L’insaisissabilité de droit de la résidence principale du dirigeant au jour de la liquidation judiciaire

Laurent LATAPIE reflet avocat 2025

Dans le cadre d’une liquidation judiciaire, le mandataire liquidateur entend remettre en question l’insaisissabilité de l’immeuble de la résidence du dirigeant sous réserves que celui-ci ne rapporte pas la preuve qu’à la date du jugement d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire celui-ci était bien au sein de sa résidence principale. Comment le dirigeant doit s’organiser pour rapporter la preuve de sa présence effective dans sa résidence principale ? 

Article : 

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’appel d’Aix en Provence le 19 juin 2025, N°RG 24/11624, et qui vient aborder la question spécifique de la présence du dirigeant dans sa résidence principale au jour de l’ouverture de la procédure collective.

Quels sont les faits ?

Monsieur E exerçant l’activité d’artisan maçon a été propriétaire d’un bien immobilier situé sur la commune de Fréjus dont il avait fait l’acquisition suivant acte notarié en date du 08 décembre 2011.

Il s’agissait d’un terrain nu sur lequel a été bâtie postérieurement une maison d’habitation avec piscine.

Par jugement en date du 09 septembre 2019, le Tribunal de commerce de Fréjus avait ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de Monsieur E, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 04 novembre 2019.

La vente aux enchères publiques de la résidence principale du dirigeant

Le mandataire liquidateur, Maître P, a saisi le Juge commissaire aux fins de se faire autoriser à vendre par adjudication judiciaire la résidence principale du dirigeant, Monsieur E, et, par ordonnance en date du 23 septembre 2024, le Juge commissaire a autorisé le liquidateur judiciaire à procéder à la vente par adjudication judiciaire des droits et biens de la résidence principale appartenant à Monsieur E avec une mise à prix de 220 000.00 € avec faculté de baisse du quart, puis, du tiers en cas de carence d’enchères.

C’est dans ces circonstances que Monsieur E a interjeté appel de cette décision.

L’insaisissabilité de droit de la résidence principale du dirigeant

Il convient de rappeler que l’article L 626-1 alinéa 1 du Code du commerce précise que toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante soumise à une procédure collective peut opposer au liquidateur l’insaisissabilité de droit qu’elle détient sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale.

Pour autant, le mandataire liquidateur avait cru bon évoquer différentes jurisprudences au motif pris de ce que ces jurisprudences viendraient consacrer l’idée suivant laquelle il incombe au débiteur de rapporter la preuve qu’à la date du jugement d’ouverture de la procédure des biens dont la vente est requise par le liquidateur constituaient sa résidence principale.

A qui pèse la charge de la preuve pour caractériser la résidence principale ?

Dans cette affaire, le principal élément apporté par le mandataire liquidateur était l’avis de situation au SIREN qui indique que Monsieur E avait créé une nouvelle activité qu’il avait domicilié à Cannes et ce, au jour de l’ouverture de la procédure collective.

Ce qui est certain est qu’effectivement la jurisprudence rappelle bien que  lorsque le mandataire liquidateur entend remettre en question l’insaisissabilité de l’immeuble de la résidence du dirigeant sous réserves que celui-ci ne rapporte pas la preuve qu’à la date du jugement d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire celui-ci était bien au sein de sa résidence principale, la jurisprudence est venue rappeler qu’il appartenait bien au débiteur de rapporter la preuve de sa présence effective dans sa résidence principale.

Le dirigeant doit rapporter la preuve de sa présence effective dans sa résidence principale

En effet, la Cour de cassation précise, Cour de cassation, Chambre commerciale, 22 novembre 2023, N°22-18.795 : 

« Qu’il incombe à celui qui se prévaut des dispositions de l’article L 526-1 du Code du commerce de prouver qu’à la date de l’ouverture de la procédure collective l’immeuble constituait sa résidence principale. »

Ce n’est que dans cette hypothèse que la résidence principale ne rentre pas dans le gage commun des créanciers.

Une autre jurisprudence confirme la même chose.

« Il résulte de la combinaison de ces textes que si les droits d’une personne physique sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne, il appartient à cette personne physique, si elle entend faire obstacle à la mesure de vente aux enchères publiques mise en œuvre par le liquidateur dont l’action vise à la reconstitution du gage des créanciers, de démontrer que le dit immeuble lui appartenant est insaisissable comme constituant le lieu de sa résidence principale au cours de son jugement d’ouverture. »

Cour de cassation, Chambre commerciale

25 octobre 2023, N°21-21.694

Bien plus encore, une autre jurisprudence vient également retenir cette même argumentation puisque la Cour de cassation rappelle que : 

« Qu’il incombe au débiteur de rapporter la preuve qu’à la date du jugement d’ouverture de la procédure les biens dont la vente est requise par le liquidateur constituaient sa résidence principale. »

Cour de cassation, Chambre commerciale

14 juin 2023, N°21-24.207

Que, dès lors, c’est bel et bien sur ce terrain qu’il appartenait de démontrer pour le dirigeant que celui-ci était bien présent.

Ainsi, Monsieur E invoque ainsi les dispositions de l’article L 526-1 alinéa premier du Code du commerce, lesquelles disposent que, par dérogation des articles 2284 et 2285 du Code civil, les droits d’une personne physique immatriculée au registre national des entreprises sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont, de droit, insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne.

Dès lors, il appartient au débiteur qui se prévaut de ces dispositions de s’opposer à l’action du liquidateur qui vise à reconstituer le gage des créanciers de rapporter la preuve qu’à la date du jugement ouvrant la procédure collective soit, en l’espèce, au 09 septembre 2019, les biens dont la vente par adjudication est requise constituaient sa résidence principale.

La reconstitution du gage des créanciers par le mandataire liquidateur

À cet égard, on ne peut que féliciter la démonstration faite par Monsieur E qui a rapporté un très grand nombre de pièces, ce que souligne d’ailleurs la Cour puisque celle-ci précise que, sont versées aux débats par l’appelant, Monsieur E, diverses pièces qui établissent que celui-ci est bien propriétaire du bien situé sur la commune de Fréjus.

Une preuve rapportée par tous moyens par le dirigeant

En effet, l’appelant est considéré par l’administration fiscale comme ayant fixé sa résidence tel que cela ressort des différents avis d’imposition sur les revenus, taxes foncières, qui ont été adressés également à cette adresse le certificat d’assurance de ses véhicules, l’attestation d’assurance scolaire de ses enfants ou encore l’assurance de sa résidence principale.

Que son fils, lui-même, est bien scolarisé à l’école élémentaire du ressort de ce domicile et c’est également à cette adresse que, en l’état de la liquidation judiciaire, la banque qui avait financé l’achat et la construction de la résidence principale va notifier la résiliation du prêt immobilier.

À cela s’ajoutent aux débats de nombreuses factures d’eau, d’électricité couvrant les années 2018 et 2019 au nom de Monsieur E à la bonne adresse ainsi qu’une mise en demeure par lettre recommandé avec accusé de réception en date du 04 février 2019 d’une société pour des factures impayées et à cela vient s’ajouter également la démonstration des avis d’amende forfaitaire adressés à cette adresse.

Le mandataire liquidateur, quant à lui, contestait le fait que Monsieur E avait résidé à cette adresse en 2019 et verse pour preuve un avis d’imposition, à savoir, une taxe foncière de Monsieur E à une adresse située non plus sur Fréjus mais sur Saint-Raphaël (il s’agissait de son ancienne résidence).

Une sommation interpellative délivrée à Madame E, son épouse, aux termes de laquelle celle-ci répondait à la question du commissaire de justice venant délivrer cette sommation interpellative : 

« Est-ce que Monsieur E réside avec vous à cette adresse ? »

Celle-ci répond : 

« Oui, depuis janvier 2003. »

Elle indique en outre que des travaux sont en cours au rez-de-chaussée de la villa pour l’aménagement d’une partie de l’immeuble et ne pas être en instance de divorce.

Or, par la suite, contacté téléphoniquement par le commissaire de justice, Monsieur E confirme adresser à cette adresse depuis janvier 2003.

Le mandataire liquidateur fournissait également un procès-verbal de carence dressé en novembre 2018 dans le cadre de commandements de payer délivrés par l’URSSAF à Monsieur mais également un second procès-verbal de carence dressé le 05 décembre 2018 par lequel le commissaire de justice relate avoir rencontré dans l’immeuble situé à Fréjus d’autres locataires ayant loué les lieux à Monsieur E et qui ont déjà réglé leur loyer et n’avoir trouvé dans les lieux aucun mobilier saisissable.

Les justificatifs suffisants du dirigeant de son occupation de la résidence principale

Pour autant, la Cour d’appel considère qu’il en résulte que Monsieur a justifié qu’à la date du 09 septembre 2019 sa résidence principale était fixée à Fréjus nonobstant les éléments produits par le mandataire liquidateur qui, s’ils établissent que le bien immobilier a été loué jusqu’à la fin de l’année 2018 à des tiers, ils ne démontrent pas son occupation par d’autre personne que Monsieur E et sa famille à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective qui date du 09 septembre 2019.

Par conséquent, Monsieur E est fondé à se prévaloir des dispositions de l’article L 526-1 du Code du commerce pour ce qui concerne le bien immobilier où est fixée sa résidence principale au jour de l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire pour s’opposer à la requête en autorisation par vente par adjudication formée par le liquidateur judiciaire.

Ainsi, la Cour d’appel décide que l’ordonnance du Juge commissaire en date du 23 septembre 2024 sera par conséquent infirmée en toutes ses dispositions et le mandataire liquidateur débouté de l’ensemble de ses demandes, ce qui est extrêmement satisfaisant.

Cette jurisprudence est intéressante à plusieurs titres.

L’insaisissabilité de droit de la résidence principale du débiteur

Elle vient rappeler que l’insaisissabilité de droit de la résidence principale du débiteur n’est pas forcément si acquise puisque le mandataire liquidateur peut envisager la vente de cet actif immobilier et reconstituer le gage des créanciers en considérant que le débiteur n’était pas, au jour de l’ouverture de la procédure collective, redressement judiciaire ou liquidation judiciaire, présent sur place.

Dès lors, s’en suit une possible menace du mandataire liquidateur qui peut assigner en considérant que vous n’étiez pas sur place.

À charge pour le débiteur, cela est très important, de rapporter la preuve de ce que celui-ci est bien l’occupant de sa résidence principale au jour de l’ouverture de la procédure collective.

La charge de la preuve préparée du dirigeant pour préserver sa résidence principale

La démonstration est essentiellement factuelle et probatoire puisqu’il consiste à ce moment-là à justifier par tous moyens de la présence du débiteur à son domicile.

Cela passe bien sûr par des justificatifs fiscaux (taxe foncière, avis d’imposition), mais également par les factures d’eau et d’électricité relatives à l’utilisation du bien, toutes correspondances jusqu’aux amendes qui peuvent être délivrées ainsi qu’un constat d’huissier qui avait été fourni dans cette affaire par le dirigeant qui reprenait des photos de famille qui avaient été prises à la même période sur le téléphone de l’épouse de Monsieur E et qui démontrait bien que le téléphone avait bien été géolocalisé à cette adresse.

Dès lors, cela peut amener à une réflexion finalement en qualité de conseil de chef d’entreprise en difficulté qui consiste à se demander s’il n’est pas opportun finalement d’envisager d’établir un constat d’huissier au jour de l’ouverture de la procédure pour bel et bien démontrer que la résidence qui est la sienne est bien sa résidence principale, qu’il en est bien l’occupant et que, par conséquence, aucune mesure de saisie n’est envisageable.

À bon entendeur…

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël, 

Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,

www.laurent-latapie-avocat.fr

Les effets de l’insaisissabilité de droit de la résidence principale 

Laurent Latapie avocat 2022 immobilier construction lotissement
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Un artisan ayant radié son activité se retrouve par la suite en liquidation judiciaire, le mandataire liquidateur imagine pouvoir demander la vente aux enchères publiques de sa résidence principale. Quels sont les effets de l’insaisissabilité de droit de la résidence principale ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation ce 11 septembre 2024, N°22-13.482 et qui vient aborder les effets de l’insaisissabilité de droit de la résidence principale.

 

En effet, dans cette jurisprudence la Cour d’appel rappelle que les effets de l’insaisissabilité du droit de la résidence principale d’une personne immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel subsistent aussi longtemps que le droit des créanciers auquel elle est opposable ne sont pas éteints.

 

De sorte que la cessation de l’activité professionnel de la personne précédemment immatriculée ne met pas fin par elle-même à ces effets.

 

Quels sont les faits ?

 

En effet, dans cette affaire, la difficulté rencontrée est que Monsieur I, artisan, avait cessé son activité professionnelle le 05 décembre 2017, date à laquelle il avait été radié du répertoire des métiers.

 

S’était par la suite placé en redressement judiciaire le 04 septembre 2018 et, finalement, en liquidation judiciaire le 02 octobre 2018 dans une foulée très rapide.

 

Un entrepreneur artisan déjà radié au jour de la liquidation judiciaire

 

C’est dans ces circonstances que le mandataire liquidateur a saisi le Juge commissaire afin de lui demander d’ordonner la vente aux enchères publiques de l’immeuble d’habitation appartenant à Monsieur I, artisan, et à son épouse, qui constituait pourtant sa résidence principale.

 

La vente aux enchères publiques de la résidence principale

 

Monsieur I faisait effectivement grief à la Cour d’appel de Bordeaux d’avoir autorisé le mandataire liquidateur à poursuivre la vente aux enchères publiques d’un immeuble servant pourtant de résidence principale au débiteur.

 

Selon lui, les droits d’une personne immatriculée au registre national des entreprises sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de plein droit insaisissable par les créanciers dont les titres naissent à l’occasion de son activité professionnelle.

 

Que dès lors, dans pareil cas, l’insaisissabilité subsiste aussi longtemps que les droits des créanciers auxquels elle est opposable ne sont pas éteints, de sorte que la cessation de l’activité professionnelle ne met pas fin par elle-même à ses effets, peu important qu’elle soit intervenue antérieurement à l’ouverture d’une procédure collective.

 

L’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur

 

Ainsi, Monsieur Y faisait grief à la Cour d’appel d’avoir retenu, pour écarter l’insaisissabilité de droit de la résidence principale, que, ayant été radié du registre des métiers depuis neuf mois à la date à laquelle une procédure collective avait été ouverte à son encontre, l’artisan ne pouvait bénéficier des dispositions protectrices instituées par la loi compte tenu de la rédaction restrictive du texte et ce, même si ces dettes professionnelles avaient effectivement été contractées alors qu’il était encore en activité.

 

Un artisan radié ne pouvant protéger sa résidence principale ?

 

La Cour de cassation ne partage fort heureusement pas l’avis de la Cour d’appel de Bordeaux et l’artisan, immanquablement, a bien fait de former un recours à l’encontre de cette décision qui ordonnait la vente aux enchères publiques de sa résidence principale.

 

En effet, la Cour de cassation rappelle, au visa de l’article L 526-1 du Code du commerce, que selon ce texte l’insaisissabilité de plein droit des droits de la personne immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité de cette personne.

 

Une insaisissabilité de plein droit protégeant l’entrepreneur radié

 

De telle sorte qu’il en résulte que les effets de l’insaisissabilité subsistent aussi longtemps que les droits des créanciers auxquels elle est opposable ne sont pas éteints.

 

De sorte que la cessation de l’activité professionnelle de la personne précédemment immatriculée ne met pas fin par elle-même à ces effets.

 

Ainsi, pour autoriser la vente aux enchères publiques de l’immeuble litigieux, la Cour d’appel, après avoir constaté que Monsieur I, artisan, était radié du registre des métiers depuis neuf mois à la date à laquelle une procédure collective avait été ouverte à son encontre, retenant ainsi qu’il ne pouvait bénéficier des dispositions protectrices de l’article L 526-1 du Code du commerce compte tenu de la rédaction restrictive de ce texte et ce, même si les dettes professionnelles ont effectivement été contractées alors qu’il était encore en activité.

 

En statuant ainsi, la Cour d’appel a violé le texte susvisé.

 

Par voie de conséquence, force est de constater que les effets de l’insaisissabilité de droit de la résidence principale d’un artisan, fusse-t-il radié, subsistent tout au long de la procédure collective et aussi longtemps que les droits des créanciers auxquels elle est opposable ne sont pas éteints.

 

La Cour d’appel allant plus loin dans son raisonnement va même soulever un développement quant à la portée et aux conséquences de la cassation.

 

En effet, elle considère qu’en ordonnant sur la requête du liquidateur la vente d’un immeuble qui échappait au périmètre de la procédure collective, le Juge commissaire et la Cour d’appel, à sa suite, ont donc immanquablement excédés leurs pouvoirs.

 

La Cour de cassation casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu par la Cour d’appel et disant n’y avoir lieu à renvoi, annule pour excès de pouvoir l’ordonnance rendu par le Juge commissaire du Tribunal de commerce de Périgueux qui avait justement ordonné la vente aux enchères publiques.

 

La Cour de cassation allant plus loin encore en précisant rejeter la demande du liquidateur.

 

Le rejet des prétentions du mandataire liquidateur

 

Cette jurisprudence est intéressante car elle vient aborder les effets de l’insaisissabilité de droit de la résidence principale de l’artisan tant bien même ce dernier a été radié avant de se placer en procédure collective.

 

Cette jurisprudence est intéressante aussi car elle vient refléter finalement en pratique un mouvement qui consiste pour le mandataire liquidateur de plus en plus fréquemment de tout tenter pour procéder à la réalisation de l’actif immobilier du dirigeant alors que ce bien est sa résidence principale et que celle-ci est protégée de plein droit par l’article L626-1 du Code du commerce.

 

L’acharnement du mandataire liquidateur à vouloir réaliser les actifs du débiteur

 

J’en veux pour preuve également bon nombre de contentieux qui sont nés enclenchés par des mandataires liquidateurs qui sont intéressés par la réalisation des actifs et pour cause ces derniers sont essentiellement rémunérés de leurs diligences sur les actifs qu’ils arrivent à recouvrir en allant même jusqu’à vérifier si oui ou non le dirigeant était bel et bien présent au jour de l’ouverture de la procédure collective dans son domicile personnel, en laissant à penser que dans la mesure où ce dernier ne serait pas présent au jour de l’ouverture de la procédure collective, à ce moment-là, le bien serait malgré tout saisissable.

 

La Cour de cassation n’a pas été hermétique à cette approche et a répondu en inversant la charge de la preuve et en imposant au dirigeant de rapporter la preuve qu’au jour du redressement judiciaire celui-ci était bien présent sur place.

 

Ce qui, finalement, amène à une certaine évolution jurisprudentielle et démontre l’acharnement que peuvent avoir certains mandataires liquidateurs pour trouver des actifs.

 

Cela amène effectivement à avoir, en tant que chef d’entreprise, un certain nombre de réactions positives et constructives à avoir.

 

Le sort du chef d’entreprise face à sa propre liquidation judiciaire, quelle attitude adopter ?

 

Il fut un temps où effectivement il était conseillé au dirigeant de procéder à une déclaration notariée d’insaisissabilité pour justement protéger son bien jusqu’à ce que finalement cette protection devienne légale et de plein droit à l’ensemble des chefs d’entreprise pour protéger leur résidence principale et, aujourd’hui, si un conseil devait être donné, c’est de penser au jour du redressement judiciaire à rapporter la preuve que vous êtes bel et bien présent dans votre domicile.

 

Dès lors, l’ensemble des justificatifs tel que factures d’eau, électricité, taxes foncières, avis d’imposition, photos de famille,… sont parfois utiles à conserver mais peut-être même que dans certains cas l’établissement d’un constat d’huissier visant à constater que le dirigeant est bel et bien présent dans sa résidence au jour du redressement judiciaire me semble de plus en plus à conseiller, ce que mon cabinet d’ailleurs ne manque pas de faire à ses différents clients pour éviter justement une difficulté future sur cette question-là tant on peut constater parfois une certaine voracité des mandataires liquidateurs qui n’hésitent pas à tenter de réaliser la résidence principale du dirigeant.

