concernant cette problématique de vente en viager.

Or, par la suite, la procédure collective a évolué puisque par ordonnance de référé du 7 février 2017, le Premier Président de la Cour d’Appel a suspendu l’exécution provisoire attachée au jugement du 27 juin 2016.

Par arrêt du 27 avril 2017, la Cour d’Appel de Caen a infirmé le jugement du 8 juillet 2016 et dit « n’y avoir lieu à l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de Monsieur P. »

Or, dans cette affaire, concernant la remise en question de la vente en viager, la problématique tournait autour de 3 axes.

Premièrement, l’appel du mandataire liquidateur était-il recevable puisque c’est lui qui avait engagé l’appel et non pas Monsieur B ?

Deuxièment, la clause résolutoire de cette vente en viager était elle acquise ?

Troisiemement, y avait-il matière à ordonner la remise en état ?

Concernant l’appel de la liquidation judiciaire, il importe de préciser que concernant la régularité de la procédure, la Cour d’Appel relève qu’il est constant que Monsieur P n’était pas encore placé en liquidation judiciaire lorsque le jugement du 27 juin 2016 a été rendu mais lorsque l’appel a été interjeté le 19 aout 2016, Monsieur P était alors bel et bien en liquidation judiciaire.

Seul le liquidateur pouvait effectivement régulariser l’appel.

Il convient de rappeler qu’en cas de liquidation judiciaire, le débiteur est en effet déssaisi par la décision prononçant la liquidation judiciaire de telle sorte que c’est le liquidateur qui exerce tous les droits et actions concernant son patrimoine durant toute la durée de la procédure.

Il en va de même concernant les problématiques liées à une vente en viager,

Dans le cadre de cette procédure, concernant la question de l’acquisition de la clause résolutoire, Monsieur P s’est d’abord contenté d’affirmer qu’il rencontrait des difficultés économiques et avait fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire ayant abouti à un plan d’apurement du passif et que de difficultés complémentaires l’avaient empêché de faire face aux annuités du plan mais également au versement de la rente annuelle.

Monsieur P précisait que la réformation du jugement l’ayant placé en liquidation judiciaire lui permettrait d’apurer sa dette envers Monsieur H et il s’estimait être débiteur malheureux et de bonne foi.

Il ajoutait avoir toujours eu l’intention de remettre les lieux en l’état.

Il n’en demeure pas moins que la Cour d’Appel a une approche particulièrement sévère,

Dans un premier temps elle souligne qu’il résulte des pièces produites que la rente viagère à la charge de Monsieur P n’a plus été payée depuis le mois d’août 2014 alors même que ce paiement constitue l’obligation principale de l’appelant.

Puis, elle souligne que le délai imparti par le commandement de payer visant la clause résolutoire inscrite au contrat qui avait été délivré le 29 décembre 2015 était largement expiré lorsque Monsieur H a saisi le Tribunal de Grande Instance en demande de résolution de la vente.

Dès lors, pour la Cour, il convenait d’appliquer la clause qui précisait « qu’à défaut de paiement à son exacte échéance, d’un seul terme de la rente viagère présentement constituée, la présente vente sera de plein droit et sans mise à demeure préalable, purement et simplement résolue sans qu’il soit besoin de remplir aucune formalité judiciaire, un mois après un simple commandement de payer demeuré infructueux contenant déclaration par le crédirentier de son intention d’user du bénéfice de la présente clause.

Dans ce cas toutes les sommes perçues par le vendeur (bouquets et les arrérages de rente) seront de plein droit définitivement acquises au crédirentier sans recours ni répétition de la part de l’acquéreur défaillant à titre de dommages intérêts et d’indemnités forfaitairement fixés. »

Enfin, concernant la problématique relative à l’incendie, la Cour retient qu’il est établi et incontesté que les lieux objets de la vente ont été sinistrés par un incendie qui a endommagé gravement le garage, l’ancienne charretterie, les écuries ce qui a valu à Monsieur P de recevoir de son assureur une indemnisation substantielle de près de 147 000 euros qu’il a toutefois omis de consacrer à la remise en état qui s’imposait, malgré la sommation délivrée le 27 décembre 2015.

La Cour d’Appel ne répond pas vraiment sur la problématique de l’incendie puisqu’elle ne fait que trancher la difficulté relative au fait que la vente en viager aurait été litigieuse au motif pris de l’absence totale de bouquet qui découlerait d’un état de vulnérabilité.

Dès lors, s’il y avait bel et bien vulnérabilité il y avait donc vice du consentement et dans ce cas, il fallait plutôt que de prononcer la résolution judiciaire du contrat de vente en viager envisager sa nullité.

A mon sens, cela aurait été plus efficace.

Cette décision mérite malgré tout réflexion car la problématique de l’injonction de remise en état des dépendances n’est absolument pas abordée par la Cour,

En effet, celle-ci ne fait que reprendre les faits sans réellement réflechir à l’impact que cela pourrait avoir sur la nullité ou la résolution de cette vente en viager et savoir si oui ou non cela devait finalement peser sur les épaules du crédirentier ou du débirentier.

Enfin, c’est omettre l’impact de la procédure collective qui a malgré tout un sens,

En effet, la question se pose malgré tout de savoir si en l’état de la liquidation judiciaire, la demande en résolution du contrat se heurterait pas valablement aux effets automatiques de ladite liquidation.

En effet, dans la mesure où il y a l’ouverture d’une liquidation judiciaire pour lequel est attaché le principe d’interdiction des poursuites, cela devrait mettre suffisamment à mal l’idée même d’une demande de constatation de résolution du contrat par application d’une clause résolutoire.

Une jurisprudence dominante considère qu’à partir du moment où la clause a produit ses effets avant le jugement d’ouverture, il est possible pour le Juge de constater la résolution de plein droit nonobstant l’ouverture de la procédure collective.

Sauf que dans l’hypothèse où appel a été interjeté la décision n’est pas définitive et par voie de conséquences, la Cour d’Appel n’aurait plus rien à constater.

Il importe d’ailleurs de préciser que cette solution a déjà été appliquée dans le cadre quasi identique d’une clause résolutoire insérée dans un contrat de vente en viager.

En effet, bon nombre de juridictions considèrent que le jeu de la clause résolutoire doit être écarté tant que la résolution n’a pas été constatée par une décision de justice à la date d’ouverture de la procédure collective.

La Cour de Cassation a consacré plusieurs fois cette thèse notamment par un arrêt de la 3ème Chambre Civile du 18 septembre 2012.

De prime abord, dans notre affaire, cela ne serait pas possible car la créance est apparue alors que Monsieur P était déjà en plan de redressement,

Bien plus, s’il est vrai que la liquidation judiciaire a été prononcée, celle-ci a très rapidement fait l’objet d’une rétractation par la Cour de telle sorte que l’arrêt des poursuites individuelles lié à l’ouverture de la procédure collective n’aurait de toute façon plus de sens.

Pour autant, cette jurisprudence étudiée est interressante puisqu’elle vient aborder cette  problématique spécifique quant à la question de l’acquisition de la clause résolutoire avant l’ouverture de la procédure collective nonobstant le fait que la décision ne serait pas définitive.

Cela permettait à Monsieur P de garder la propriété du bien,

Cette solution serait également rassurante pour les créanciers car il est bien évident que si Monsieur P, qui est en plan de redressement, se heurte à des difficultés de paiement et ne peux plus tenir son plan, il sera alors placé en liquidation judiciaire et l’actif ne serait alors plus garanti.

Vente en viager, ou pas.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr