Cas
d’école d’une vente en viager,
lorsque le crédirentier engage une action aux fins de constater l’acquisition
de la clause résolutoire. Parcours procédural semé d’embuches, surtout lorsque
le bien immobilier a subi un incendie et que le débirentier se retrouve en
liquidation judiciaire.
Article :
Il
convient de s’intérresser à un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Caen en ce
début d’année 2018 qui vient aborder la problématique d’une vente en viager dans laquelle le
credirentier a engagé une action aux fins de constater l’acquisition de la
clause résolutoire alors même que le bien avait fait l’objet d’un incendie et
que le débiteur était en liquidation judiciaire.
Dans
cette affaire, par acte authentique du 8 février 2012, Monsieur H né en 1950
célibataire et sans enfant propriétaire de son bien avait cédé, par le biais
d’une vente en viager, à Monsieur P
un ensemble immobilier comprenant une maison d’habitation, dépendances et
jardin sous forme viagère, le vendeur se réservant la jouissance de l’usufruit sa
vie durant et l’acquéreur devant s’acquitter d’une rente annuelle de
12 640,81 euros sans qu’il soit prévu une somme immédiatement exigible et plus
connue sous le nom de « bouquet ».
Seule
la rente annuelle était due.
A la
suite d’un signalement auprès du Procureur de la République faisant état d’abus
de faiblesse sur la personne du vendeur, le Juge des tutelles a été saisi aux
fins d’ouverture d’une mesure de protection à l’égard de Monsieur H.
Par
jugement en date du 28 avril 2014, le Juge des tutelles de Caen a placé
Monsieur H sous curatelle renforcée désignant une association tutélaire en
qualité de curateur.
L’association
s’est aperçue que Monsieur P n’effectuait aucun versement postérieurement à
celui effectué à la signature de l’acte qui devait correspondre de prime abord
à la première annuité.
Pour
cette dernière, il y avait matière à remettre en question cette vente en viager,
C’est
dans ces circonstances qu’un commandement de payer visant la clause résolutoire
a été signifié le 29 décembre 2015 à Monsieur P débirentier lui enjoignant de
payer dans le délai d’un mois la somme de 17 882,57 euros au titre de la
rente viagère, de remettre en état les dépendances et les meubles qui avaient
été détruits entre temps par un incendie.
Par
acte d’huissier en date du 8 mars 2016, l’association a fait assigner Monsieur
P devant le Tribunal d’Instance pour :
Un
premier jugement a été rendu le 27 juin 2016 assorti de l’exécution provisoire,
Cependant
ce n’était pas la la seule procédure,
En
effet, par jugement du 8 juillet 2016, le Tribunal de Grande Instance de Caen a
prononcé la résolution du plan d’apurement du passif de Monsieur P et une
procédure de liquidation judiciaire en fixant la date de cessation des
paiements au 10 mars 2016.
Le
mandataire liquidateur qui a été désigné a immédiatement fait appel du jugement
querellé concernant cette problématique de vente
en viager.
Or, par
la suite, la procédure collective a évolué puisque par ordonnance de référé du
7 février 2017, le Premier Président de la Cour d’Appel a suspendu l’exécution
provisoire attachée au jugement du 27 juin 2016.
Par
arrêt du 27 avril 2017, la Cour d’Appel de Caen a infirmé le jugement du 8
juillet 2016 et dit « n’y avoir lieu
à l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de Monsieur
P. »
Or,
dans cette affaire, concernant la remise en question de la vente en viager, la problématique tournait autour de 3 axes.
Premièrement,
l’appel du mandataire liquidateur était-il recevable puisque c’est lui qui
avait engagé l’appel et non pas Monsieur B ?
Deuxièment,
la clause résolutoire de cette vente en
viager était elle acquise ?
Troisiemement,
y avait-il matière à ordonner la remise en état ?
Concernant
l’appel de la liquidation judiciaire, il importe de préciser que concernant la
régularité de la procédure, la Cour d’Appel relève qu’il est constant que
Monsieur P n’était pas encore placé en liquidation judiciaire lorsque le jugement
du 27 juin 2016 a été rendu mais lorsque l’appel a été interjeté le 19 aout
2016, Monsieur P était alors bel et bien en liquidation judiciaire.
Seul le
liquidateur pouvait effectivement régulariser l’appel.
Il
convient de rappeler qu’en cas de liquidation judiciaire, le débiteur est en
effet déssaisi par la décision prononçant la liquidation judiciaire de telle
sorte que c’est le liquidateur qui exerce tous les droits et actions concernant
son patrimoine durant toute la durée de la procédure.
Il en
va de même concernant les problématiques liées à une vente en viager,
Dans le
cadre de cette procédure, concernant la question de l’acquisition de la clause
résolutoire, Monsieur P s’est d’abord contenté d’affirmer qu’il rencontrait des
difficultés économiques et avait fait l’objet d’une procédure de redressement
judiciaire ayant abouti à un plan d’apurement du passif et que de difficultés
complémentaires l’avaient empêché de faire face aux annuités du plan mais
également au versement de la rente annuelle.
Monsieur
P précisait que la réformation du jugement l’ayant placé en liquidation
judiciaire lui permettrait d’apurer sa dette envers Monsieur H et il s’estimait
être débiteur malheureux et de bonne foi.
Il
ajoutait avoir toujours eu l’intention de remettre les lieux en l’état.
Il n’en
demeure pas moins que la Cour d’Appel a une approche particulièrement sévère,
Dans un
premier temps elle souligne qu’il résulte des pièces produites que la rente
viagère à la charge de Monsieur P n’a plus été payée depuis le mois d’août 2014
alors même que ce paiement constitue l’obligation principale de l’appelant.
Puis,
elle souligne que le délai imparti par le commandement de payer visant la
clause résolutoire inscrite au contrat qui avait été délivré le 29 décembre
2015 était largement expiré lorsque Monsieur H a saisi le Tribunal de Grande
Instance en demande de résolution de la vente.
Dès
lors, pour la Cour, il convenait d’appliquer la clause qui précisait « qu’à défaut de paiement à son exacte
échéance, d’un seul terme de la rente viagère présentement constituée, la
présente vente sera de plein droit et sans mise à demeure préalable, purement
et simplement résolue sans qu’il soit besoin de remplir aucune formalité
judiciaire, un mois après un simple commandement de payer demeuré infructueux
contenant déclaration par le crédirentier
de son intention d’user du bénéfice de la présente clause.
Dans ce cas toutes les sommes perçues par le vendeur (bouquets
et les arrérages de rente) seront de plein droit définitivement acquises au
crédirentier sans recours ni répétition de la part de l’acquéreur défaillant à
titre de dommages intérêts et d’indemnités forfaitairement fixés. »
Enfin,
concernant la problématique relative à l’incendie, la Cour retient qu’il est
établi et incontesté que les lieux objets de la vente ont été sinistrés par un
incendie qui a endommagé gravement le garage, l’ancienne charretterie, les
écuries ce qui a valu à Monsieur P de recevoir de son assureur une
indemnisation substantielle de près de 147 000 euros qu’il a toutefois
omis de consacrer à la remise en état qui s’imposait, malgré la sommation
délivrée le 27 décembre 2015.
La Cour
d’Appel ne répond pas vraiment sur la problématique de l’incendie puisqu’elle
ne fait que trancher la difficulté relative au fait que la vente en viager aurait été litigieuse au motif pris de l’absence
totale de bouquet qui découlerait d’un état de vulnérabilité.
Dès
lors, s’il y avait bel et bien vulnérabilité il y avait donc vice du
consentement et dans ce cas, il fallait plutôt que de prononcer la résolution
judiciaire du contrat de vente en viager
envisager sa nullité.
A mon
sens, cela aurait été plus efficace.
Cette
décision mérite malgré tout réflexion car la problématique de l’injonction de
remise en état des dépendances n’est absolument pas abordée par la Cour,
En
effet, celle-ci ne fait que reprendre les faits sans réellement réflechir à
l’impact que cela pourrait avoir sur la nullité ou la résolution de cette vente en viager et savoir si oui ou non
cela devait finalement peser sur les épaules du crédirentier ou du débirentier.
Enfin,
c’est omettre l’impact de la procédure collective qui a malgré tout un sens,
En
effet, la question se pose malgré tout de savoir si en l’état de la liquidation
judiciaire, la demande en résolution du contrat se heurterait pas valablement aux
effets automatiques de ladite liquidation.
En
effet, dans la mesure où il y a l’ouverture d’une liquidation judiciaire pour
lequel est attaché le principe d’interdiction des poursuites, cela devrait mettre
suffisamment à mal l’idée même d’une demande de constatation de résolution du
contrat par application d’une clause résolutoire.
Une
jurisprudence dominante considère qu’à partir du moment où la clause a produit
ses effets avant le jugement d’ouverture, il est possible pour le Juge de
constater la résolution de plein droit nonobstant l’ouverture de la procédure
collective.
Sauf
que dans l’hypothèse où appel a été interjeté la décision n’est pas définitive
et par voie de conséquences, la Cour d’Appel n’aurait plus rien à constater.
Il
importe d’ailleurs de préciser que cette solution a déjà été appliquée dans le
cadre quasi identique d’une clause résolutoire insérée dans un contrat de vente en viager.
En
effet, bon nombre de juridictions considèrent que le jeu de la clause
résolutoire doit être écarté tant que la résolution n’a pas été constatée par
une décision de justice à la date d’ouverture de la procédure collective.
La Cour
de Cassation a consacré plusieurs fois cette thèse notamment par un arrêt de la
3ème Chambre Civile du 18 septembre 2012.
De
prime abord, dans notre affaire, cela ne serait pas possible car la créance est
apparue alors que Monsieur P était déjà en plan de redressement,
Bien
plus, s’il est vrai que la liquidation judiciaire a été prononcée, celle-ci a
très rapidement fait l’objet d’une rétractation par la Cour de telle sorte que
l’arrêt des poursuites individuelles lié à l’ouverture de la procédure
collective n’aurait de toute façon plus de sens.
Pour
autant, cette jurisprudence étudiée est interressante puisqu’elle vient aborder
cette problématique spécifique quant à
la question de l’acquisition de la clause résolutoire avant l’ouverture de la
procédure collective nonobstant le fait que la décision ne serait pas
définitive.
Cela
permettait à Monsieur P de garder la propriété du bien,
Cette
solution serait également rassurante pour les créanciers car il est bien
évident que si Monsieur P, qui est en plan de redressement, se heurte à des
difficultés de paiement et ne peux plus tenir son plan, il sera alors placé en
liquidation judiciaire et l’actif ne serait alors plus garanti.
Vente en viager, ou
pas.
Article
rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat,
Docteur en Droit,
www.laurent-latapie-avocat.fr