
La question se pose dans cette jurisprudence de savoir si les deux coindivisaires placés tous deux en liquidation judiciaire, peuvent voir leur bien immobilier échapper à une saisie immobilière de leur bien immobilier au titre du principe de l’arrêt des poursuites individuelles ou est-ce que le créancier saisissant peut passer outre la liquidation judiciaire et vendre le bien immobilier aux enchères publiques ?
Quelle incidence de la procédure collective sur la reprise de la saisie immobilière ?
Article :
Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 25 septembre 2025, N°2025/363, et qui vient aborder, une fois n’est pas coutume, le sort d’un bien immobilier en indivision et qui fait l’objet d’une procédure de saisie immobilière pour laquelle le débiteur a cru bon se placer sous le coup d’une procédure collective en redressement judiciaire, puis, en liquidation judiciaire afin de bénéficier de l’arrêt des poursuites individuelles et qui va, de même concert, procéder à l’extension de sa liquidation judiciaire à son épouse séparée de bien qui était la coindivisaire du bien immobilier en question.
La question se pose dans cette jurisprudence de savoir si les deux coindivisaires placés tous deux en liquidation judiciaire, peuvent voir leur bien immobilier échapper à une saisie immobilière de leur bien immobilier au titre du principe de l’arrêt des poursuites individuelles ou est-ce que le créancier saisissant peut passer outre la liquidation judiciaire et vendre le bien immobilier aux enchères publiques ?
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, et aux termes d’un acte notarié du 14 septembre 2012, la banque consentait aux époux F un prêt composé en deux tranches, le prêt in fine venant à échéance en 2017, tandis que le prêt amortissable avait une dernière échéance fixée le 05 octobre 2022.
Le 14 novembre 2018, la banque faisait délivrer aux époux F un commandement de payer la somme de 1 093 100.00 € valant saisie de leur bien immobilier situé dans le Var, ces effets étaient prorogés pour une durée de cinq ans dans un dernier temps par jugement du 05 octobre 2022 du Juge de l’exécution.
Un commandement de payer aux fins de saisie immobilière
En date du 24 février 2022, la Cour d’appel d’Aix en Provence confirmait le jugement du 26 mars 2021 quant au rejet des contestations des époux F et orientait la saisie immobilière vers une vente aux enchères publiques.
Un pourvoi en cassation était tenté et, par arrêt du 13 septembre 2023, la Cour de cassation rejetait le pourvoi formé contre l’arrêt précité.
Un redressement judiciaire puis une liquidation judiciaire prononcée
C’est dans ces circonstances que, par jugement du 09 mai 2022, le Tribunal de commerce prononçait l’ouverture d’un redressement judiciaire à l’encontre de Monsieur F, lequel était par la suite converti en liquidation judiciaire par jugement du 05 juin 2023.
De même suite, et dans le cadre de la procédure de saisie immobilière, le Juge de l’exécution du Tribunal judiciaire suspendait par jugement du 09 septembre 2022 les poursuites de saisie immobilière.
L’extension de la liquidation judiciaire au profit de l’épouse séparée de bien
De même suite, et par jugement du 17 juin 2024, le Tribunal de commerce prononçait l’extension de la liquidation judiciaire de Monsieur F à Madame F, laquelle était son épouse séparée de bien, sur le fondement de la confusion des patrimoines.
Pour autant, par jugement du 18 octobre 2024, le Juge de l’exécution du Tribunal judiciaire rejetait la demande de suspension des poursuites de saisie immobilière, disait n’y avoir lieu à sursoir à statuer et ordonner la reprise des poursuites de saisie immobilière en fixant l’audience d’adjudication au 07 février 2025.
Une vente aux enchères publiques ordonnée malgré l’arrêt des poursuites individuelles ?
C’est dans ces circonstances que le mandataire liquidateur des époux F formait appel du jugement précité.
Dans le cadre de cet appel, le mandataire liquidateur invoquait la suspension de la procédure de saisie immobilière en raison de la liquidation judiciaire de Monsieur F et de Madame F en l’état de l’extension qui avait été faite avec confusion des patrimoines,
Le mandataire liquidateur, tout comme le débiteur saisi, demandait donc à la Cour d’infirmer le jugement déféré, de suspendre la procédure de saisie immobilière et d’ordonner un sursis à statuer dans l’attente de la décision qui doit être rendue par le Juge commissaire sur l’autorisation qui doit être donnée au liquidateur pour reprendre ou non la procédure de saisie immobilière suspendue par le jugement d’ouverture et demandait également de suspendre la procédure et, à tout le moins, subsidiairement, sursoir à statuer du fait de la confusion des patrimoines avec Madame F ordonnée par jugement du 17 juin 2024.
Les effets de la procédure collective et l’arrêt de la saisie immobilière
Le mandataire liquidateur soutenait effectivement que l’autorité de la chose jugée de l’arrêt du 24 février 2022 confirmant l’orientation de la saisie immobilière en vente forcée ne pouvait lui être opposée dès lors que l’ouverture de la procédure collective avait suspendu l’exécution de cet arrêt et que toute reprise doit désormais être autorisée par le Juge commissaire en vertu de l’article L 642-18 et R 642-24 du Code du commerce.
Le mandataire liquidateur soutenant ainsi que le droit d’ordre public des procédures collectives primant le droit commun de la procédure de saisie immobilière, dessaisissant le Juge de l’exécution au profit du Juge commissaire qui appréciait l’opportunité d’une vente amiable ou forcée afin de préserver l’intérêt des créanciers.
Un dessaisissement du juge de l’exécution au profit du juge commissaire ?
Le Juge commissaire disposant ainsi d’un pouvoir exclusif confirmé par l’article R 322-5 du Code des procédures civiles d’exécution pour autoriser la vente amiable compte tenu du risque de décote évaluée entre 10 et 20 %, notamment en présence d’un bien à caractère unique.
De telle sorte que le mandataire liquidateur était, à mon sens à juste titre, en droit d’affirmer que le jugement déféré, qui ordonnait la reprise de la saisie immobilière en vente forcée, ne respectait pas l’effet interruptif de plein droit des poursuites individuelles et l’argumentation du créancier poursuivant ne respecte pas la hiérarchie des normes, peu importe l’inaction du débiteur en faillite.
Quelle incidence de la procédure collective sur la reprise de la saisie immobilière ?
Dès lors, la question se posait à hauteur de Cour d’appel de l’incidence de la procédure collective sur la reprise de la procédure de saisie immobilière.
Il convient de rappeler que l’article 815-17 du Code civil dispose que le créancier qui aurait pu agir sur les biens indivis avant qu’il y ait eu indivision, et ceux dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des bien indivis, seront payés par le prélèvement sur l’actif avant le partage, ils peuvent en outre poursuivre la saisie et la vente des biens indivis.
Les créanciers personnels non-indivisaires ne peuvent saisir leur part dans les biens indivis, meubles ou immeubles.
Ils ont toutefois la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d’intervenir dans le partage provoqué par lui.
Créancier saisissant du coindivisaire ou créancier saisissant de l’indivision ?
Les coindivisaires peuvent arrêter le cours de l’action en partage en acquittant l’obligation au nom et en l’acquis du débiteur, ceux qui exerceront cette faculté se rembourseront par prélèvement sur les biens indivis.
Ainsi, selon la Cour, les créanciers de l’indivision bénéficient d’une situation préférentielle par rapport aux créanciers personnels des indivisaires, ils sont payés par prélèvement sur l’actif avant le partage selon l’article 875-17 alinéa 1.
Les deux règles posées par l’alinéa premier de l’article 815-17 paiement de l’indivision par prélèvement sur l’actif et possibilité de saisir les biens indivis, et par l’alinéa 2 du même article choix de l’interdiction faite au créancier personnel de saisir la part de leur débiteur dans les biens indivis crée une séparation complète des gages qui exclut tout concours entre créancier de l’indivision et créancier personnel dans l’indivisaire.
Pour la Cour d’appel, la Loi hiérarchise ainsi les deux groupes de créancier.
Le créancier de l’indivision titulaire d’une sureté doit être payé avant le partage sur la masse affectée à son gage.
Le créancier personne indivisaire quel que fut son droit de poursuite n’a de droit que sur une autre masse, le lot de son débiteur après partage sur lequel part son hypothèque son premier rang ne pouvant avoir d’effet sur la masse qui n’est pas son gage.
La question posée est celle de l’articulation du droit du créancier de l’indivision de saisir le droit indivis avant tout partage et la règle de l’interdiction des poursuites individuelles est de savoir si le droit de poursuite est maintenu ou paralysé par effet de la règle de l’interdiction des poursuites individuelles.
La Cour d’appel retient que le droit positif considère que les dispositions des articles 154 et 161 de la Loi N°85-88 du 25 janvier 1985 n’étant pas applicables au créancier hypothécaire d’indivision préexistante à l’ouverture de la procédure collective d’un indivisaire, ce créancier lorsqu’il entend poursuivre la saisie immobilière des biens indivis en vertu de ce droit n’est donc pas tenu de saisir le Juge commissaire.
À cet égard, la Cour soulève une jurisprudence, Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 24 mai 2018, N°16-26.378.
Ainsi, selon la Cour d’appel d’Aix en Provence, temps que le partage n’a pas été ordonné, les créanciers de l’indivision eux peuvent toujours exercer leur droit de poursuites sur l’immeuble, faire vendre et se payer par prélèvement sur le prix avant partage, primant ainsi les créanciers personnels de l’indivisaire et ce nonobstant l’interdiction des poursuites individuelles.
Le bien indivis étant leur gage exclusif.
Le droit de l’indivision primant le droit des procédures collectives ?
Pour la Cour, le droit positif est donc de primer le droit de l’indivision sur le droit des procédures collectives pour assurer les fictivités du droit du créancier de l’indivision de se payer directement sur le bien indivis avant tout partage.
Le bien indivis n’ayant pu être saisi dans sa globalité par la procédure collective, il restait le gage exclusif des créanciers de l’indivision.
En l’espèce, pour la Cour d’appel, il résulte des conditions de mise en œuvre de l’article 815-17 du Code civil que, en cas de procédure collective de l’un des indivisaires, la banque conserve son droit de poursuites et de saisir le bien immobilier des époux F si elle établit sa qualité de créancier de l’indivision préexistante à leur procédure collective.
Or, les époux F se sont mariés le 11 juin 1996 sous le régime de la séparation de biens, ayant contracté deux prêts par acte notarié du 14 septembre 2012 dont ils sont tous les deux codébiteurs solidaires à l’égard de la banque poursuivante.
Une indivision préexistant au redressement judiciaire ?
Ainsi, l’indivision préexiste au jugement du redressement judiciaire de Monsieur F du 09 mai 2022 converti en liquidation judiciaire par jugement du 05 juin 2023 et au jugement d’extension de la liquidation judiciaire à Madame F du 17 juin 2024.
De telle sorte que, à bien comprendre la Cour d’appel, en l’absence de partage des droits indivis des époux F, la banque créancière de l’indivision F est donc fondée à poursuivre la saisie et la vente forcée de leur bien immobilier indivis et n’est pas soumise aux règles de la procédure collective, notamment à la suspension des poursuites et à l’autorisation du Juge commissaire aux fins de réalisation d’un actif.
Pour la Cour d’appel, le mandataire liquidateur ne pouvant disconvenir du maintien des droits de poursuite du créancier saisissant en tant que créancier d’une indivision préexistante à l’ouverture de la procédure collective puisque, dans le cadre de son rapport adressé au Juge commissaire, il mentionnait lui-même que les biens immobiliers ne représentent pas un actif disponible conformément à la jurisprudence en vigueur.
Par conséquent, la Cour d’appel confirme le jugement déféré en ce qu’il a jugé que le bien immobilier saisi échappe à la procédure collective et peut donc être vendu par les créanciers saisissant.
Cette décision de la Cour d’appel est immanquablement curieuse.
Le principe de l’arrêt des poursuites individuelles au profit des deux époux séparés de bien tous deux placés en liquidation judiciaire
Elle vient bafouer et remettre en question le sacro-saint principe de l’arrêt des poursuites individuelles, et permets de relancer la saisie immobilière nonobstant la liquidation judiciaire prononcée, non pas à l’encontre d’un seul des deux époux mariés sous le régime de la séparation de bien, mais bel et bien à l’encontre deux époux.
De telle sorte que le principe de l’arrêt des poursuites individuelles devrait s’imposer, et ce, afin de permettre au mandataire liquidateur d’organiser une procédure de vente de l’actif immobilier des deux époux placés tous deux en liquidation judiciaire dans les meilleures conditions possibles et ce, sous le contrôle du juge commissaire et dans l’intérêt collectif de l’ensemble des créanciers de la procédure collective tout comme des intérêts des débiteurs eux-mêmes.
Un pourvoi s’impose,
C’est évident.
Mais quand on sait que le pourvoi n’est pas suspensif, la vraie question se pose de savoir si le, ou les, créancier saisissant aura la patience et la prudence juridique et judiciaire de patienter la décision à venir de la Haute juridiction ?
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,
Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,
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