La saisie pénale immobilière d’un local commercial en nue-propriété est-elle possible ? Il y a-t-il un sort différent selon la nue-propriété ou l’usufruit du bien immobilier ? Une saisie pénale réalisée sur la seule nue-propriété suffit-elle à garantir la confiscation ? La saisie pénale empêche t’elle d’user du bien ou d’en percevoir ses fruits ?

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour de cassation, Chambre criminelle, 12 octobre 2024, N°2023-86.164 et qui vient aborder les conditions spécifiques d’une saisie pénale immobilière lorsque le bien est démembré.

En effet, la Cour de cassation rappelant que, en cas de démembrement du droit de propriété, la saisie immobilière ne peut porter que sur les droits démembrés confiscables à l’exclusion de la pleine propriété du bien, sauf à ce que chacun des droits démembrés soit en lui-même confiscable.

En effet, dans cette affaire, et par ordonnance du 29 septembre 2022, le Juge des libertés de la détention avait ordonné la saisie de locaux commerciaux dont était nue-propriétaire Monsieur E et usufruitiers les consorts G et son épouse Madame P.

Une saisie pénale immobilière entrainant la confiscation d’une nue-propriété ?

C’est dans ces circonstances que Monsieur G a interjeté appel de la décision puis s’est pourvu en cassation, il venait effectivement reprocher à la Cour d’appel et au JLD d’avoir ordonné la saisie des deux locaux commerciaux situés au rez-de-chaussée et au premier étage ainsi que de deux places de parking dont était propriétaire Monsieur E en qualité de nu-propriétaire, ainsi que les consorts G et son épouse Madame P en qualité d’usufruitiers.

Ce dernier soutenait en tout état de cause que toute personne a droit au respect de ses biens, que les restrictions de propriété doivent être prévues pour la Loi poursuivie en but légitime et ménageait un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’indivision.

La saisie pénale immobilière d’un local commercial en nue-propriété est-elle possible ?

Selon ces derniers, la saisie d’un immeuble à usage commercial même limitée à la seule nue-propriété est susceptible de porter atteinte aux droits de propriété de l’usufruitier tiers à la procédure sur cet immeuble dès lors qu’il ne peut, en application de l’article 595 du Code civil, donner à bail un tel immeuble sans le concours du nu-propriétaire.

Or, après avoir constaté que les consorts G et P, parents de Monsieur E, n’étaient pas, en l’état de la procédure, visés par l’enquête en cours et qu’en leur qualité de tiers à la procédure leur bonne foi n’était pas contestée.

Un sort différent selon la nue-propriété ou l’usufruit du bien immobilier ? 

La Chambre d’Instruction avait jugé que leurs droits d’usufruitiers sur les immeubles concernés étaient préservés par l’ordonnance du Juge des libertés de la détention.

Ces derniers ne partageaient pourtant pas cette analyse puisqu’ils considéraient que, entant qu’usufruitiers tiers à la procédure sur cet immeuble à usage commercial, leurs droits d’usufruitiers n’étaient pas préservés par l’ordonnance prononçant la saisie de celui-ci car, quand bien même celle-ci aurait été limitée à la seule nue-propriété dès lors qu’ils ne peuvent, en application de l’article 595 du Code civil, donner à bail un tel immeuble sans le concours du nue-propriétaire, la Chambre de l’Instruction aurait violé les articles premiers du premier protocole additionnel à la convention Européenne des droits de l’homme et de l’article 17 de la charge des droits fondamentaux de l’Union Européenne.

Les usufruitiers précisant par ailleurs que tout jugement doit comporter les motifs propres à justifier la décision et ces derniers considéraient que l’insuffisance sur la contradiction des motifs équivaut leur absence.

Une saisie pénale réalisée sur la seule nue-propriété suffit-elle à garantir la confiscation ?

Or, ils reprochaient au Juge des libertés de la détention d’avoir procédé à la saisie pénale de la seule nue-propriété de ce bien immeuble afin de garantir la peine de confiscation.

Étant rappelé que, effectivement les consorts P et G, parents de E, ne sont pas en l’état de la procédure visés par l’enquête en cours et que, en qualité de tiers à la procédure, leur bonne foi n’est actuellement pas contestée.

Ils considéraient que le Juge des libertés de la détention n’avait pas justifié sa décision, tant bien même ce dernier considérait que leur bonne foi n’était pas contestée et que leurs droits d’usufruitiers sur l’immeuble concerné étaient parfaitement conservés par ladite ordonnance.

Pour autant, la Cour de cassation vient apporter quelques précisions sur les problématiques très spécifiques liées à une confiscation sur un droit immobilier démembré.

Ainsi, la Haute juridiction apporte quelques réponses et considèrent que le moyen des usufruitiers est infondé.

Dès lors, si la saisie de la nue-propriété d’un immeuble à usage commercial prive l’usufruitier de cet immeuble de la faculté de le donner à bail commercial et qu’en application de l’article 595 du Code civil, un tel acte implique le concours du nu-propriétaire en raison de l’indisponibilité de sa nue-propriété consécutive à sa saisie, les dispositions conventionnelles invoquées ne sont pas pour autant inconnues.

En effet, d’une part, la saisie pénale qui est prévue par la Loi poursuit le but légitime de la garantie de l’exécution de la peine complémentaire de confiscation encourue par l’auteur de l’infraction objet de la procédure, d’autre part, la conciliation entre cet objectif et le droit au respect des biens de l’usufruitier n’est pas déséquilibré dès lors que la restriction apportée au droit de ce dernier n’est que partielle.

La saisie pénale empêche t’elle d’user du bien ou d’en percevoir ses fruits ?

La saisie ne suspendant ni l’usage du bien ni le surplus du droit d’en percevoir les fruits est temporaire.

Les Juges étant tenus en outre de statuer dans un délai raisonnable car elle prend fin en cas de restitution de la nue-propriété ou lorsqu’elle est suivie de sa confiscation ordonnée le cas échéant par le Juge du fond.

Concernant la motivation de la décision telle que l’usufruitier avait cru bon venir contester cette absence ou faiblesse de motivation, la Cour de cassation, quant à elle, rappelle au visa des articles 593 et 706-150 du Code de procédure pénale que tout arrêt de la Chambre de l’Instruction doit comporter des motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties.

L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut en leur absence.

Pour autant, il résulte du second de ces textes qu’au cours de l’enquête de flagrance, une enquête préliminaire, le Juge des libertés de la détention saisi par requête du Procureur de la République peut ordonner par décision motivée la saisie aux frais avancés du trésor des immeubles dont la confiscation est prévue par l’article 131-21 du Code pénal.

Un bien immobilier, démembré entre nue-propriété et usufruit peut-il être saisi ? 

Pour confirmer la saisie des locaux commerciaux, la Cour de cassation souligne que la Chambre d’Instruction retient que les droits réels, propriété usufruit et nue-propriété constituent des biens au sens de l’article 131-21 du Code pénal et que les droits patrimoniaux dont une personne condamnée est titulaire peuvent être confisqués et dévolus à l’État.

Les Juges précisant que, en l’espèce, les immeubles concernés par la saisie pénale ont fait l’objet d’un démembrement de propriété puisque les consorts G et F ayant fait donation de leur nue-propriété à leurs fils Monsieur E en ont eux-mêmes conservé l’usufruit.

La Chambre d’Instruction rajoutant que Monsieur E est donc nue-propriétaire des immeubles qui ont fait l’objet de la saisie et il n’est pas contestable que la cause d’inaliénabilité déroge au principe de la libre disposition des biens et que, s’il n’est pas contestable que la clause d’inaliénabilité déroge au principe de la libre disposition des biens, elle ne remet nullement en cause le droit réel qu’il détient sur l’immeuble et la possibilité de procéder à une saisie pénale.

L’usufruitier du bien immobilier confisqué, tiers de bonne foi dans la saisie ? 

Ainsi, les Juges du fond ont énoncé enfin que les consorts G et F ne sont pas, en l’état de la procédure, visés par l’enquête en cours, qu’en leur qualité de tiers à la procédure, leur bonne foi n’est pas contestée et que leurs droits d’usufruitiers sur les immeubles concernés sont parfaitement préservés par l’ordonnance du Juge des libertés de la détention.

En prononçant ainsi, la Chambre de l’Instruction d’une part s’est contredite en confirmant la saisie des immeubles ordonnée par le Juge des libertés de la détention tout en constatant que seule était saisissable leur nue-propriété, il n’a pas ainsi justifié sa décision.

D’autre part, la Cour de cassation précise que, en cas de démembrement du droit de propriété, la saisie immobilière ne peut porter que sur le droit démembré confiscable à l’exclusion de la pleine propriété du bien sauf à ce que chacun des droits démembrés soit, en lui-même, confiscable.

De telle sorte que celle-ci a méconnu les textes susvisés ainsi que les principes sus rappelés et a donc ainsi cassé et annulé l’arrêt de la Chambre d’Instruction ainsi litigieux.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël, 

Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,

www.laurent-latapie-avocat.fr

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