En cas d’exequatur d’une sentence arbitrale, le juge français est il tenu d’élargir le champ de ces vérifications ? Ceci d’autant plus lorsque des faits de corruption pénalement condamnés sont à l’origine du différend commercial qui a entrainé le recours contractuellement prévu à un arbitrage ?

Article :

Il convient de s’intéresser à deux jurisprudences qui ont été rendues en septembre dernier et qui viennent aborder la problématique de l’exequatur d’une sentence arbitrale et du contrôle judiciaire qui peut être effectué par les magistrats à cette occasion.

En droit français, l’approche de l’exequatur est toujours abordée d’une manière dite minimaliste.

En effet, le Juge opère juste des vérifications d’usage notamment au titre du respect des règles d’ordre public international pour pouvoir procéder à l’exequatur d’une décision étrangère.

Dans le cas d’un arbitrage, le Juge français est à même de procéder à l’exequatur d’une décision arbitrale.

Pour autant, l’affaire semblait plus complexe qu’il n’en paraissait.

En effet, la phase d’arbitrage proprement dite s’était accompagnée d’une procédure pénale, distincte certes, mais caractérisant des faits de corruption de membres appartenant aux parties en présence dans le déroulement dudit arbitrage.

La question se posait de savoir si, finalement, le juge n’était pas tenu de procéder à un contrôle plus étendu et refuser, au besoin, de valider l’exequatur ?

La Cour de Cassation répond, une fois n’est pas coutume, par l’affirmative.

Dans cette affaire et suivant deux arrêts attaqués de la Cour d’Appel de Paris du 27 septembre et 15 novembre 2016, la société B et la société I avaient conclu le 13 décembre 2007 un contrat de vente d’urée en granulés à destination de deux Etats africains.

Invoquant le retard lors du déchargement du navire transportant la marchandise, la seconde société a mis en œuvre la convention d’arbitrage contenue au contrat et demandé le paiement de surestaries.

Au cours de l’instance arbitrale le 25 février 2013, les parties ont convenues que la société B paierait une somme d’un million de dollars US à la société I.

Il était alors question de procéder à l’exequatur de deux décisions, la sentence arbitrale du 6 mai 2015 qui condamné la société B au paiement de diverses sommes à la société I, dont le million de dollars, et une deuxième sentence arbitrale du 4 janvier 2016 relative aux frais de procédure.

Or, il était en même temps reproché à l’un des salariés de la société I d’avoir été corrompu par l’autre société, c’est dans ces circonstances qu’une décision correctionnelle a été rendue par le Tribunal Correctionnel de Paris condamnant l’intéressé et consacrant la réalité les faits de corruption.

Dans cette affaire un contrat de vente avait été conclu entre les deux sociétés et un litige était né suite à un retard de livraison.

Le Tribunal avait condamné le vendeur au paiement de diverses sommes mais par la suite le Tribunal Correctionnel de Paris avait déclaré l’acheteur coupable du délit de corruption au motif qu’il avait versé à un des salariés de la société B des commissions illicites.

La question était de savoir si les faits de corruption sus-évoqués avaient vocation à impacter la décision arbitrale et par là même empêcher son exéquatur.

La Cour d’Appel a rejeté la demande d’exequatur au motif qu’une décision correctionnelle avait été rendue pour des faits de corruption en lien direct avec l’objet de l’arbitrage.

La société I a formé un pourvoi en cassation en estimant que réserve faite du cas où le moyen est fondé sur un fait postérieur à la sentence arbitrale, ou encore du cas où le fait n’est porté à la connaissance de la partie qui peut l’invoquer que postérieurement à la sentence arbitrale, il incombe à la partie, qui a intérêt à se prévaloir de ce fait, de s’en prévaloir devant l’arbitre au cours de l’instance arbitrale et qu’à défaut, elle est irrecevable.

L’exequatur s’imposant, le juge français n’ayant pas à connaître de cette problématique de corruption… sic.

La société I faisait valoir que l’arbitre avait subordonné l’examen de la corruption telle qu’elle pouvait être constatée par le Juge correctionnel français à la constitution d’une garantie bancaire et que c’est en raison de l’absence de constitution de cette garantie que l’arbitre a décidé de rendre une décision sans attendre la décision de ce dernier.

La société I, responsable des faits de corruption, considérait quant à elle que les faits de corruption n’étaient pas établis lors de la procédure d’arbitrage et que dès lors rien n’empêchait l’exequatur, la décision correctionnelle étant inopérante et suffisamment distincte pour ne pas être liée à l’exequatur de la décision d’arbitrage.

La société I soutenait encore que le Juge de l’exequatur ne pouvait valablement retenir une atteinte à l’ordre public que si cette atteinte était flagrante, concrète et effective.

Dans la mesure où l’instance arbitrale ne portait que sur l’exécution de l’un des contrats conclus, rien n’empêchait une exequatur, ceci d’autant plus que le juge français ne déterminait pas vraiment un lien direct ou une incidence suffisante pour remettre en question les sentences arbitrales proprement dites.

La société I considérerait que si le Juge correctionnel français avait retenu l’existence du délit de corruption, en lien avec une problématique de surfacturation, rien ne laissait à penser que cela était suffisant pour remettre en question les deux sentences arbitrales rendues, de telle sorte que rien n’empêchait l’exequatur.

Pour autant, la Cour de Cassation ne s’y trompe pas.

La Haute juridiction retient, qu’après avoir énoncé que lorsqu’il est soutenu qu’une sentence donne effet à un contrat obtenu par corruption, il appartient bien entendu au Juge français de l’exequatur d’apprécier si l’exécution de la sentence viole, ou non, la conception française de l’ordre public international,

Ainsi, la Cour d’Appel, dont l’étendue du contrôle quant au respect de l’ordre public de fond ne pouvait être conditionnée par l’attitude d’une partie devant l’arbitre, n’était pas tenue de s’expliquer sur une circonstance tirée du non-renouvellement par la société B de la garantie bancaire.

La Cour de cassation retient ensuite, qu’ayant énoncé que la vente litigieuse avait été conclue, à des conditions déséquilibrées au détriment de la société B, par son salarié, en raison de sa corruption par la société I, que l’illicéité de ce contrat avait été établie par le Juge pénal et que la reconnaissance de la sentence permettrait à la société I de retirer les bénéfices du pacte corruptif, c’est bon droit que la Cour d’Appel a retenu que ce pacte délictueux était à l’origine de la condamnation prononcée par l’arbitre,

De telle sorte que la Cour d’appel avait légalement justifié sa décision de ne pas reconnaître en France cette sentence violant la conception française de l’ordre public international.

Cette décision est à saluer pour deux raisons.

En premier lieu, cette jurisprudence confirme que dans l’hypothèse où il y aurait des faits de corruption qui auraient permis à l’un des co-contractants d’en tirer avantage, et, en cas de litige, d’obtenir une indemnisation conséquente sans que ces faits de corruption impacte sérieusement la sentence arbitrale, l’exequatur d’une sentence arbitrable découlant d’un manquement contractuel directement lié aux faits de corruption vient contrevenir à l’ordre public français.

En deuxième lieu, de manière plus générale, cette jurisprudence rappelle qu’il appartient aux parties qui sollicitent l’exequatur d’une décision de s’assurer que celle-ci est parfaitement conforme aux règles de droit privé international.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

Recommended Posts

No comment yet, add your voice below!


Add a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *