Refus de signer un acte authentique de vente et point de départ de l’action en exécution forcée

Laurent Latapie Avocat UIA
Laurent Latapie Avocat UIA

Dans le cadre d’une vente immobilière, en cas de refus du cocontractant de signer l’acte authentique de vente, le demandeur peut-il solliciter d’un côté l’exécution forcée de la vente et de l’autre l’indemnisation du préjudice ? Quel est le délai de cette action en exécution forcée de la vente ? Quel est le point de départ de la prescription ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à une jurisprudence récente qui a été rendu par la Cour de cassation en octobre 2020, et qui vient aborder la problématique de l’exécution forcée de la vente lorsque l’une des parties, acquéreur ou vendeur, se refuse à réitérer l’acte et signer l’acte authentique de vente.

 

Il convient de rappeler qu’en matière de vente immobilière, à part quelques exceptions prévues dans le cadre des conditions du compromis de vente, l’expiration du délai fixé pour la réitération de la vente par acte authentique ouvre le droit pour chacune des parties, soit d’envisager une exécution forcée de la vente immobilière, soit d’en demander la résolution et l’indemnisation de son préjudice.

 

Dans certains cas même le demandeur peut solliciter d’un côté l’exécution forcée de la vente et de l’autre l’indemnisation du préjudice.

 

Dans certains cas celles-ci pouvant se cumuler.

 

La question est de savoir à partir de quand le demandeur à l’action est bien fondé à intervenir, rappelant bien que la date fixée aux fins de réitération de l’acte de vente dans le cadre du compromis est une date indicative et non pas une date impérative permettant juste à l’une des parties d’agir en exécution, ouvrant juste le droit pour chacune des parties d’agir tantôt en exécution forcée tantôt en indemnisation de son préjudice.

 

Quels sont les faits ?

 

Dans cette affaire, la SCI N avait consenti à la société la SCI DR une promesse synallagmatique de vente sous conditions suspensives une parcelle de terrain sur laquelle était édifié un immeuble non achevé.

 

Un avenant avait prorogé la date de réalisation des conditions suspensives et de signature de l’acte authentique de vente au 30 avril 2010.

 

Cependant, après 2 mises en demeure de réaliser la vente des 22 novembre 2013 et 12 mai 2015 demeurées infructueuses, la SCI N avait alors assigné la SCI DR en résolution de la vente qu’elle considérait parfaite en raison de la réalisation des conditions suspensives et en paiement des dommages et intérêts.

 

Cependant, dans le cadre de la procédure, la SCI DR avait opposé une fin de non-recevoir, liée à la prescription de l’action rappelant en tant que de besoin que nous sommes sur une prescription à 5 ans.

 

Qu’en est-il de la prescription de l’action ?

 

La SCI DR soutenait cette prescription en considérant que dans la mesure où la date de la réalisation des conditions suspensives était fixée au 30 avril 2010, toutes actions engagées après le 1er mai 2015 étaient nécessairement prescrites.

 

Cette jurisprudence répond à la question du point de départ de la prescription permettant à la partie lésée d’assigner aux fins d’exécution forcée de la vente.

 

Elle vient également rappeler dans quelles conditions il y a lieu de caractériser le refus du contractant de signer l’acte authentique de vente.

 

La SCI, quant à elle, soutenait que la prescription en action responsabilité contractuelle ne pouvait courir qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établie qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance.

 

Dès lors, en fixant un point de départ du délai de prescription au délai fixé par le compromis pour la réitération de la vente par acte authentique sans rechercher si à cette date la SCI N savait que la SCI DR abandonnait définitivement le projet, la Cour d’appel n’avait pas pu fonder en droit sa décision et c’est pour cela que la SCI N s’est pourvue en cassation.

 

La Cour de cassation rappelle en tant que de besoin que les actions personnelles et immobilières sont prescrites par 5 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

 

Cependant, quel point de départ retenir pour caractériser, ou non, la prescription ?

 

Ainsi, à bien y répondre, ce n’est pas parce que sur le compromis de vente il y a une date fixée que celle-ci correspond forcément le point de départ de la prescription dans le cadre de l’action aux fins d’exécution forcée de la vente.

 

En effet, la Cour de cassation rappelle qu’en matière de promesse de vente l’expiration du délai fixé pour la réitération de la vente par acte authentique ouvre, seulement, le droit pour chacune des parties soit d’agir en exécution forcée de la vente soit d’en demander la résolution et l’indemnisation de son préjudice.

 

Dès lors, le fait justifiant l’exercice de cette action ne peut consister que dans la connaissance par la partie titulaire de ce droit du refus de son co-contractant d’exécuter son obligation principale de signer l’acte authentique de vente.

 

Cette connaissance trouvant son expression au moment où l’acheteur se refusant s’exprime clairement soit en l’officialisant à travers une correspondance claire et non équivoque, et à défaut au jour de la signature de l’acte, sur convocation des parties, acheteur et vendeur, nécessairement par voie d’huissier et en établissant un procès-verbal de constat de difficultés liée soit à l’absence de l’une des parties, soit au refus de l’une des parties de signer l’acte réitératif,

 

Dès lors, à bien y comprendre la Cour d’appel n’avait pas de raison de déclarer l’action prescrite en retenant que le point de départ de la prescription aurait débuté le 1er mai 2010, soit le lendemain de la date fixée pour la signature de l’acte authentique de la vente.

 

Pour autant, la Cour de cassation ne partage pas cette analyse.

 

En effet, la Haute juridiction considère qu’en se déterminant ainsi la Cour d’appel n’a pas réussi à caractériser la connaissance à cette date par la SCI N, du refus de la SCI DR de ne plus acheter le bien.

 

Ainsi, force est de constater que le point de départ de la prescription découle clairement du moment où le vendeur a la parfaite connaissance du refus du co-contractant d’exécuter son obligation principale de signer l’acte authentique de vente.

 

Cette connaissance offre alors le droit pour chacune des parties soit d’agir en exécution forcée de la vente soit d’en demander la résolution et l’indemnisation de son préjudice.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

Acte authentique et créance indéterminable : l’impossible saisie

Une saisie immobilière peut-elle être engagée sur la seule base d’un acte authentique ayant force exécutoire alors que le solde rendu exigible après la déchéance du terme est augmenté des intérêts échus, des intérêts à courir et surtout de l’indemnité forfaitaire, dits éléments qui ne sont pas nécessairement déterminés dans le cœur de l’acte ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour de Cassation en ce mois de mars 2018 et qui vient aborder la question spécifique du caractère exécutoire d’un acte authentique,

 

En effet, la question est de savoir si oui ou non le débiteur peut contester l’acte authentique pour remettre en cause son caractère exécutoire.

 

Cet acte authentique revêtu du caractère exécutoire est un acte bien pratique pour le créancier qui, en cas de défaillance du débiteur, peut immédiatement engager des mesures d’exécution sans passer par une décision de justice,

 

Il n’échappera d’ailleurs pas au lecteur attentif que la jurisprudence commentée n’a pas été publiée au Bulletin, ce qui laisse quand même à penser que les rares jurisprudences bénéfiques pour les débiteurs et les emprunteurs en difficulté sont diffusés au « compte goute »…,

 

Dans cette affaire, une banque avait consenti un prêt bancaire à une société X par acte authentique, établi par un notaire, et revêtu de la force exécutoire,

 

Le même acte authentique formalisait également l’engagement de caution solidaire des consorts Y,

 

Face à la défaillance de la société X, la banque a fait signifier à l’encontre des consorts Y, cautions solidaires, par acte du 24 décembre 2015, un commandement aux fins de saisie immobilière sur leur résidence principale,

 

La procédure de saisie immobilière est engagée devant la juridiction du Tribunal d’instance de Colmar, ce qui est important car la procédure est spécifique et différente, en l’état de l’application du droit local d’Alsace Moselle.

 

C’est dans ces circonstances que le Tribunal d’Instance de Colmar, par ordonnance du 27 janvier 2016, a ordonné l’exécution forcée de l’immeuble appartenant aux cautions.

 

Les cautions ont alors formé un pourvoi immédiat contre cette ordonnance,

 

Le président du Tribunal d’instance, (car la procédure prévoit cette démarche spécifique) a renvoyé l’affaire la Cour d’Appel.

 

Ladite Cour d’appel ayant fait droit aux prétentions des cautions, la banque s’est pourvu en cassation,

 

Pour motiver son pourvoi, la banque rappelle qu’aux termes de l’article 794-5 du Code de Procédure Civile Locale une créance pour laquelle une vente forcée peut-être ordonnée doit être déterminée et résulter de l’acte authentique en vertu duquel la vente forcée est sollicitée.

 

La banque laisse à penser que tel est le cas,

 

Pourtant, cela est loin d’être acquis,

 

Des lors, le titre exécutoire doit contenir le montant dû conformément à ses dispositions intégrées à l’article L11-5 du Code de Procédure Civile d’Exécution.

 

Qu’il en résulterait dès lors que la somme doit être déterminée et fixée sans élément extérieur et ultérieur à l’acte authentique.

 

Or, la difficulté rencontrée est que l’acte authentique en question et en vertu duquel la requérante avait sollicité la vente forcée du bien des cautions mentionne pourtant les conditions du prêt consenti qui sont par ailleurs reproduites dans un tableau d’amortissement.

 

La banque quant à elle considérait que les éléments constitutifs de la créance, requis par l’article L11-6 du Code Procédure Civile d’Exécution étaient bel et bien présents dans le cœur même de l’acte authentique,

 

Fort heureusement, le débiteur ne l’entendait pas de cette oreille,

 

La caution considérait que la créance invoquée à l’appui de la requête en saisie immobilière ne résultait pas directement de l’acte authentique en tant que tel,

 

Sauf à devoir la déterminer un fois la déchéance du terme acquise dont le solde rendu exigible augmenté des intérêts échus, des intérêts à courir et surtout de l’indemnité forfaitaire calculée sur un solde qui n’est pas encore fixé.

 

Ce décompte de créance est d’importance car l’ensemble des pénalités frais et intérêts viennent très souvent bousculer l’équilibre de la créance pour un débiteur conscient de ses défaillances mais qui n’imagine jamais se retrouver avec une créance aussi importante lorsqu’il regarde le décompte proposé dans le commandement de payer,

 

Ainsi, dans cette affaire, le débiteur, et caution, considérait que seul le commandement de payer qui avait été signifié le 24 décembre 2015 détaillait la somme réclamée qui était, à cette date, de 166 919.05 euros au titre du capital restant dû en principal arrêté au 26 octobre 2015 soit bien après l’acte authentique en question.

 

Dès lors, selon le débiteur l’acte authentique ne pouvait suffire à rendre la créance déterminable.

 

Dans cet arrêt qui n’est pas publié, rappelons le encore, la banque tentait de passer outre cette difficulté en soulignant le fait que c’était seulement en vertu des dispositions applicables au département du Bas Rhin du Haut Rhin et de-là Moselle que la difficulté apparaissait,

 

En effet, elle soutenait que dans la mesure ou le titre exécutoire établi par Notaire portant sur une somme d’argent déterminée contenant une clause de soumission en exécution forcée immédiate à laquelle le débiteur avait consenti, c’était à bon droit que la banque avait requis l’exécution forcée d’un acte authentique à l’encontre de la caution personnelle dans la mesure où cet acte contenait une clause de soumission à exécution forcée immédiate à laquelle toutes les parties avaient consenti.

 

Pour autant, rien ne laissait à penser que cette clause de soumission à exécution forcée immédiate n’empêchait pas le débiteur de contester le caractère exécutoire de l’acte authentique,

 

Ceci d’autant plus que les conditions du prêt consenti étaient reproduites dans l’acte authentique avec le tableau d’amortissement,

 

A bien y croire la banque, les éléments constitutifs de la créance y figuraient bien.

 

Fort heureusement, les débiteurs cautions contestent cette argumentation,

Ils considèrent, à juste titre, que le la somme due au titre de l’engagement de caution résultait essentiellement du décompte de la créance arrêtée au 26 octobre 2015 et était détaillée seulement dans le commandement de payer qui avait été signifiée au débiteur poursuivi,

 

De telle sorte que la créance en question ne résultait nullement de l’acte authentique sauf à devoir déterminer une fois la déchéance du terme acquise, par le solde rendu exigible augmenté des intérêts échus, des intérêts à courir et de l’indemnité forfaitaire calculée sur un solde qui n’était pas encore fixé,

 

Pour la Cour de cassation, les conditions des articles L111-2 , L111-5 et L11-6 du Code de Procédure Civile d’Exécution n’étaient pas caractérisées,

 

La sanction est immédiate,

 

L’acte authentique perds son caractère exécutoire et ne peut donc constituer un titre exécutoire en tant que tel.

 

La Cour de Cassation, une fois n’est pas coutume, dans cet arrêt non publié, fait droit finalement à l’argumentation du débiteur.

 

Selon la Haute juridiction, il résulte de l’article 794-5 du Code Procédure Civile Locales applicables en Alsace et Moselle devenu l’article L111-5 du Code Procédure Civile d’Exécution que les actes notariés ne peuvent servir de titre exécutoire que s’ils ont pour objet le paiement d’une somme déterminée et non pas seulement déterminable,

 

La Cour relève ensuite que si l’acte authentique en vertu duquel la vente forcée avait été sollicitée mentionnait les conditions du prêt consenti reproduites dans un tableau d’amortissement la créance invoquée à l’appui de sa requête ne résultait pas de l’acte sauf à devoir la déterminer une fois la déchéance du terme acquise par le solde rendu exigible augmenté des intérêts échus, des intérêts à courir et de l’indemnité forfaitaire calculée sur un solde qui n’est pas encore fixé.

 

La Haute juridiction confirme le raisonnement de la Cour d’Appel qui a exactement déduit, sans se contredire et sans dénaturer l’acte authentique notarié du 1er octobre 2013, que la créance pour laquelle la vente forcée du bien était poursuivie n’était pas suffisamment déterminée.

 

Ce raisonnement est intéressant,

 

Pouvons nous y voir une absence totale du caractère exécutoire de l’acte authentique ou un caractère exécutoire mais pour lequel le caractère non déterminable empêcherait une saisie immobilière ?

 

Sur cette question, la Cour de Cassation ne répond pas clairement,

 

A bien y comprendre, l’acte authentique serait insuffisant lorsque la créance pour laquelle la vente forcée du bien était poursuivie n’était pas suffisamment déterminée,

 

Mais est ce que pour autant ce raisonnement empêcherait une saisie immobilière ?

 

C’est ce que laisse à penser l’arrêt en tout cas c’est comme ça que l’arrêt sanctionne l’établissement bancaire,

 

Pour autant, sommes nous surs du fondement juridique retenu par la Haute juridiction ?

 

En effet, d’un coté la Cour de Cassation semble faire une avancée non négligeable en reconnaissant quand même que le principe même de la créance à vocation à être remis en question sérieusement dans la mesure où le créancier ne peut se satisfaire d’une créance insuffisamment déterminée dans l’acte authentique,

 

Cependant, l’arrêt ne semble pas complet,

 

En effet si la Haute juridiction que la créance est insuffisant déterminée pour fonder une mesure de saisie, je pense cependant qu’il faudrait clairement faire enlever à l’acte authentique son caractère exécutoire faute de créance suffisamment déterminée.

 

Cela mettrait fin peut-être, à une pratique ô combien douteuse qui consiste pour la banque, détentrice d’un acte authentique et de deux ou trois échéances impayées, de prononcer la déchéance du terme et d’enclencher très rapidement une procédure de saisie immobilière,

 

Cette jurisprudence viendrait apporter un nouvel équilibre,

 

Faute de créance suffisamment déterminable, le créancier ne pourrait saisir aussi facilement,

 

Il serait alors contraint d’engager une action judiciaire pour obtenir un titre exécutoire et saisir par la suite,

 

L’emprunteur malheureux serait alors en mesure de mieux faire valoir ses droits à contestation en engageant, dans un débat serein, la responsabilité de la banque qui a peut-être mal ou trop rapidement prononcé une déchéance du terme dévastatrice,

 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr