Péremption d’instance et médiation font-ils bon ménage ?

Qu’en est il de l’articulation entre mode amiable du règlement d’un litige et la procédure judiciaire ? L’acceptation par une partie d’une médiation proposée par la juridiction, après l’expiration du délai de péremption, vaut elle renonciation à se prévaloir du bénéfice de la péremption d’instance ?

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour de Cassation, Chambre Sociale,  en mai 2018, qui aborde la question de la péremption d’instance, laquelle jurisprudence fait l’objet d‘un commentaire en vue d’être transposé en droit de la saisie immobilière et en droit des voies d’exécution,

La question était de savoir si l’acceptation d’une médiation, pouvait emporter la renonciation à soulever la péremption d’instance.

Dans cette affaire, la Cour de Cassation considère que l’acceptation par une partie d’une médiation proposée par la juridiction, après l’expiration du délai de péremption, ne vaut pas renonciation à se prévaloir du bénéfice de la péremption d’instance.

Cette jurisprudence est d’autant plus intéressante que certains prêts bancaires prévoient des recours préalables à des phases de médiation ou de conciliation,

En l’espèce, M. X… a été engagé à compter du 12 octobre 1987, en qualité de chef opérateur du son, selon contrats de travail à durée déterminée successifs d’usage, par la société FT.

A compter du 26 février 2006, la société ne lui ayant plus fourni de travail, il a saisi la juridiction prud’homale ;

La cour d’appel, statuant sur l’appel d’un premier jugement du conseil de prud’hommes ayant requalifié en contrat à durée indéterminée à temps partiel les contrats à durée déterminée d’usage conclus entre les parties, a, par ordonnance du 10 mai 2010, ordonné la radiation du rôle de l’affaire et prescrit des diligences à la charge des parties à peine de péremption ; qu’après que le conseil de prud’hommes, dans un second jugement, a condamné la société à payer des rappels de salaire au salarié,

Or, le salarié a interjeté appel de ce jugement alors que la société formait quant à elle un appel incident, et a sollicité le rétablissement de l’affaire radiée ainsi que la jonction des deux instances pendantes devant la cour d’appel.

Une médiation a été ordonnée par la cour d’appel avec l’accord des deux parties.

Après l’échec de la médiation, par arrêt du 16 juin 2016, la cour d’appel a, notamment, rejeté le moyen soulevé par le salarié tiré de la péremption d’instance.

En effet la Cour a rejeté l’exception tirée de la péremption d’instance soulevée par le salarié,

Puis, sur le fond, la Cour a décidé que la rupture de la relation de travail était intervenue le 26 février 2006 et qu’elle s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et débouter l’intéressé de ses demandes,

Pour motiver sa décision, la Cour d’appel retient deux arguments,

D’une part, qu’une médiation avait été ordonnée par la cour avec l’accord des deux parties, ce dont il se déduisait que la procédure d’appel se poursuivait,

Et, d’autre part, que l’instance opposant les deux parties étant toujours en cours, du fait de l’appel frappant le jugement du 7 mars 2014,

De telle sorte qu’il était loisible aux parties, en vertu du principe de l’unicité de l’instance, de soumettre à la Cour toutes les demandes liées au même contrat de travail.

A bien y comprendre il n’y aurait pas de péremption d’instance,

Fort heureusement, la Cour de Cassation ne partage pas cet avis,

La Haute Juridiction considère et précise que le point de départ de la péremption d’instance s’établit à la date de l’ordonnance de radiation, soit le 10 mai 2010,

De telle sorte que la péremption d’instance était acquise au 10 mai 2012,

Dès lors, le premier jugement avait acquis l’autorité de la chose jugée à la même date, ce dont il résultait que le principe d’unicité de l’instance prud’homale était sans effet à cet égard, la cour d’appel a ainsi violé les textes susvisés .

Cette décision est intéressante puisqu’elle vient aborder la problématique de cette articulation sensible entre mode amiable du règlement du litige et procédure judiciaire.

La Cour de cassation considère donc que le principe de la péremption d’instance peut être soulevé à tout moment par celui qui souhaite s’en prévaloir.

Il convient de préciser que l’article 388 du Code de Procédure Civile dispose en son premier alinéa que « La péremption doit, à peine d’irrecevabilité, être demandée ou opposée avant tout autre moyen ; elle est de droit. »

Tout laisse à penser que la péremption d’instance devient une véritable mesure d’ordre plus que la prise en compte de la volonté des parties d’abandonner l’instance.

Immanquablement, la péremption d’instance est un moyen de sanction quant à l’inertie d’une des parties dans le cadre de la procédure étant précisé que le Code de Procédure Civile prévoit, notamment depuis le décret n° 2017-892 du 6 mai 2017 que le Juge peut la soulever d’office.

Dès lors la question est de savoir si la péremption d’instance ne devient pas tantôt une mesure d’ordre tantôt une sanction visant à purger et à limiter autant que faire ce peut le contentieux.

Cela est d’autant plus remarquable que les délais d’audiencement devant la Cour d’Appel sont longs, voire très longs,

Cette jurisprudence met bien en exergue le fait que si les textes et la philosophie actuelle est de privilégier la médiation, il n’en demeure pas moins que la phase contentieuse doit rester une priorité.

En effet, dans l’hypothèse où aucun accord ne pourrait être trouvé, seule la phase contentieuse permettrait de régler le problème et permettrait au Juge de s’exprimer sous réserves que ce dernier ne soulève pas la péremption d’instance au motif pris que la procédure aurait durée trop longtemps.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

Responsabilité du gérant et liquidation judiciaire après une conciliation

Un mandataire liquidateur, qui avait été préalabalment désigné conciliateur afin de sauver l’entreprise, est il en droit d’engager la responsabilité du gérant pour insuffisance d’actifs alors que l’article L812-8 du Code du commerce prévoit une incompatibilité sur ce point ? le mandataire liqudiateur peut il reprocher au gérant des fautes commises postérieurement à l’ouverture de la procédure collective ?

Article :

Il convient de s’intérresser à un arrêt rendu en novembre qui vient aborder la spécificité de la faute du gérant pour laquelle le mandataire ne manque pas de le poursuivre en responsabilité du gérant pour insuffisance d’actifs.

Il convient de savoir si la responsabilité du gérant peut être exposée pour des fautes commises postérieurement au jugement d’ouverture ou pour des fautes antérieures.

La société S était dirigée par Madame X.

Celle-ci avait bénéficié d’une procédure de conciliation et Maître Y mandataire judiciaire avait été désigné en qualité de conciliateur.

Le 8 octobre 2007, la société S avait été placée en redressement judiciaire, Maître Y étant désigné comme mandataire judiciaire et le 5 février 2008, la société S avait été placée en liquidation judiciaire, Maitre Y étant désigné liquidateur.

C’est dans ces circonstances que ce dernier, alors qu’il n’avait eu de cesse d’accompagner Madame X a décidé de l’assigner aux fins d’engager sa responsabilité du gérant pour insuffisance d’actifs.

Or, dans cette affaire, Madame X a été condamnée sur la base de fautes de gestion postérieures à l’ouverture de la procédure collective.

Ce qui n’est pas commun,

Pour autant, la question demeure, est ce valable et juridiquement possible ?

La Cour de Cassation n’a pas manqué de casser l’arrêt et de rappeler la mécanique spécifique de la faute de gestion en droit de l’entreprise en difficulté.

La responsabilité du gérant ne peut être caractérisée de la sorte,

La Cour d’Appel d’Aix en Provence qui a été sanctionnée par la Haute juridiction considérait que la gérante n’avait pas déposé de déclaration de résultat pour la période de 2007 à 2008,

Que par ailleurs, la Cour d’appel considérait également que la responsabilité du gérant découlait d’une absence totale d’arrété de chantier sur plusieurs chantiers qui avaient été purement et simplement abandonnée par la gérante, et ce, après l’ouverture de la procédure collective.

Ces éléments sont générateurs de fautes de gestion,

Mais dans le cadre du droit de l’entreprise en difficulté, la responsabilité du gérant ne pouvait être abordée que sur la base de fautes de gestion antérieures.

Il est vrai que l’article L. 651-2 du Code de Commerce qui aborde la problématique de la faute de gestion ne précise pas la période de ladite faute de telle sorte qu’on ne saurait savoir si le mandataire judiciaire pourrait venir reprocher une faute de gestion qu’elle soit antérieure ou postérieure.

Pour autant,  il convient de rappeler la philosophie du droit de l’entreprise en difficulté et notamment la rigueur des textes antérieurs qui ont clairement rappelés que, sous le régime ancien, seule la gestion du dirigeant social antérieure au jugement de l’ouverture de la procédure collective était génératrice de responsabilité du gérant en cas de fautes.

Il convient de préciser que le débiteur n’avait pas manqué de contester l’initiative du mandataire liquidateur qui souhaiter engager la responsabilité du gérant.

En effet, le débiteur était parfaitement fondé à venir rappeler que Maître Y avait été désigné en qualité de conciliateur et l’avait assisté pour faire face à ses difficultés économiques,

Dès lors, il était particulièrement spécieux de venir par la suite lui reprocher des fautes qu’il avait pu appréhender dans un rapport de confiance absolue.

Il convient de rappeler que Maître Y désigné en qualité de conciliateur par ordonnance du président du président du Tribunal de Commerce en date du 22 décembre 2006, avait été, par la suite, désigné en qualité de mandataire judiciaire par jugement du même tribunal en date du 8 octobre 2007 soit moins d’un an avant la fin de sa mission de conciliateur, en méconnaissance des dispositions de l’article L 812-8 du Code de Commerce.

Il est vrai que l’incompatibilité édictée par l’article L 812-8 du Code de Commerce n’est pas une incompatibilité absolue puisqu’elle n’impose que l’écoulement d’un délai d’un an entre l’exercice des fonctions de conciliateur et celles de mandataire judiciaire lorsqu’il s’agit de la même entreprise.

La Cour de Cassation considère qu’elle n’est assortie d’aucune sanction légale et n’entraîne donc pas ipso facto la nullité de la désignation du mandataire et des actes accomplis par ce dernier dans l’exercice de sa mission.

Il ne serait donc pas possible de solliciter la nullité de l’action en responsabilité du gérant pour insuffisance d’actif sur cette base,

Le conciliateur pourrait donc être désigné mandataire judiciaire en parfaite violation de la loi et la Cour de Cassation considère qu’il n’y a pas de sanctions suffisantes pour l’en empêcher.

La Cour de Cassation est assez sévere tout comme le mandataire puisque ces derniers viennent exciper qu’il appartient au dirigeant de rapporter la preuve que les éléments de fait articulés par Maître Y à l’appui de son action en comblement du passif, ont pu être recueillis à l’occasion de l’exercice de ses fonctions de mandataire judiciaire puis de liquidateur, e

Or, Pour la Haute juridiction, il n’est pas démontré ni même allégué par Madame X  que la présentation de ces griefs aurait été permise ou facilitée par l’exercice antérieur d’un mandat de conciliateur .

A mon sens, c’est inverser la charge de la preuve et violer l’esprit de l’article L 812-8 du Code de Commerce.

Par ailleurs, le mandataire judiciiare ne manque pas d’imagination et vient retenir entre 5 et 6 fautes à l’encontre du dirigeant.

Le liquidateur reproche tout d’abord à Mme X  d’avoir omis d’effectuer la déclaration de cessation de la société dans le délai légal et d’avoir poursuivi, au cours de l’exercice comptable du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2007, une activité déficitaire à l’origine de l’aggravation du passif.

La Cour de Cassation ne partage pas cet avis puisque la H aute juridiction considère que cette situation d’endettement est insuffisante à caractériser un état de cessation des paiements en l’absence d’éléments d’information sur les éventuels moratoires consentis par les créanciers et sur les actifs disponibles et sur les concours financiers dont disposait la société à cette date.

Ceci d’autant plus que la gérante avait pris soin de mettre des moratoires en place,

Bien plus, elle n’avait pas manqué de solliciter la désignation d’un conciliateur qui avait rendu son premier rapport en mai 2007 dans lequel il  concluait à la possibilité de parvenir à un moratoire sur trois ans.

Cette réponse de la Cour de cassation permet mieux d’appréhender l’incompatbilité de L 812-8 du Code de Commerce puisqu’on peut quand même trouver curieux de voir le conciliateur en 2007 préciser qu’il est favorable à un moratoire sur trois ans, puis de changer son fusil d’épaule en liquidation judiciaire et venir engager la responsabilité du gérant pour insuffisance d’actifs au motif qu’il n’était pas en mesure de faire face à son passif.

Maître Y reproche en second lieu à Mme X, le défaut de tenue d’une comptabilité régulière  car aucun bilan ni compte de résultat relatif à l’exercice comptable du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2007 n’ont été, selon lui, établis ou remis par le gérant,

La Cour de Cassation considère que l’entreprise faisait un chiffre d’affaires de plus de 2 000 000 euros avec près de 13 salariés, de telle sorte que l’absence de comptabilité fiable privait le dirigeant et le mandataire d’un outil de gestion indispensable et des éléments nécessaires à l’appréciation de la capacité de l’entreprise à financer la période d’observation.

Ceci constituant une absence de visibilité ayant contribué à la création d’un passif complémentaire.

Le mandataire vient encore reprocher à Mme X  une défaillance dans le suivi de la bonne marche de l’entreprise et indique que le listing établi par le cabinet d’expertise comptable F désigné à cette fin par le juge commissaire révèle un nombre important de clients douteux et de litiges ou procès en cours.

Concernant les chantiers de l’entreprise, l’existence de malfaçons, inachèvements, non conformités, sont soulevés par différents clients qui entendent s’opposer au paiement des soldes réclamés par le liquidateur.

Comme le retient la Cour de Cassation, plusieurs chantiers ont été abandonnés après l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire sans qu’aucun arrêté de chantier ne soit dressé,

Cette absence de rigueur dans le suivi de l’exécution des travaux et l’absence de diligences nécessaires à leur mise en paiement est à l’origine de l’impossibilité pour l’entreprise de recouvrer une partie de ses créances et a contribué à l’insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire.

Qu’il est enfin reproché à Mme X  un usage des biens et du crédit de la société contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins personnelles, des frais de voyage et de réception engagés pour un montant de 20.585 €,alors même que Mme X  n’est pas en mesure de s’expliquer sur le rapport entre l’engagement de ces frais et l’objet social de sa société.

Enfin, Madame X n’a pas manqué de souscrire en 2004 et 2005 des contrats de crédit bail pour trois véhicules de direction Mercedes Classe C dont deux véhicules coupé sport, attribués à Mme X… et à son associé, en plus du financement des différents véhicules alors que l’entreprise rencontrait des difficulté.

S’il est vrai que les fautes de gestion sont multiples,il appartient à la Cour de Cassation de faire la part des choses pour caractériser la responsabilité du gérant,

Elle rappelle que lorsque plusieurs fautes de gestion ayant contribué à une insuffisance d’actif sont retenues, chacune d’elles doit être légalement justifiée; que seules des fautes de gestion commises antérieurement à l’ouverture de la procédure collective peuvent être imputées au dirigeant poursuivi en comblement de l’insuffisance de l’actif.

Tel est donc l’apport de cet arrêt qui vient mettre en exergue deux points.

Premierement au titre des fautes de gestion, les juges du fond ne peuvent pas prendre en considération des fautes commises postérieurement à l’ouverture de la procédure collective et deuxiemement l’arrêt vient s’interroger sur la compatibilité de la désignation d’un mandataire judiciaire alors qu’il était précedement désigné en qualité de conciliateur.

Il est regrettable que la Cour de Cassation considère que l’incompatibilité édictée par loi n’est pas génératrice de sanctions en tant que telle ce qui permet au mandataire liquidateur de faire ce que bon lui semble et notamment d’engager la responsabilité du gérant.

Que pour autant, sur cette problématique particulière, il n’ échappera pas au lecteur attentif que si sous sa casquette de conciliateur celui-ci semble croire à un sauvetage de l’entreprise avec un moratoire sur trois ans, il change complétement son fusil d’épaule lorsqu’il devient mandataire liquidateur en venant chercher la responsabilité du gérant pour insuffisance d’actifs.

Fort heureusement, le gérant a bon nombre de moyens de droit et de fait à sa disposition pour contrer les prétentions du mandataire liquidateur,

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr