
Une dame âgée vent l’un de ses appartements sur la Côte d’Azur à travers un contrat de vente en viager. Cependant les débirentiers qui profitent du bien pour le louer en location saisonnière ne payent aucune redevance. Est-il possible d’obtenir résolution judiciaire d’un contrat de vente en viager lorsque le débirentier ne paye aucune redevance ? Comment les expulser ? comment obtenir des dommages et intérêts ?
Article :
Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’appel d’Aix en Provence ce 01er avril 2025 et qui, loin d’être un bête poisson d’avril, vient soulever la question de la résolution d’un contrat aux torts exclusifs du débit rentier dans le cadre d’une vente en viager.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, et par acte authentique du 25 avril 2016, Madame R et son mari décédé depuis ont vendu un viager aux consorts P, un bien immobilier situé sur la commune de Fréjus au prix de 185 000.00 € comprenant une rente viagère annuelle révisable de 15 360.00 €, payable en douze mensualités de 1 280.25 € chaque mois jusqu’au décès des vendeurs.
Or, les débirentiers, qui ont cru bon profiter de la proximité de ce logement aux abords de Fréjus Plage, ont procédé quant à eux à de la location Airbnb sans pour autant payer les rentes viagères qu’ils devaient régler tous les mois.
C’est dans ces circonstances que, par acte du 28 juillet 2020, Madame R a adressé un commandement de payer visant l’arrêt de la rente viagère estimée à 19 164.00 € dans un délai de soixante jours, à défaut de quoi la clause résolutoire stipulée à l’acte de vente serait appliquée.
La défaillance des débirentiers
Par la suite, un deuxième commandement de payer visant cette fois-ci la somme de 19 899.13 €, visant une fois de plus la clause résolutoire, a été adressé les 16 et 17 février 2022 aux débits rentiers.
C’est dans ces circonstances que Madame R a fait citer les consorts P devant le Tribunal judiciaire de Draguignan aux fins de solliciter la résolution judiciaire du contrat, le paiement d’une indemnité correspondant aux arrérages restants à devoir, outre l’expulsion des débits rentiers et le paiement d’une indemnité d’occupation.
Par jugement rendu le 08 février 2024, le Tribunal judiciaire avait prononcé la résolution judiciaire de la vente en viager reçue en la forme authentique le 25 avril 2016, rappelé que pour être opposable aux tiers la publication du jugement au service de la publicité foncière compétent devait être effectuée par la partie demanderesse, condamné les consorts P à payer à Madame R la somme de 30 302.00 € à titre de dommages et intérêts, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement, outre 1 000.00 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, le Tribunal avait effectivement considéré que les débirentiers ne prouvaient pas qu’ils s’étaient libéré des arriérés de paiement de la rente viagère, de sorte que l’absence de paiement de cette dernière constituait un manquement suffisamment grave justifiant la résolution du bail.
Le non-paiement de la redevance par les débirentiers, motif de résiliation judiciaire du contrat de vente en viager ?
En outre, il était effectivement jugé que les consorts P devaient être condamné à la somme de 30 302.00 € au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subit en l’absence de versement régulier de la rente viagère.
En revanche, le Tribunal judiciaire avait débouté Madame R de sa demande d’expulsion considérant que l’occupation du bien par les consorts P n’était pas prouvée et qu’ils étaient, en tout état de cause, tenu de libérer les lieux par l’exécution de la résolution de la vente.
De même, il était jugé que la demande d’une indemnité d’occupation n’était pas fondée au regard des effets de la résolution du contrat et en absence de tout élément pour déterminer le montant d’une telle indemnité.
C’est dans ces circonstances qu’appel avait été interjeté par les débirentiers.
Fort heureusement, une fois n’est pas coutume, Madame R, déjà âgée et ayant déjà perdu son mari, a sollicité de la Cour d’appel d’Aix en Provence un calendrier court afin de ne pas se retrouver finalement exposée à un risque de décès sérieux avant que le procès se termine, ce qui aurait été à l’avantage des débits rentiers qui, pourtant, ne respectaient pas leur obligation.
Un calendrier court pour empêcher les débirentiers de jouir d’une procédure longue
Fort heureusement, la Cour d’appel a entendu ce cri de détresse et a fixé une date d’audience très courte, ce qui amène finalement à un arrêt rendu le 01er avril 2025, soit, à peine un an après le jugement qui avait été rendu en Première Instance le 08 février 2024 et on ne peut que saluer le calendrier de procédure et la rapidité à laquelle la Cour s’est exprimée.
Étant précisé que cette rapidité est essentiellement due à l’insistance du conseil de Madame R en la personne de votre serviteur qui a pris soin de tancer la Cour et d’attirer son attention toute particulière sur l’urgence de la situation.
Les appelants, les consorts P qui étaient d’une mauvaise foi pas tentée car depuis longtemps ils ne réglaient plus les rentes qui étaient à leur charge alors que ces derniers louaient le bien et en tiraient forcément profit, ont soulevé plusieurs moyens.
Tout d’abord, une fin de non-recevoir soulevée en cause d’appel.
La nullité de l’assignation en résiliation judiciaire du contrat de vente en viager ?
En effet, les appelants excipent de la nullité de l’assignation sur le fondement de l’article 193 du Code de procédure civile soutenant, d’une part, qu’elle n’avait pas été délivrée au nom de Monsieur P car les deux consorts P s’appelaient ainsi mais seul un des P avait été touché par l’assignation et, d’autre part, qu’elle avait été délivrée le 05 mai 2023, soit, postérieurement à l’audience de première Instance de décembre 2022 et ils soutenaient que cela leur avait causé grief dès lors que l’acte aurait dû leur être signifié à leur domicile et qu’ils auraient dû bénéficier de l’allongement du délai qui leur était dû pour préparer leur défense.
Les consorts P arguent en outre la nullité de la signification du jugement du 08 février 2024 faisant valoir, d’une part, que l’acte remis à Monsieur P mentionné une date de décision erronée du 08 avril 2024, ce qui lui causait un grief dès lors qu’il n’avait pas pu savoir si la décision signifiée était bien la même que celle annexée et que, d’autre part, l’acte n’avait jamais été signifié à l’autre Monsieur P.
Pour autant, la Cour ne s’y trompe pas.
En effet, celle-ci rappelle que, aux termes de l’article 123 du Code de procédure civile, les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause à moins qu’il n’en soit disposé autrement.
Les appelants sont donc recevables à présenter en cause d’appel la fin de non-recevoir tirée du défaut de signification régulière de l’assignation.
Cependant, s’agissant de nullité pour vice de forme, elle nécessite la preuve d’un grief subi conformément aux dispositions de l’article 114 du même Code.
Une absence de griefs pour les débirentiers qui ne payent aucune redevance depuis plus de 2 ans,
Or, la Cour souligne, à juste titre à mon sens, que pour soutenir que la signification n’aurait pas été régulière et que cela leur cause grief, les consorts P indiquent qu’ils n’ont pu bénéficier d’un allongement des délais vivant à l’étranger et donc d’un temps supplémentaire pour préparer leur défense.
Or, les articles 643 et 144 du Code de procédure civile auxquels ils se réfèrent, qui prévoient une augmentation de délais procéduraux de deux mois pour les parties résidant à l’étranger ne bénéficient qu’à la partie qui doit accomplir l’acte de procédure en l’espèce Madame R et non au défendeur.
Enfin, comme justement relevé par le Tribunal en Première Instance, Madame R produit au débat en pièces 10 et 11 les justificatifs de signification accomplis conformément aux dispositions de l’article 4§3 de l’article 9§ du règlement Européen et du conseil du 13 novembre 2007, de sorte que Monsieur P, quand bien même justifie pour sa part de la remise de l’assignation à sa personne qu’en mai 2023, il ne démontre pas l’irrégularité de la signification opérée à son égard.
Il en résulte que la nullité de la signification de l’assignation délivrée par Madame R n’est donc pas encourue.
S’agissant enfin de la nullité de la signification du jugement, l’erreur de mention sur l’acte de la date de la décision annexée constitue une erreur matérielle et, en toute hypothèse, constitue là-encore, un vice de forme qui, sur le fondement de l’article 114 du Code de procédure civile requiert démonstration pour aboutir d’un grief.
Or, là-encore, les consorts P ne démontrent pas en quoi cette mention erronée leur aurait porté grief puisqu’ils ont pu faire appel de la décision signifiée.
Ils sont, dès lors et à juste titre, déboutés de leur fin de non-recevoir.
La vraie question se pose bien sûr quant à la problématique de la demande de résolution du contrat de vente en viager.
L’absence de paiement de la redevance dans un contrat de vente en viager
Les consorts P, en effet, soutenaient que Madame R ne rapportait pas la preuve de l’absence de paiement des arriérages, le tableau qu’elle produisait n’était pas suffisant dès lors qu’il s’agissait d’une preuve qu’elle s’était constitué elle-même et ne justifiait pas de la gravité de leur comportement qui justifierait la résolution du contrat tel que l’a prononcé le Tribunal.
De surcroit, les consorts P considéraient qu’elle a exécuté la convention de mauvaise foi en leur délivrant des actes à une adresse qui n’était pas la leur.
Madame R, quant à elle, soutenait au contraire que la résolution judiciaire du contrat de vente en viager s’imposait au regard des manquements graves et renouvelés des débits rentiers à leurs obligations de s’acquitter mensuellement et d’avance une rente viagère.
Elle faisait valoir que les débits rentiers ne payaient que de manière sporadique et aléatoire comme le démontrent les décomptes qu’elle produit.
Elle rappelle enfin que l’acte portant vente en viager mentionnait expressément qu’elle sera résolue un mois après un simple commandement de payer resté sans effet, ce qui est bien le cas en l’espèce.
Enfin, Madame R ajoute que l’article 7 de l’acte de vente lui permet, au titre de la Loi des parties, de solliciter l’allocation à titre d’indemnité contractuelle des sommes déjà perçues à titre de rentes viagères.
La résolution judiciaire du contrat de vente en viager
La Cour rappelle que le contrat de vente viagère litigieux a été placé antérieurement à la réforme du droit des contrats et de l’ordonnance de 2016 entrant en vigueur au 01er octobre 2016, de sorte que, seul le droit antérieur est applicable au cas d’espèce.
L’article 1978 du Code civil prévoit que le seul défaut de paiement des arriérages de la vente viagère n’autorise pas celui en faveur de qui elle a été constitué à demander la résolution de la vente.
Toutefois, cette disposition n’est pas d’ordre public et il est des jurisprudences constantes que les parties peuvent déroger à ces dispositions en l’insérant dans le contrat de vente moyennant rente viagère une clause résolutoire exprimant de manière non-équivoque leurs intentions de mettre fin de plein droit très souvent après mise en demeure ou commandement de payer à leur convention en cas de non-paiement des rentes.
Cette clause doit être expresse et non-équivoque.
Or, en l’espèce, l’acte de vente prévoit en son article 7 que, à défaut par le débit rentier de payer exactement les arriérages de la rente et en cas de mise en demeure par le crédit rentier ou débit rentier d’avoir acquittée la rente, la vente sera résolue de plein droit après un simple commandement de payer resté infructueux pendant soixante jours et contenant déclaration par le crédirentier de son intention d’user du bénéfice de cette clause sans qu’il ne soit besoin de remplir aucune formalité judiciaire.
Dans ce cas, tous les arriérages perçus par le crédirentier et tous les embellissements et améliorations apportés au bien vendu seront de plein droit et définitivement acquis au crédit rentier, sans recours ni répétition de la part du débit rentier défaillant, et, à ce titre, de dommages et intérêts et indemnités forfaitairement fixés.
La Cour souligne que les parties ont donc prévu dans l’acte des dispositions expresses permettant à Madame R de demander la résolution du contrat en cas de défaut de paiement d’arriérages.
Le défaut de paiement de la redevance par le débirentier
Celle-ci étant de plein droit, après simple commandement, restée infructueuse pendant soixante jours.
Madame R a fait délivrer deux commandements de payer dont le dernier datait du 16 février 2022 visant la clause résolutoire et faisant état d’un montant de rentes impayées de plus de 19 664.00 € délivrés aux consorts P, ce qui n’est quand même pas rien.
Par la suite, Madame R fournira un décompte réactualisé réalisé par ces soins sur la base d’une rente indexée de 1 280.00 € indiquant un total impayé de 30 302.00 € au jour de l’assignation.
Les appelants, quant à eux, contestent ce décompte et soutiennent avoir réglé l’ensemble des sommes réclamées.
Toutefois, selon les dispositions de l’article 1353 du Code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver, réciproquement, celui qui s’en prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de cette obligation.
Or, les consorts P, à l’appui de leur affirmation, ne produisent strictement aucun relevé de comptes ou pièces justifiant des virements mensuels de la rente qu’ils revendiquent.
Ainsi, à défaut de rapporter la preuve qu’ils se sont acquittés des rentes dues à Madame R, ils ont, de manière réitérée et depuis au moins l’année 2019, manqué à leurs obligations justifiant à prononcer la demande par Madame R de la clause résolutoire de la décision.
Et la décision de première Instance mérite confirmation de ce chef.
Quels dommages et intérêts en cas de résolution judiciaire d’un contrat de vente en viager ?
S’agissant de la demande de dommages et intérêts, il a été rappelé ci-dessous par ailleurs que les parties avaient prévu expressément que, de l’anéantissement du contrat, toutes les sommes effectivement payées par les acquéreurs débirentiers seraient conservées par le vendeur crédit rentier à titre de dommages et intérêts.
Aucune restitution au débiteur ne saurait être ordonnée de ce titre.
Par ailleurs, Madame R demande l’indemnisation de son préjudice du fait de la jouissance par les appelants du bien sans aucune rente aux parties en la privant ainsi, non seulement du bien, mais des ressources que la vente devait lui procurer.
Le préjudice de jouissance dans le cas d’un contrat de vente en viager
Au regard de l’importance de la défaillance des débits rentiers invoquée portant des retards de versement de plusieurs années, Madame R, crédit rentier qui justifie d’un préjudice distinct de celui qui est indemnisé par la clause pénale rappelée ci-dessus après, est fondée à réclamer le paiement de dommages et intérêts complémentaires du montant des sommes impayées jusqu’au jour de l’arrêt rendu, soit, 30 302.00 € arrêté à la date du jugement et à parfaire jusqu’au jour de l’arrêt à raison de 1 280.00 € par mois supplémentaire.
Ainsi, c’est à juste titre que le Tribunal a rappelé les effets de la résolution du contrat et l’anéantissement de la vente entrainant l’impossibilité pour les débits rentiers de se maintenir dans les lieux, aucune indemnité d’occupation ne peut être réclamée.
En revanche, il est possible à Madame R, qui a poursuivis la résolution judiciaire du contrat pour non-paiement des rentes de demander l’expulsion des débirentiers.
L’expulsion des débirentiers
En effet, il est constant, sous l’empire des droits antérieurs à la réforme de 2016, que cette expulsion est conditionnée par l’acquisition effective de la clause résolutoire au prononcé judiciaire de la résolution, l’expulsion pouvant être ordonnée qu’après résolution et à la condition que le contrat ait été résolu pour inexécution.
Tel est bien le cas en l’espèce et il y a lieu d’ordonner l’expulsion des consorts P, occupants sans droit ni titre, ainsi que celle de tout occupant de leur chef dans le mois de la signification de la décision rendue et avec le concours de la force publique et d’un serrurier si nécessaire.
Ainsi, cet arrêt de Cour d’appel est extrêmement satisfaisant et rappelle qu’un contrat de vente en viager peut être résilié dans la mesure où les débits rentiers ne régleraient pas la rente mensuelle permettant ainsi au crédit rentier de récupérer son bien, de conserver l’ensemble des rentes qui ont déjà été versées et, dans le cas particulier de cette jurisprudence en l’état du grave préjudice subi par Madame R, d’obtenir en plus l’indemnisation d’un préjudice distinct qui consiste à leur reprocher l’ensemble des sommes qui n’auraient pas été réglées.
Ce qui est extrêmement satisfaisant.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,
Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,
No comment yet, add your voice below!