Saisie immobilière et l’importance de la description juridique du bien saisi

Laurent LATAPIE avocat 2021 Guadeloupe caution
Laurent LATAPIE avocat 2021 Guadeloupe caution
Laurent LATAPIE avocat 2021 Guadeloupe caution

Dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière, la question se pose de savoir ce que doit comprendre le procès-verbal de description établi par l’huissier de justice ? La description doit-elle se limiter à la composition et la superficie ou doit-elle aussi comprendre la situation juridique du bien ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue par la Cour de cassation, première Chambre civile, ce 26 juin 2024, N°23-13.236, et qui rappelle que, dans le cadre d’une saisie immobilière, la description des lieux effectuée dès la signification du commandement de payer valant saisie immobilière doit s’entendre nécessairement de la situation juridique du bien et doit dès lors inclure l’empiètement d’un bien sur une parcelle contiguë à celle faisant l’objet de la saisie immobilière.

 

Quels sont les faits ?

 

Dans cette affaire, les consorts K, pour financer l’acquisition de diverses parcelles, avaient contracté un prêt auprès d’une banque garanti par une description de privilège de prêteur de deniers d’hypothèque conventionnelle.

 

Les consorts K, ayant rencontré des difficultés économiques, ont cessé de régler les échéances du prêt et la banque a procédé à la déchéance du terme et a envisagé le recouvrement forcé de sa créance en engageant une procédure de saisie immobilière des parcelles en question et c’est dans ces circonstances qu’elle a délivré un commandement de payer valant saisie le 14 avril 2008.

 

Une déchéance du terme, point de départ de la saisie immobilière

 

Le 05 mai 2008, soit dans la même foulée de la signification du commandement de payer valant saisie immobilière, Maître B, huissier de justice, a donc dressé à la demande du créancier saisissant le procès-verbal descriptif des parcelles visé au commandement de payer valant saisie.

 

La nullité du commandement de payer valant saisie immobilière

 

Le 16 novembre 2011, à la demande d’un acquéreur, un jugement a prononcé la nullité du commandement de payer, délivré le 14 avril 2008 ainsi que de tous les actes de procédure subséquent au motif pris que les parcelles saisies comportaient un bâtiment construit pour partie sur une parcelle non-saisie.

 

C’est dans ces circonstances que, le 22 février 2019, la banque considérant que son propre avocat intervenant pour lancer la procédure de saisie immobilière et l’huissier de justice ont commis des fautes et ont conduit l’annulation de la procédure de saisie immobilière et les a donc assignés en responsabilité et en indemnisation.

 

L’action en responsabilité de la banque contre son propre avocat et son propre huissier de justice

 

Or, l’huissier de justice s’est donc pourvu en cassation et faisait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de déclarer qu’il a engagé sa responsabilité civile professionnelle à l’égard de la banque et de la condamner à lui payer une certaine somme à titre de dommages et intérêts alors que, selon l’huissier instrumentaire dont la responsabilité était recherchée,

 

Quant à la question de la responsabilité de l’huissier de justice concernant la description des lieux la Cour d’appel considérait que la description des lieux telle que visée par l’article R 322-2 du Code des procédures civiles d’exécution ne s’entend pas seulement de leur composition et superficie mais également de la situation juridique du bien qui doit faire l’objet d’une présentation rigoureuse dans la mesure où ce procès-verbal est annexé au cahier des conditions de vente et qui ne doit ainsi comporter aucune inexactitude de nature à affecter la contenance du bien saisi.

 

Tandis que ce texte ne prévoit pas que soit inclus au procès-verbal de description un état de la situation juridique du bien, de telle sort que, pour l’huissier, la Cour d’appel avait violé par fausse interprétation de l’article R 322-2 du Code des procédures civiles d’exécution.

 

Il convient de reprendre le texte de l’article R 322-2 du Code des procédures civiles d’exécution qui a dit :

 

« Le procès-verbal de description comprend :

 

1° La description des lieux, leur composition et leur superficie ;

 

2° L’indication des conditions d’occupation et l’identité des occupants ainsi que la mention des droits dont ils se prévalent ;

 

3° Le cas échéant, le nom et l’adresse du syndic de copropriété ;

 

4° Tous autres renseignements utiles sur l’immeuble fournis, notamment, par l’occupant. »

 

C’est dans ces circonstances que la Cour de cassation rappelle que, selon l’article R 322-2 du Code des procédures civiles d’exécution, le procès-verbal de description comprend notamment la description des lieux par leur composition et leur superficie et tous autres renseignements utiles sur l’immeuble fournis, notamment, par l’occupant.

 

Quel contenu dans le procès-verbal de description ?

 

C’est donc, pour la Haute juridiction, à bon droit que la Cour d’appel en a déduit que la description des lieux s’entendait nécessairement de la situation juridique du bien et devait, dès lors, inclure l’empiètement d’un bien sur une parcelle contiguë à celle faisant l’objet de la saisie immobilière.

 

Cette jurisprudence est intéressante car elle rappelle en tant que de besoin que l’avocat intervenant, tout comme le commissaire de justice intervenant, pour l’établissement bancaire peut engager sa responsabilité lorsque finalement le débiteur ou un éventuel acquéreur arrive à faire prononcer la nullité du commandement de payer valant saisie immobilière et faisant ainsi tomber toute la procédure de saisie immobilière subséquente mais elle vient également rappeler que le procès-verbal de description du bien saisi doit bien sûr comprendre la description des lieux, leur composition et leur superficie, ainsi que tous autres renseignements utiles sur l’immeuble fournis, notamment, par l’occupant.

 

Cette description des lieux devant s’entendre nécessairement de la situation juridique du bien.

 

Cette obligation est à mon sens car elle est également utile et utilisable par le débiteur saisi qui peut également contester les conditions dans lesquelles ce procès-verbal de description du bien saisi peut être contesté.

 

À bon entendeur.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,

Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,

www.laurent-latapie-avocat.fr

L’adoption possible de l’enfant par la mère d’intention malgré le refus de la mère biologique

Un couple de femmes ayant un recours à une assistance médicale à procréation se sépare avec pertes et fracas par la suite. La mère d’intention souhaite adopter l’enfant désiré dans le cadre de leur projet parental commun mais se heurte au refus de la mère biologique. L’adoption est-elle possible ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue ce 23 mai 2024, Première Chambre civile, N°22-20.069, et qui vient apporter quelques précisions lorsqu’un couple de femmes a eu un recours à une procréation médicalement assistée dans le cadre d’un projet parental commun.

 

Un enfant voulu et désiré par un couple de femmes

 

Dans pareil hypothèse, cette jurisprudence vient consacrer l’idée suivant laquelle le Juge peut prononcer l’adoption de l’enfant par la femme n’ayant pas accouché et ce, même si la mère biologique refuse de reconnaitre conjointement l’enfant dès lors que ce refus est injustifié et que l’adoption sert l’intérêt de l’enfant apprécié souverainement par le Juge.

 

Quels sont les faits ?

 

Dans cette affaire, Madame D et Madame W s’étaient mariées le 23 juin 2018.

 

En couple depuis plusieurs années, elles poursuivaient un projet parental commun.

 

Le 04 octobre 2018, Madame D a donné naissance à F, né d’une assistance médicale à procréation pratiquée en Belgique avec un donneur anonyme.

 

Par acte notarié du 23 octobre 2019, elle a consenti à l’adoption plénière de l’enfant par Madame W, son épouse, or, ce consentement a été rétracté le 29 novembre suivant après la séparation du couple.

 

Une adoption plénière initiée dans le cadre d’un projet parental commun

 

C’est dans ces circonstances que, le 30 novembre 2020, Madame W a déposé une requête en adoption plénière de leur enfant commun, Mademoiselle F.

 

Il est bien évident que la mère biologique, Madame D, ne partageait pas cette analyse et, à hauteur de Cour de cassation, faisait grief à la Cour d’appel d’avoir prononcé l’adoption plénière de leur fille F au profit de Madame W.

 

Madame D faisait tout aussi grief à la Cour d’appel d’avoir, en conséquence, dit qu’elle portera les noms D et W et de transmettre l’arrêt en vue de sa retranscription avec mention sur les registres d’état civil et de dire de même logique qu’il appartiendra au Juge aux affaires familiales de statuer sur les modalités de l’autorité parentale.

 

Pour Madame D cela était inconcevable et celle-ci venait, à hauteur de Cour de cassation, soutenir plusieurs moyens.

 

Une adoption judiciaire forcée possible de l’enfant sans le consentement du parent biologique

 

Il est vrai qu’à titre exceptionnel le Tribunal peut prononcer l’adoption forcée d’un enfant sans consentement du parent biologique s’il relève par une décision spécialement motivée que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l’intérêt de l’enfant et si la protection de ce dernier l’exige.

 

Pour autant, Madame D venait reprocher à la Cour d’appel d’avoir prononcé cette adoption en se bornant à relever qu’il y avait des difficultés entre Madame D et Madame W et que ces dernières portaient une affection sans pareil pour leur enfant commune, Mademoiselle F.

 

Or, Madame D considérait que Madame W, à plusieurs reprises, s’était désintéressée de l’enfant et ne méritait du coup pas cette adoption plénière.

 

Une mère d’intention se désintéressant de l’enfant ?

 

Puis, bien plus, Madame D reprochait finalement à Madame W de ne pas rapporter la preuve suivant laquelle un double lien de filiation constituait une protection complémentaire pour l’enfant sans même s’expliquer sur les conditions dans lesquelles cette protection aurait vocation à bénéficier à Mademoiselle F.

 

C’est l’occasion parfaite pour la Cour de cassation de venir finalement s’exprimer sur les conditions dans lesquelles une adoption peut être faite au profit de la mère d’intention lorsqu’un couple de femmes a eu recours à une procréation médicalement assistée dans le cadre d’un projet parental commun et que finalement le couple se sépare et que la mère biologique souhaite en tirer tous les bénéfices au détriment clairement de la mère d’intention.

 

La Cour de cassation vise l’article 6-4 alinéa 1er de la Loi numéro 2021-1017 du 02 août 2021 relative à la bioéthique qui précise que lorsqu’un couple de femmes a eu recours à une assistance médicale à procréation à l’étranger avant la publication de la présente Loi, il peut faire devant le notaire une reconnaissance conjointe de l’enfant dont la filiation n’est établie qu’à l’égard de la femme qui a accouché.

 

Un couple de femmes ayant un recours à une assistance médicale à procréation

 

Cette reconnaissance établie la filiation à l’égard de l’autre femme.

 

L’article 9 de la Loi N°2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l’adoption dispose quant à lui que, à titre exceptionnel, pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente Loi lorsque sans motif légitime la mère inscrite dans l’acte de naissance de l’enfant, autrement dit la mère biologique, refuse la reconnaissance conjointe prévue au 4 de l’article 6 de la Loi numéro 2021-1017 du 02 août 2021 relative à la bioéthique, la femme qui n’a pas accouché peut demander à adopter l’enfant sous réserve de rapporter la preuve du projet parental commun et de l’assistance médicale à procréation réalisée à l’étranger avant la publication de la même Loi dans les conditions prévues par la Loi étrangère sans que puisse lui être opposé l’absence de lien conjugal, ni la condition de durée d’accueil prévue au premier alinéa de l’article 345 du Code civil.

 

Le Tribunal prononce l’adoption s’il estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l’intérêt de l’enfant et si la protection de ce dernier l’exige.

 

Quel est l’intérêt de l’enfant ?

 

Le tribunal statue par une décision spécialement motivée, l’adoption entraine les mêmes effets, droits et obligations qu’en matière d’adoption de l’enfant du conjoint, du partenaire d’un pacte civil de solidarité, du concubin.

 

Ainsi, comme le souligne très justement la Haute juridiction, le pourvoi pose la question de savoir si le législateur en prévoyant que le Tribunal prononce l’adoption s’il estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l’intérêt de l’enfant et, si la protection de ce dernier l’exige, à entendu subordonner le prononcé de l’adoption à une condition autonome tendant à l’exigence de protection de l’enfant.

 

La Cour de cassation rappelle que ce dispositif transitoire a été créé pour régler la situation de couple de femmes ayant eu recours à une assistance médicale à procréation à l’étranger avant la Loi du 02 août 2021 et qui se sont séparés de manière conflictuelle depuis le projet parental commun.

 

Il ressort de l’exposé des motifs de l’amendement à l’origine de l’article 9 précité que celui-ci a pour objectif de ne pas priver l’enfant issu de ce projet parental de la protection qu’offre un second lien de filiation du seul fait de la séparation conflictuelle de ses parents et du refus consécutif de la femme inscrite dans l’acte de naissance d’établir la reconnaissance conjointe prévue au 4 de l’article 6 de la Loi relative à la bioéthique.

 

Selon ce même exposé, l’adoption sera prononcée que si ce refus n’est pas légitime et s’il est conforme à l’intérêt de l’enfant.

 

Une adoption par la mère d’intention conforme à l’intérêt de l’enfant

 

Dès lors, pour la Haute juridiction, elle admet que le législateur ait posé une exigence supplémentaire supposant de démontrer concrètement que la mesure d’adoption est indispensable pour protéger l’enfant d’un danger conduirait à limiter considérablement la possibilité d’adoption plénière alors même que le refus de reconnaissance conjointe serait injustifié.

 

Ainsi, une telle interprétation s’inscrirait en contradiction avec l’objectif recherché par le législateur.

 

Dès lors, il y a lieu de considérer qu’au regard du projet parental commun dont a procédé l’assistance médicale à la procréation réalisée, l’adoption de l’enfant peut être prononcé si, en dépit du refus sans les motifs légitimes de la femme qui a accouché de procéder à la reconnaissance conjointe, elle est conforme à l’intérêt de l’enfant souverainement apprécié par le Juge en considération des exigences de sa protection.

 

Un projet parental commun ayant déterminé l’assistance médicale à la procréation

 

La Cour de cassation s’intéresse donc au sort particulier de cette petite F entre ses deux parents, Madame D et Madame W, et souligne que la Cour d’appel a relevé que la naissance de la petite F, sa grande fragilité et l’attention constante qui lui était nécessaire avait pu déstabiliser le couple que formaient depuis plusieurs années Madame D et Madame W, laquelle avait préféré s’éloigner pour ne pas exposer l’enfant à des disputes incessantes mais que Madame D n’en considérait pas moins Madame W comme l’autre parent de l’enfant auquel elle avait donné naissance.

 

La Cour d’appel a donc retenu que le fait que Madame W ait refusé tout contact avec celui-ci au début de la crise sanitaire, au mois de mars 2020, ne traduisait pas un désintérêt de sa part mais la volonté de le protéger de tout risque de contamination dès lors qu’elle exerçait la profession d’aide-soignante.

 

La Haute juridiction confirme que la Cour d’appel a souligné que celle-ci portait un grand intérêt à l’enfant F qu’elle considérait comme sa fille, la recevait dans un cadre adapté à son bien être sans vouloir se l’approprier de façon exclusive et était en capacité de repérer ses besoins et d’y répondre.

 

Une mère d’intention soucieuse du bien-être de l’enfant

 

Dès lors, c’est à bon droit que la Cour d’appel a estimé que l’enfant, qui était né d’un projet parental commun, devait pouvoir être adopté par Madame W afin de s’inscrire dans deux familles qui la considéraient toutes deux comme leur petite fille.

 

De l’ensemble de ces constatations et appréciations, la Cour d’appel a, pour la Haute juridiction, souverainement déduit que l’adoption plénière de F par Madame W était conforme à l’intérêt de l’enfant, de telle sorte que celle-ci avait légalement et parfaitement justifié cette décision.

 

C’est dans ces circonstances que la Cour de cassation rejette le pourvoi de Madame D.

 

Cette jurisprudence est très satisfaisante puisqu’elle vient donc confirmer que lorsqu’un couple de femme a eu recours à une procréation médicalement assistée dans le cadre d’un projet parental commun le Juge peut donc prononcer l’adoption de l’enfant par la femme n’ayant pas accouché et ce, même si la mère biologique refuse de reconnaitre conjointement l’enfant, dès lors que ce refus est injustifié et que l’adoption sert l’intérêt de l’enfant.

 

L’intérêt de l’enfant est alors apprécié souverainement par le Juge.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,

Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,

www.laurent-latapie-avocat.fr