 

Preuve en est dans cette jurisprudence puisque le mandataire liquidateur a cru bon imaginer cette réalisation de l’actif de la résidence principale de l’artisan en liquidation judiciaire sur le seul fait que ce dernier avait été radié, fort heureusement, la Cour de cassation a su rappeler à sa juste mesure la portée légale de l’article L 526-1 du Code du commerce.

 

À bon entendeur…

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,

Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

 

Résidence principale, entre titre exécutoire et insaisissabilité

Laurent latapie avocat tribunal aix
Laurent latapie avocat tribunal aix

Un créancier non professionnel, la banque ayant financé la résidence principale faisant l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité, peut-il saisir ladite résidence principale après la clôture pour insuffisance d’actif du débiteur en liquidation judiciaire ? A t’il besoin d’un titre exécutoire ?

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour de Cassation en ce mois de septembre 2018 relatif à l’inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité de la résidence principale dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle que le créancier, auquel la déclaration d’insaisissabilité est inopposable, bénéficie, indépendamment de ses droits dans la procédure collective de son débiteur, d’un droit de poursuite sur la résidence principale, qu’il doit être en mesure d’exercer en obtenant, s’il n’en détient pas un auparavant, un titre exécutoire par une action contre le débiteur tendant à voir constater l’existence, le montant et l’exigibilité de sa créance.

Dès lors, le principe établi, il appartient au débiteur de réfléchir à la stratégie dans laquelle ce dernier doit envisager le sort de sa résidence principale, à trois moments clés de la procédure collective: avant, pendant et après.

Mais reprenons d’abord les faits de l’espèce.

Dans cette affaire, par un acte notarié du 30 décembre 2010, Monsieur Y avait déclaré sa résidence principale insaisissable, avant d’être mis en liquidation judiciaire le 9 décembre 2011.

La banque, qui avait consenti au débiteur un prêt pour en faire l’acquisition, l’avait assigné aux fins de voir juger que, détenant une créance antérieure à la publication de la déclaration d’insaisissabilité, elle était en droit de poursuivre le recouvrement de cette créance seulement sur l’immeuble insaisissable et que la décision de justice à intervenir vaudrait titre exécutoire contre le débiteur, mais seulement aux fins de sûretés ou de voies d’exécution sur cet résidence principale ou tout bien subrogé.

La Cour d’Appel a rejeté les prétentions de la banque qui s’est pourvue en cassation et la Cour de Cassation a cassé et annulé l’arrêt en toutes ses dispositions.

En effet, avant toute chose la haute juridiction rappelle qu’il a été fourni dans les débats, à la fois la production du contrat de prêt en date du 24 novembre 2009, et à la fois la production de la déclaration d’insaisissabilité de l’immeuble constituant la résidence principale de Monsieur Y laquelle déclaration est en date du 30 décembre 2010.

De telle sorte que les droits de la banque n’étaient pas nés postérieurement à la publication de la déclaration d’insaisissabilité à l’occasion de l’activité professionnelle de Monsieur Y, mais bien avant.

Ceci fait, il ressort également des circonstances de la cause que le mandataire liquidateur désigné avait informé la banque, par courrier du 9 avril 2014, que la liquidation judiciaire de Monsieur Y avait été clôturée pour insuffisance d’actif par jugement du 29 janvier 2014.

L’article L. 643-11 du Code de Commerce rappelle, quant à lui, que « le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l’exercice individuel de leurs actions contre le débiteur ».

Cependant, ce texte prévoit diverses exceptions permettant aux créanciers de recouvrer le droit de poursuite individuelle qu’ils ne pouvaient cependant exercer sans avoir obtenu de titre exécutoire, que si leur créance avait été admise, ils pouvaient obtenir un titre exécutoire par le président du Tribunal de Commerce ou, s’ils en détenaient un de faire constater qu’ils remplissaient les conditions prévues par le texte et que si leur créance n’avait pas été vérifiée, ils devaient mettre en œuvre leur droit de poursuite dans les conditions de droit commun.

Le débiteur, quant à lui, considérait que la banque ne pouvait saisir la résidence principale car la créance est intégrée à la procédure collective et que le jugement de clôture pour insuffisance d’actif entrainait la purge du passif.

Ce qui eut payé ne paye plus…

Désormais, le créancier bénéficiant d’un droit sur un bien immobilier peut passer outre la déclaration d’insaisissabilité du bien pour le saisir.

La Cour de Cassation considère que le créancier dont la créance est née antérieurement à la publication d’une déclaration d’insaisissabilité d’un bien de son débiteur, ne peut se voir opposer cette déclaration d’insaisissabilité et a donc le droit de poursuivre individuellement la réalisation dudit bien, nonobstant l’éventuelle ouverture ultérieure d’une liquidation judiciaire à l’encontre du débiteur, et nonobstant sa clôture par la suite.

De telle sorte que la Cour d’Appel, qui a relevé l’antériorité de la créance de la banque à la publication de la déclaration d’insaisissabilité et a du reste expressément retenu l’inopposabilité consécutive de cette déclaration à la banque, mais qui a néanmoins retenu l’absence de droit de celle-ci de demander la réalisation du bien, a refusé de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l’article L.526-1 du Code de Commerce.

La Cour de Cassation considère qu’en se déterminant de la sorte, la Cour d’Appel a entravé l’exercice, par un créancier antérieur à la publication de la déclaration d’insaisissabilité.

Elle estime qu’en retenant que l’inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité à la banque ne donnait pas à cette dernière le droit de saisir le bien si elle ne remplissait pas les conditions prévues par le régime légal de la liquidation judiciaire pour la poursuite de l’exécution forcée de sa créance, la Cour d’appel a violé l’article L643-11 du Code du commerce car lesdites conditions légales sont étrangères à la situation du créancier à qui la déclaration d’insaisissabilité n’est pas opposable.

La Cour de Cassation finit son raisonnement par un attendu de principe dans lequel elle précise qu’ il résulte des articles L. 526-1 du Code de Commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, et L. 111-2 du Code des Procédures Civiles d’Exécution que le créancier auquel la déclaration d’insaisissabilité est inopposable bénéficie, indépendamment de ses droits dans la procédure collective de son débiteur, d’un droit de poursuite sur cet immeuble, qu’il doit être en mesure d’exercer en obtenant, s’il n’en détient pas déjà un, un titre exécutoire par une action contre le débiteur tendant à voir constater l’existence de sa créance et son exigibilité.

Or, elle pose clairement la question du sens à donner au titre exécutoire.

Cette jurisprudence est intéressante car elle précise clairement que le créancier auquel la déclaration d’insaisissabilité est inopposable bénéficie, indépendamment de ses droits dans la procédure collective de son débiteur, d’un droit de poursuite sur cet immeuble même lorsque le débiteur fait l’objet d’une liquidation judiciaire.

Mais surtout, cette jurisprudence précise que le créancier est en droit d’exercer un droit de poursuites par une action contre le débiteur cela signifie que si le créancier a déclaré sa créance au passif et que ce dernier n’a pas été vérifié ni déposé, celle-ci ne peut emporter droit à créance et qu’il lui appartient d’assigner en paiement afin de faire constater l’existence et le montant de l’exigibilité de la créance.


Car il est bien évident que la seule demande de reprise des poursuites devant le juge commissaire ne saurait suffire à emporter titre exécutoire,

Surtout, cela ne permettrait même pas au débiteur de contester la créance tant dans son montant que dans son principe, ce qui est d’autant plus regrettable quand on sait ô combien les créanciers, et plus particulièrement les banques, majorent leurs créanciers d’intérêts frais et pénalités diverses et variées,

Il apparait donc important dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire mais bien plus encore d’un redressement judiciaire de contester les créances pour envisager de remettre en question l’exigibilité et surtout le montant de la créance.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr