Instance en référé-provision et entreprise débitrice en procédure collective

Laurent Latapie avocat procédure de référé
Laurent Latapie avocat procédure de référé

La procédure de référé-provision échappe-t’elle au principe de l’arrêt des poursuites individuelles lorsque l’entreprise débitrice fait le choix de se placer sous la protection du droit de l’entreprise en difficulté, en sollicitant une sauvegarde ou de redressement judiciaire. Le créancier peut-il malgré tout réclamer la provision obtenue ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu en décembre 2019 et qui vient aborder la question spécifique de la procédure de référé-provision et son enchevêtrement avec le droit de l’entreprise en difficulté lorsque l’entreprise se trouve sous le coup d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire.

 

Quels sont les faits ?

 

En août 2015, Madame L avait assigné en référé la société CI en paiement d’une provision sur le complément de prix stipulé par un acte de cession de parts sociales conclu entre les parties le 31 mars 2014.

 

Cependant, la société CI s’était alors placée sous la protection d’une procédure de sauvegarde le 27 juin 2017.

 

C’est dans ces circonstances que la société et son mandataire judiciaire ont frappé d’appel de l’ordonnance de référé en provision qui avait été rendue le 04 juillet 2007, soit postérieurement à l’ouverture de la procédure collective et qui avait accueilli la demande de provision.

 

Il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 873 du Code de procédure civile, le Président du Tribunal de commerce peut dans les limites de la compétence du tribunal et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un trouble, soit pour cesser un trouble manifestement illicite.

 

Bien plus, dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le Président du Tribunal de commerce peut accorder une provision au créancier ou ordonner encore l’exécution d’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

 

Or, dans cette affaire, la société CI avait alors été condamnée à payer à Madame L une « modeste provision » de 375 525 €, ce qui n’est quand même pas rien.

 

Or, à hauteur de Cour d’appel, et au visa de l’article L622-21 et L622-22 du Code de commerce, Madame L soutenait que l’instance en référé tendant à la condamnation du débiteur en paiement d’une provision n’était pas une instance en cours devant être interrompue par l’ouverture de la procédure collective,

 

De sorte que, selon Madame L, la Cour d’appel se devait de confirmer l’ordonnance et en condamner ladite société CI au paiement de la provision de 375 525 €.

 

Pour autant, c’est mal connaitre la portée générale du principe de l’arrêt des poursuites individuelles,

 

L’arrêt des poursuites individuelles

 

Cette ordonnance doit être affirmée, sachant qu’il ne peut y avoir référé, la demande en paiement étant alors devenue irrecevable en vertu de la sacro-sainte règle, de la règle de l’interdiction des poursuites édictées par le premier texte susvisé.

 

Cette jurisprudence est intéressante, la Cour de cassation considérant que la Cour d’appel était tenue de relever au besoin d’office l’irrecevabilité de la demande en paiement d’une provision en consigne et le Juge du fond devait alors constater qu’il revient au seul Juge-commissaire de se prononcer sur la déclaration de créance ce qui prive le Juge des référés de statuer sur la créance même en se bornant à la fixer provisoirement.

 

Cette jurisprudence est intéressante car elle met clairement en exergue le fait que l’arrêt des poursuites individuels est encore bien fondé en son principe et permet de sauver l’entreprise qui se retrouve acculée à une condamnation pour des montants importants.

 

Ce qui était le cas dans cette procédure.

 

Le droit de l’entreprise en difficulté permettant alors à l’entreprise de bénéficier des avantages de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, de bénéficier du principe de l’arrêt des poursuites individuelles et d’envisager par la suite de présenter un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire,

 

L’entreprise en difficulté échappant alors à la procédure de référé, qui est une procédure rapide par nature, et de s’inscrire par la suite dans une procédure au fond avec un débat paisible sur la fixation de la créance pour laquelle la société CI serait peut-être redevable.

 

Dès lors, cette jurisprudence est intéressante.

 

Elle rappelle, une fois de plus, que le droit de l’entreprise en difficulté demeure, tel une valeur refuge, une option stratégique importante pour préserver l’entreprise qui devrait rencontrer des difficultés et se retrouvant acculée dans le cadre d’un procès court tel que le référé-provision.

 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

Refus de signer un acte authentique de vente et point de départ de l’action en exécution forcée

Laurent Latapie Avocat UIA
Laurent Latapie Avocat UIA

Dans le cadre d’une vente immobilière, en cas de refus du cocontractant de signer l’acte authentique de vente, le demandeur peut-il solliciter d’un côté l’exécution forcée de la vente et de l’autre l’indemnisation du préjudice ? Quel est le délai de cette action en exécution forcée de la vente ? Quel est le point de départ de la prescription ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à une jurisprudence récente qui a été rendu par la Cour de cassation en octobre 2020, et qui vient aborder la problématique de l’exécution forcée de la vente lorsque l’une des parties, acquéreur ou vendeur, se refuse à réitérer l’acte et signer l’acte authentique de vente.

 

Il convient de rappeler qu’en matière de vente immobilière, à part quelques exceptions prévues dans le cadre des conditions du compromis de vente, l’expiration du délai fixé pour la réitération de la vente par acte authentique ouvre le droit pour chacune des parties, soit d’envisager une exécution forcée de la vente immobilière, soit d’en demander la résolution et l’indemnisation de son préjudice.

 

Dans certains cas même le demandeur peut solliciter d’un côté l’exécution forcée de la vente et de l’autre l’indemnisation du préjudice.

 

Dans certains cas celles-ci pouvant se cumuler.

 

La question est de savoir à partir de quand le demandeur à l’action est bien fondé à intervenir, rappelant bien que la date fixée aux fins de réitération de l’acte de vente dans le cadre du compromis est une date indicative et non pas une date impérative permettant juste à l’une des parties d’agir en exécution, ouvrant juste le droit pour chacune des parties d’agir tantôt en exécution forcée tantôt en indemnisation de son préjudice.

 

Quels sont les faits ?

 

Dans cette affaire, la SCI N avait consenti à la société la SCI DR une promesse synallagmatique de vente sous conditions suspensives une parcelle de terrain sur laquelle était édifié un immeuble non achevé.

 

Un avenant avait prorogé la date de réalisation des conditions suspensives et de signature de l’acte authentique de vente au 30 avril 2010.

 

Cependant, après 2 mises en demeure de réaliser la vente des 22 novembre 2013 et 12 mai 2015 demeurées infructueuses, la SCI N avait alors assigné la SCI DR en résolution de la vente qu’elle considérait parfaite en raison de la réalisation des conditions suspensives et en paiement des dommages et intérêts.

 

Cependant, dans le cadre de la procédure, la SCI DR avait opposé une fin de non-recevoir, liée à la prescription de l’action rappelant en tant que de besoin que nous sommes sur une prescription à 5 ans.

 

Qu’en est-il de la prescription de l’action ?

 

La SCI DR soutenait cette prescription en considérant que dans la mesure où la date de la réalisation des conditions suspensives était fixée au 30 avril 2010, toutes actions engagées après le 1er mai 2015 étaient nécessairement prescrites.

 

Cette jurisprudence répond à la question du point de départ de la prescription permettant à la partie lésée d’assigner aux fins d’exécution forcée de la vente.

 

Elle vient également rappeler dans quelles conditions il y a lieu de caractériser le refus du contractant de signer l’acte authentique de vente.

 

La SCI, quant à elle, soutenait que la prescription en action responsabilité contractuelle ne pouvait courir qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établie qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance.

 

Dès lors, en fixant un point de départ du délai de prescription au délai fixé par le compromis pour la réitération de la vente par acte authentique sans rechercher si à cette date la SCI N savait que la SCI DR abandonnait définitivement le projet, la Cour d’appel n’avait pas pu fonder en droit sa décision et c’est pour cela que la SCI N s’est pourvue en cassation.

 

La Cour de cassation rappelle en tant que de besoin que les actions personnelles et immobilières sont prescrites par 5 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

 

Cependant, quel point de départ retenir pour caractériser, ou non, la prescription ?

 

Ainsi, à bien y répondre, ce n’est pas parce que sur le compromis de vente il y a une date fixée que celle-ci correspond forcément le point de départ de la prescription dans le cadre de l’action aux fins d’exécution forcée de la vente.

 

En effet, la Cour de cassation rappelle qu’en matière de promesse de vente l’expiration du délai fixé pour la réitération de la vente par acte authentique ouvre, seulement, le droit pour chacune des parties soit d’agir en exécution forcée de la vente soit d’en demander la résolution et l’indemnisation de son préjudice.

 

Dès lors, le fait justifiant l’exercice de cette action ne peut consister que dans la connaissance par la partie titulaire de ce droit du refus de son co-contractant d’exécuter son obligation principale de signer l’acte authentique de vente.

 

Cette connaissance trouvant son expression au moment où l’acheteur se refusant s’exprime clairement soit en l’officialisant à travers une correspondance claire et non équivoque, et à défaut au jour de la signature de l’acte, sur convocation des parties, acheteur et vendeur, nécessairement par voie d’huissier et en établissant un procès-verbal de constat de difficultés liée soit à l’absence de l’une des parties, soit au refus de l’une des parties de signer l’acte réitératif,

 

Dès lors, à bien y comprendre la Cour d’appel n’avait pas de raison de déclarer l’action prescrite en retenant que le point de départ de la prescription aurait débuté le 1er mai 2010, soit le lendemain de la date fixée pour la signature de l’acte authentique de la vente.

 

Pour autant, la Cour de cassation ne partage pas cette analyse.

 

En effet, la Haute juridiction considère qu’en se déterminant ainsi la Cour d’appel n’a pas réussi à caractériser la connaissance à cette date par la SCI N, du refus de la SCI DR de ne plus acheter le bien.

 

Ainsi, force est de constater que le point de départ de la prescription découle clairement du moment où le vendeur a la parfaite connaissance du refus du co-contractant d’exécuter son obligation principale de signer l’acte authentique de vente.

 

Cette connaissance offre alors le droit pour chacune des parties soit d’agir en exécution forcée de la vente soit d’en demander la résolution et l’indemnisation de son préjudice.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr