Cumul entre action en responsabilité contre la banque et suspension judiciaire des échéances

Laurent Latapie avocat procédure de référé
Laurent Latapie avocat procédure de référé

En cas de difficultés financières conjoncturelles ou structurelles, un emprunteur peut-il solliciter une suspension judiciaire des échéances ET engager la responsabilité de la banque au titre des obligations de conseil et de mise en garde ? Comment imbriquer intelligemment deux procédures aux philosophies et prescriptions distinctes ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à l’enchevêtrement particulier pouvant exister entre une procédure devant l’ancien Tribunal d’instance, désormais juridiction de proximité, aux fins d’obtenir la suspension judiciaire des échéances et de l’autre, la classique action en responsabilité que le débiteur peut opposer à la banque alors même que ce dernier soulève par ailleurs la prescription de la créance bancaire, voire même lorsque l’emprunteur conteste la validité de la déchéance du terme.

 

L’enchevêtrement procédural n’est pas toujours heureux entre les différentes demandes que l’emprunteur en difficulté peut faire et les prétentions de la banque, qui ne manque pas de tout faire pour poursuivre en paiement.

 

Quels sont les faits ?

 

Dans cette affaire, suivant offre acceptée le 11 mai 2006, la banque avait consenti à Madame X un prêt immobilier de 145 000 € réaménagé par avenant en 2008.

 

 Dans la même foulée, en décembre 2008, la banque avait également consenti à l’emprunteur un prêt relais d’un montant de 200 000 €.

 

Cependant en l’état de différents impayés, Madame X qui était prévenante et prudente, a décidé d’engager une action aux fins de suspension judiciaire des échéances du prêt et a obtenu une Ordonnance de référé le 22 avril signifiée le 06 mai 2010.

 

Ladite Ordonnance du président du Tribunal d’instance, ordonnait la suspension judiciaire des échéances du prêt pour une durée de 24 mois à compter de la signification de la décision rendue et reportait le remboursement du prêt relais au 1eroctobre.

 

Pour autant, et par la suite, la banque a fait le choix d’assigner l’emprunteur en paiement, et ce, suivant assignation délivrée le 03 janvier 2014 suivant.

 

La prescription, premier moyen de défense du débiteur

 

En défense, le débiteur envisage de solliciter la prescription de l’action du créancier, et oppose la prescription biennale en prenant comme point de départ le prononcé de la décision du Tribunal d’instance ordonnant justement la suspension judiciaire des échéances du prêt.

 

La première des argumentations soulevées par le débiteur était alors d’imaginer opposer la prescription biennale puisque depuis l’Ordonnance il ne s’était rien passé.

 

Or, il ressort des circonstances de la cause que le débiteur avait adressé les courriers du 26 janvier 2011 et du 28 février 2012, dans lequel l’emprunteur s’était rapproché de l’établissement bancaire afin de trouver une solution amiable, comportement qui pouvait être interprété comme interruptif de prescription.

 

En effet, ces deux correspondances peuvent avoir un effet interruptif de prescription en ce que ces derniers caractérisaient la reconnaissance par le débiteur du droit du créancier, cette reconnaissance suspendant la prescription de la créance.

 

Pour autant, le débiteur considérait que la procédure de suspension judiciaire des échéances ne faisait que suspendre les échéances mais ne suspendait en rien les délais de prescription,

 

De telle sorte que les seules correspondances du 26 janvier 2011 et du 28 février 2012 ne suffisaient pas à interrompre la prescription, car par la suite, et dans le cadre de la procédure de suspension judiciaire des échéances, faute de demande de la banque, celle-ci était prescrite, qu’importe la procédure.

 

La débitrice combattait les prétentions de la banque.

 

Elle considérait même que les pourparlers transactionnels ne peuvent être constitutifs d’une reconnaissance de dette interruptive des délais de prescriptions, de telle sorte que celle-ci était acquise.

 

Par ailleurs, la seule existence de correspondances ne saurait suffire.  

 

Il appartenait quand même au juge de s’assurer de l’absence totale d’équivoque et de vérifier la véracité de l’aveu clair et non équivoque de l’existence même de la créance de la banque.

 

A bien y comprendre, une simple demande de négociation ne saurait suffire.

 

Quelle interruption à la prescription ?

 

La Cour de cassation ne partage malheureusement pas cette analyse et considère que la décision du Juge des référés ayant ordonné à la suspension du prêt amortissable pendant 24 mois à compter de la signification de l’Ordonnance et reporté par la même le remboursement du prêt relais au 1er octobre 2010 avait un effet interruptif à la date de signification de l’Ordonnance intervenue dès lors le 06 mai 2010.

 

Dès lors, la Cour de cassation considère que par la lettre du 26 janvier 2011, l’emprunteur a manifesté sa volonté d’aboutir à une résolution amiable de réaménagement de la créance avec effet au mois de juillet 2012 et qu’il a par ailleurs réitéré cette volonté par un courrier électronique du 28 février 2012 dans lequel il exprimait son interrogation sur l’intégration du prêt amortissable dans l’acte d’accord.

 

La reconnaissance expresse de la créance

 

Dès lors, la Cour de cassation considère que l’emprunteur a, dans ses actes, reconnu clairement et sans équivoque la créance de la banque de telle sorte que la Cour d’appel n’a pu qu’en déduire que lesdits actes étaient bels et bien interruptifs de prescription de sorte que l’action de la banque était encore recevable.

 

Dès lors, finalement ce n’est pas tant l’idée même d’une déchéance de la suspension judiciaire des échéances du prêt qui mettent en difficulté Madame X mais bel et bien les courriers qu’elle a fait par la suite afin de trouver une solution amiable.

 

De telle sorte qu’à bien y réfléchir, il n’est pas toujours bien-fondé d’adresser quelques correspondances que ce soit à l’établissement bancaire, qui quant à elle se garde bien d’écrire quoi que ce soit.

 

Pour autant, cela n’avait pas empêché Madame X d’engager une action en responsabilité contre la banque au titre des manquements de la banque à ses obligations de conseil et de mise en garde.

 

Or, dans le cadre de cette action en responsabilité, c’est au tour de la banque de soulever la prescription de l’action.

 

Cela peut sembler paradoxal.

 

D’un coté la banque demeure toujours recevable pour poursuivre son débiteur,

 

D’un autre coté, le débiteur serait prescrit à engager la responsabilité de la banque,

 

Les mêmes actes et éléments de procédure profitant à l’un (la banque), et pas à l’autre (le débiteur poursuivi),

 

Sic,

 

Or, la prescription n’est pas à sens unique,

 

Il appartient au débiteur d’y être extrêmement attentif lors de l’établissement de sa défense juridique er judiciaire tout comme dans ses choix d’attaque contre le créancier. `


Car, comme à chacun sait, la meilleure défense……

 

La prescription, entre attaque et défense

 

Pour autant, dans cette affaire, la Cour de cassation considère que la débitrice, Madame X, est prescrite dans son action en responsabilité contre la banque.

 

Les Juges du fonds reprochaient au débiteur d’avoir formalisé ce moyen tiré de la responsabilité de la banque pour manquement à ses devoirs d’informations et de mise en garde, lesquels  ne tendaient qu’au rejet de la demande en paiement formulé contre le débiteur, et ce, passé le sacro saint délai de prescription de la responsabilité contractuelle de de cinq ans qui a comme point de départ à compter de l’octroi du prêt

 

Dans ce sens là, immanquablement, la prescription était acquise.

 

Madame X tentait de considérer que cette demande était un moyen de défense au fond sur laquelle la prescription est sans incidence dans la mesure ou sa demande est une demande reconventionnelle celle-ci ne pouvait être assujettie à quelque forme de prescription que ce soit.

 

A bien y comprendre, la prescription ne s’appliquerait pas aux exceptions opposées à la demande principale, lorsqu’il revient au Juge du fond de restituer au moyen tiré de la responsabilité de la banque sa qualification de défense au fond.

 

Cependant, la Cour de cassation ne partage pas cette analyse.

 

En effet, la Cour de cassation considère que la demande relative à la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde formée en réponse à l’action en paiement engagée par celle-ci, constitue une demande reconventionnelle aux fins d’allocation d’une indemnité pour perte de chance dont la prescription court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s’est révélé à la victime.

 

De telle sorte que, lorsque Madame a soulevé la responsabilité de la banque pour manquement de ces devoirs d’information, de conseil et de mise en garde par ses seules et simples premières conclusions du 26 mai 2015, celle-ci était déjà atteint de prescription.

 

Telle est la sentence de la Haute juridiction.

 

Prescription sur prescription ne vaut

 

Plusieurs remarques s’imposent à ce stade.

 

Premièrement, force est de constater qu’effectivement les conclusions consacrant la responsabilité de la banque au titre des sacro-saints manquements aux obligations de conseils et de mise en garde aurait dû être formalisées bien avant.

 

Ceci d’autant plus que les procédures judiciaires existaient depuis un certain temps.

 

Plusieurs conclusions s’imposent.

 

En effet, force est de constater que le contentieux contre la banque nécessite une ingénierie et une anticipation évidente des arguments juridiques tout comme du choix judiciaire.

 

En effet, si l’emprunteur, devenu débiteur, considère être en difficulté par rapport à l’établissement bancaire et ne pouvant faire face à ses obligations, il doit impérativement anticiper la situation, lancer les hostilités, et engager une action en fin de suspension judiciaire des échéances.


Cependant, rien ne l’empêche, à ce stade, en plus de cela, d’imaginer également engager une action en responsabilité contre la banque lui permettant notamment de contester la réalité de la déchéance du terme si celle-ci se présentait,

 

Cette approche a tout son sens.

 

Car, non seulement le débiteur fonde sa demande de suspension judiciaire des échéances sur des difficultés financières qu’il vient de rencontrer de manière conjoncturelle,

 

Tout en imaginant engager la responsabilité de la banque au titre de ses obligations de conseil et de mise en garde, si par extraordinaire il ressort que ces difficultés financières sont finalement structurelles, la banque leur ayant octroyé un financement inadapté ne pouvant que les mettre, à court ou moyen terme, en difficulté.

 

Ainsi, l’action contre la banque aux fins de suspension judiciaire des échéances, tout comme l’action contre la banque au titre de ses manquements de conseil et de mise en garde sont régies par des logiques et des problématiques de recevabilité et de prescription propres, notamment en matière de prescription.

 

Toute la magie du Conseil et avocat du débiteur est de choisir l’ingénierie juridique et judiciaire capable d’allier les deux avec force et intelligence.

 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

Sort de l’indivision forcée et perpétuelle en saisie immobilière

Laurent Latapie Avocat Miami
Laurent Latapie Avocat Miami

En présence d’une indivision forcée et perpétuelle, le créancier saisissant peut-il se contenter de signifier l’habituel commandement de payer valant saisie immobilière et de saisir par la suite le juge d’orientation, ou doit-il évacuer cette indivision forcée et perpétuelle au travers d’une action en licitation partage ?

Article :

Il convient de s’intéresser à une jurisprudence rendue par la Cour d’Appel de Pau qui vient aborder la problématique de l’indivision forcée et perpétuelle afin de déterminer si la banque doit procéder par voie de licitation partage ou si elle peut engager une action en saisie immobilière.

 

Quels sont les faits ?

 

Dans cette affaire, et suivant acte authentique en date du 29 juillet 2018, la banque avait octroyé un prêt à Monsieur R et à son épouse un prêt d’un montant de 290 000 euros destiné à l’acquisition d’une médina située au Maroc, remboursable en 179 échéances au taux conventionnel de 4,80% l’an et au taux effectif global de 5,5813% l’an.

 

Le contrat prévoyait en garantie l’inscription d’une hypothèque conventionnelle de premier rang, à hauteur de 200 000 euros sur un bien situé en France et appartenant aux consorts R.

 

Suite à plusieurs échéances impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme selon courrier du 26 septembre 2013.

 

Par la suite, et par acte d’huissier du 19 septembre 2014 la banque a fait délivrer aux emprunteurs un commandement de payer aux fins de saisie-vente pour le recouvrement d’une somme de 277.445,94 euros outre les frais d’acte en vertu du prêt notarié du 29 juillet 2008.

 

Suivant acte en date du 17octobre 2014, Madame R a assigné la banque devant le Juge de l’Exécution aux fins de mainlevée du commandement de payer invoquant l’article 47 du Code de Procédure Civile en raison de sa fonction de juge prud’homale paloise.

 

Par jugement rendu le 9 février 2015, le tribunal s’est déclaré incompétent a rejeté les demandes formulées par les époux R, déclaré le commandement aux fins de saisie vente du 19 septembre 2014 régulier.

 

C’est dans ces circonstances que la banque a fait délivrer un nouveau commandement de payer valant saisie immobilière le 24 octobre 2016 portant sur trois parcelles et pour une somme de 301.028,94 euros créance arrêtée au 29 septembre 2016.

 

Lancement de la procédure de saisie immobilière

 

Le commandement de payer a été déposé au 1er Bureau du service de la publicité foncière le 23 décembre 2016

 

Par acte d’huissier en date du 13 février 2017, la banque a fait assigner Monsieur et Madame R devant le Juge de l’Orientation aux fins de statuer sur la demande de vente sur saisie immobilière de l’immeuble litigieux.

 

Par jugement d’orientation contradictoire rendu le 19 avril 2019, le Juge de l’Exécution sur le fondement de l’article 815-17 du Code Civil :

 

  • Déclaré nulle la saisie immobilière de la parcelle AI

 

  • Dit que cette nullité entraine l’irrégularité de l’ensemble de la procédure de saisie immobilière et donc la nullité du commandement valant saisie du 24 octobre 2016

 

La banque a alors interjeté appel de cette décision

La question qui se posait était liée à la saisie de l’un des trois parcelles qui faisait l’objet d’une indivision forcée et individuelle.

 

Sort de l’indivision forcée et éternelle

 

Le premier juge a retenu, sur le fondement de l’article 815-17 du Code Civil que la saisie de cette parcelle était nulle entraînant l’irrégularité de l’ensemble de la saisie, au motif que cette parcelle, indivise, ne pouvait être saisie directement par le créancier.

 

La banque soutenait que l’indivision relative à la parcelle AI était une indivision forcée et perpétuelle qui échappait aux dispositions de l’article 815- 17 du Code Civil.

 

Madame R quant à elle contestait ce caractère en exposant que la parcelle indivise ne constitue pas un accessoire indispensable du bien immobilier principal.

 

La saisie portait sur les parcelles AI 39 sur laquelle était édifiée une maison, AI 114 chemin d’accès à la maison depuis la parcelle AI 101et sur les droits indivis d’1/4 de la parcelle Al 101 qui permettait d’accéder au chemin.

 

Saisie immobilière classique ou licitation partage ?

La Cour d’Appel rappelle que, suivant les dispositions de l’article 815-17 du Code Civil, les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent saisir sa part sur les biens indivis, meubles ou immeubles.

 

Ils ont toutefois la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d’intervenir dans le partage provoqué par lui.

 

Cependant, le régime légal des indivisions tel que prévu aux articles 815 et suivants du Code Civil ne s’applique pas aux indivisions forcées et perpétuelles portant sur des biens affectés à titre d’accessoire indispensable à l’usage commun de plusieurs fonds appartenant à des propriétaires différents.

 

Il résulte des titres notariés versés au débat, ainsi que du plan cadastral que la parcelle indivise est affectée exclusivement à l’usage d’accès à plusieurs fonds appartenant à des propriétaires distincts, dont la parcelle chemin d’accès à la maison édifiée sur la parcelle, appartenant à Madame R.

 

L’indivision forcée et perpétuelle

 

Par suite, l’indivision qui affecte cette parcelle constitue une indivision forcée et perpétuelle dont la nature exclut l’application du droit commun de l’indivision et notamment les dispositions de l’article 815-17 exonérant la banque d’une nécessité de procéder par voie de licitation partage.

 

La Cour d’Appel a donc infirmé la décision du Juge de l’Orientation en ce qu’elle a considéré que les droits indivis de Madame R sur la parcelle AI 101 ne pouvaient faire l’objet d’une saisie.

 

Elle considère que la saisie de ces droits est donc régulière, de même que celle des parcelles AI 39 et AI 114, issue du commandement de payer en date du 24 octobre 2016, publié le 23 décembre 2016.

 

La Cour d’Appel a donc autorisé cette vente en considérant que la problématique de l’indivision forcée et individuelle échappait aux dispositions de l’article 815-17.

 

Ce qui est intéressant dans cette affaire est que dans la mesure où la banque avait été déboutée de ses prétentions aux fins de saisie immobilière, elle avait interjeté appel.

 

Par ailleurs, la question était de savoir ce qu’il en était de la survie du commandement de payer valant saisie immobilière et de la prorogation de ses effets.

 

En effet, la banque avait saisi le Premier Président de la Cour d’Appel aux fins de suspension de l’exécution provisoire de doit pour être autorisée à voir proroger les effets du commandement de payer valant saisie immobilière.

 

La banque avait été déboutée de cette demande.

 

Or, il était loisible d’imaginer que la banque était bien fondée à ressaisir le Juge de l’Exécution immobilier pour voir proroger les effets du commandement de payer valant saisie immobilière.

 

Un pourvoi en cassation est en cours et il va amener à deux réponses particulières.

 

Premièrement déterminer si, en présence d’une indivision forcée et perpétuelle le créancier doit saisir directement ou s’il doit envisager de passer par le biais d’une licitation partage ?

 

Deuxièmement, est que et la prorogation des effets du commandement de payer valant saisie immobilière peut être ordonnée devant le juge de l’orientation alors que la saisie immobilière a été annulée par ce dernier et que la procédure est toujours pendante à hauteur de Cour ?

 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

 

Caractère disproportionné de l’engagement de cautionnement

Laurent Latapie avocat droit de l'entreprise en difficulté 2020
Laurent Latapie avocat droit de l’entreprise en difficulté 2020

A quel moment le dirigeant caution peut soulever le caractère disproportionné de l’engagement de cautionnement ? Cette disproportion doit-elle être analysée au jour de la conclusion de l’engagement de cautionnement ou au jour où la caution est poursuivie par l’établissement financier ?

Article :

Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendu en octobre dernier et qui vient aborder la problématique de la remise en question de l’engagement de cautionnement lorsque la caution entend opposer à l’établissement financier un manquement à ses obligations et plus particulièrement lorsqu’il est question du caractère disproportionné de l’engagement de cautionnement.

Quels sont les faits ?

Dans cette affaire, le 1er février 2010, la banque avait consenti à la société F un prêt de 170 000 euros, pour lequel, Monsieur Q, alors gérant, s’est rendu caution solidaire dans la limite de 221 000 euros.

Se prévalant d’une créance impayée, la banque a alors assigné en paiement
la société débitrice principale, ultérieurement mise en redressement puis en liquidation judiciaire.

Dans le cadre de cette même procédure, la banque avait également poursuivi Monsieur Q en qualité de caution,

Lequel a opposé la disproportion manifeste de son engagement et un manquement à l’obligation de mise en garde qui pesait sur la banque.

En qualité de caution, Monsieur Q soutenait que l’organisme dispensateur de crédit ne pouvait se prévaloir d’un contrat de cautionnement d’une opération de crédit, conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Caractère disproportionné de la caution

A bien y comprendre, le caractère disproportionné de l’engagement de caution au regard de ses revenus et de son patrimoine devant s’apprécier au moment non seulement de la souscription du cautionnement, mais également à la date de sa mise en œuvre par l’organisme prêteur, bénéficiaire de cet engagement de caution.

Monsieur Q mettait en avant le caractère disproportionné de son engagement de caution souscrit en 2010 lorsqu’il avait été mis en œuvre par la banque en 2013, au regard de ses ressources et de son patrimoine à cette époque.

Monsieur Q faisait grief à la Cour d’Appel d’avoir considéré que l’engagement de caution de Monsieur Q n’étant pas disproportionné lors de sa souscription en 2010 et que dès lors, la banque n’avait donc pas à démontrer que le patrimoine de ce dernier lui permettait d’exécuter son engagement lorsqu’il a été poursuivi.

De même, Monsieur Q reprochait à la Cour d’Appel de s’être abstenue de procéder à la recherche qui lui était demandée quant à ce caractère disproportionné dudit engagement lorsqu’il avait été mis en œuvre par la banque en 2013.

Il soutenait également que la banque avait manqué à son obligation de conseil et de mise en garde et rappelait que tout organisme dispensateur de crédit est tenu à un devoir de mise en garde de la caution, lui imposant notamment de l’alerter sur le risque encouru de non-remboursement des échéances du prêt par l’emprunteur.

La banque, quant à elle, n’avait pas manqué de souligner que la caution était également dirigeante de l’entreprise.

Monsieur Q soutenait que le devoir de mise en garde comportait trois obligations à la charge du banquier dispensateur d’un crédit, parmi lesquelles le devoir d’alerter la caution sur le risque encouru de non-remboursement par l’emprunteur, pour demander en conséquence à la cour d’appel de constater la défaillance de la banque dans l’exécution de son obligation préalable d’information.

De telle sorte que le dirigeant caution ne pouvait raisonnablement revendiquer ce manquement.

Pour autant, Monsieur Q faisait grief à la Cour d’Appel de ne pas avoir procédé à la recherche demandée quant à l’accomplissement par la banque de son obligation précontractuelle d’information sur le risque de non-remboursement encouru.

A bien y réfléchir, il convenait quand même de rappeler que la société débitrice avait été placée en liquidation judiciaire deux ans seulement après la souscription dudit emprunt.

Cette circonstance aurait dû caractériser le manquement à l’obligation de conseil et de mise en garde.

Pour autant, il convient de rappeler la rigueur du droit de cautionnement et les dernières jurisprudences en la matière qui sont plus favorables à l’établissement financier qu’à la caution.

Ce qui, en soi ,ne peut qu’interpeller.

En effet, concernant la disproportion de l’engagement de caution, la Cour de Cassation rappelle qu’il résulte de l’article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, alors applicable, que, dès lors qu’un cautionnement conclu par une personne physique n’était pas, au moment de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, le créancier peut s’en prévaloir sans être tenu de rapporter la preuve que le patrimoine de la caution lui permettait de faire face à son obligation au moment où elle a été appelée.

La disproportion, oui, à quel moment ?

La Cour de cassation souligne, encore, que pour invoquer le manquement d’un établissement de crédit à son obligation de mise en garde envers une caution, fût-elle non avertie, celle-ci doit rapporter la preuve que l’engagement n’était pas adapté à ses capacités financières personnelles et qu’il existait un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l’emprunteur, débiteur principal.

En l’occurrence, dans cette affaire, la caution, qui ne prétendait pas que son engagement n’était pas adapté à ses propres capacités financières, ne produisait aucune pièce caractérisant l’existence d’un risque d’endettement de la société F et, de l’autre, que, si cette société avait été mise en liquidation judiciaire deux ans après la souscription de l’emprunt, aucun incident de paiement n’avait été constaté avant la déchéance du terme provoqué par l’ouverture de la liquidation.

Cette approche ne résout pas tout.

Comment soulever la disproportion de l’engagement de cautionnement ?

En effet, cette jurisprudence est intéressante car elle revient sur les moyens de défense que peut avoir le dirigeant caution lorsque son entreprise est en liquidation judiciaire et que la banque se retourne contre lui.

Il importe de préciser que la Cour de Cassation considère que la notion de disproportion s’analyse essentiellement au jour de l’engagement de cautionnement qu’importe que par la suite la caution n’arrive plus à y faire face.

La notion d’obligation de conseil et de mise en garde est moins aisée à être soulevée par le chef d’entreprise.

Ce que la Cour de Cassation ne dit pas mais qui mérite d’être clairement rappelé est que l’essentiel de cette argumentation juridique repose également sur des éléments probatoires puisqu’il appartient à la caution qui entend se défendre face à l’établissement bancaire de rapporter la preuve de sa situation patrimoniale et non pas à la banque de rapporter la preuve que l’engagement n’était pas proportionné.

A bon entendeur….

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr