
Analyse de deux jurisprudences rappelant le sort de la servitude de passage lorsque plusieurs propriétaires de fonds enclavés ont vocation à se servir de cette servitude de passage, tout comme lorsque la multiplication des propriétaires de la servitude de passage déjà existante découle de la division des fonds dominants bénéficiant de ladite servitude conventionnelle de passage.
Article :
Il convient de s’intéresser à deux jurisprudences qui ont été rendues le même jour, ce 12 septembre 2024, qui viennent aborder et rappeler quelques principes fondamentaux en termes de servitude de passage.
Une première jurisprudence rappelant que lorsque plusieurs propriétaires de fonds enclavés bénéficient d’un passage sur un fonds voisin sur le fondement de l’article 182 du Code civil, chacun d’eux est redevable à l’égard du propriétaire de ce fonds d’une indemnité réparant les inconvénients et désagréments causés par l’exercice de son droit.
Chaque propriétaire bénéficiant du passage occasionnant un dommage distinct de celui causé par les autres usagers de la servitude.
La deuxième jurisprudence étudiée précise que, s’il résulte de l’article 700 alinéa premier du Code civil que, en cas de division d’un fonds bénéficiant d’une servitude conventionnelle de passage, la servitude reste due au profit de l’ensemble des fonds issus de celle-ci, peu importe l’absence de contiguïté de l’un d’eux avec le fonds servant.
Ce texte n’emporte pas de plein droit création d’une servitude entre des fonds issus de ladite servitude.
Dans la première jurisprudence, Cour de cassation, première Chambre civile, 12 septembre 2024, N°22-18.602.
Quels sont les faits ?
Dans la première affaire, Cass 1ère civ, 12 septembre 2024, n°22-18.602, Monsieur J et sa sœur, Madame F, propriétaires de parcelles enclavées, ont assigné notamment Madame S, propriétaire de parcelle voisine, en création d’un passage sur sa propriété afin d’assurer la desserte de leur fonds.
Une servitude de passage impactant plusieurs lots
Monsieur et Madame W, propriétaires des parcelles contiguës également enclavées, les consorts V et G, donataires des terrains appartenant à leur mère, Madame F, mère des demandeurs depuis décédée et aux droits de laquelle viennent ses enfants, sont intervenus à la procédure en demandant à bénéficier du passage sur la propriété de Madame S et de Madame C, sa fille également intervenue à l’Instance.
L’indemnisation solidaire des propriétaires des fonds dominants
Or, dans le cadre de la procédure à hauteur de Cour de cassation, Madame Z faisait grief à la Cour d’appel d’avoir rejeté sa demande d’indemnisation alors que, selon elle, la condamnation solidaire des propriétaires de fonds dominants à verser une somme en indemnisation proportionnée au préjudice occasionné aux propriétaires du fond servant par une servitude de passage n’est pas incompatible avec le principe posé par l’article 682 du Code civil selon lequel l’indemnité doit être proportionnée aux dommages causés par le passage pour désenclaver les fonds dominants dès lors qu’il contribue à l’entier dommage et que, entre eux, les coauteurs ne contribuent à la dette qu’à concurrence de leur part.
Ainsi, en l’espèce, saisie d’une demande de condamnation solidaire, les propriétaires des différents dominants qui seraient amenés à emprunter la servitude de passage établie sur le fonds de Madame Z, la Cour d’appel avait effectivement décidé qu’elle ne pouvait fixer une indemnité en fonction des inconvénients des désagréments occasionnés par chacun des fonds dominants.
Un passage suffisant pour assurer la desserte de la servitude
Ainsi, la Cour de cassation précise dans cette jurisprudence que, selon l’article 1682 du Code civil, le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qu’il n’a, sur la voie publique, aucune issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole industrielle ou commerciale de propriété, soit pour la réalisation d’opération de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur le fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ces fonds, à charge d’une indemnité proportionnée aux dommages qu’il peut occasionner.
Selon l’article 1309 du Code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance N°2016-131 du 10 février 2016, l’obligation qui lie plusieurs créanciers au débiteur se divise de plein droit entre eux.
Si elle n’est pas réglée autrement par la Loi ou par le contrat, la division a lieu par part égale.
Il en va autrement dans les rapports entre les créanciers et les débiteurs que si l’obligation est solidaire ou si la prestation due est indivisible.
Enfin, la Cour de cassation rappelle que, au terme de l’article 1310 du Code civil, la solidarité est illégale ou conventionnelle et ne se présume pas.
Une indemnisation proportionnée aux désagréments causés par l’exercice de la servitude
Ainsi, pour la Haute juridiction, il résulte de la combinaison de ces textes, d’une part, que lorsque plusieurs propriétaires de fonds enclavés bénéficient d’un passage sur un fonds voisin sur le fondement du premier de ces textes, chacun d’eux est redevable à l’égard du propriétaire de ce fonds d’une indemnité réparant les inconvénients et désagréments causés par l’exercice de son droit, chaque propriétaire bénéficiant du passage occasionnant un dommage distinct de celui causé par les autres usagers de la servitude.
D’autre part, qu’en l’absence de convention de Loi la prévoyant, aucune condamnation solidaire au paiement de l’indemnité prévue par l’article 182 du Code civil ne peut être prononcée à son encontre.
Quels sont les faits de la deuxième jurisprudence ?
Dans le cadre de la deuxième jurisprudence, Cour de cassation, première Chambre civile, 12 septembre 2024, N°23-14.479, les faits étaient un quelque peu différents.
En effet, par acte du 06 novembre 1998, une servitude conventionnelle de passage d’une assiette de 100 mètres de longueur avait été consentie notamment sur une parcelle cadastrée A12 au profit des parcelles cadastrées A14 et A15 situées au Sud de la parcelle A12 et ce, pour permettre de rejoindre la route principale située au Nord de ce fond.
Or, Madame W avait acquis les parcelles cadastrées section A3 issue de la division de la parcelle A12 et la section A4 issue de la division de la parcelle A14 et correspondant à la partie Nord de cette parcelle.
Les consorts G, quant à eux, ont acquis les parcelles cadastrées section A5 et A6, respectivement issues de la division des parcelles A12, A14 et A2 et correspondants ainsi à la partie Sud de ces parcelles.
Or, par acte du 30 novembre 2007, a été créé une servitude de passage sur la parcelle cadastrée section A7 au profit des parcelles A5 et A6 permettant à Madame G d’accéder à leur propriété par ladite route en question.
Une démolition d’ouvrage demandée pour pouvoir bénéficier de la servitude de passage
Ainsi, considérant bénéficier de la servitude constituée en 1998 sur la parcelle A12 et ainsi être en droit de passer sur la parcelle de Madame W pour rejoindre le chemin de 100 mètres précité depuis leur fonds, les consorts G ont assigné Madame W en démolition de l’ouvrage faisant obstacle à leur passage.
La conséquence était donc importante.
Dans le cadre de ce pourvoi, les consorts G faisaient grief à l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence d’avoir rejeté leurs demandes tendant la condamnation de Madame W et à dégager l’accès à la propriété par le lot A16 avec démolition de l’ouvrage.
Une répartition et une division de lots complexifiant la servitude de passage
Cette dernière considérait qu’il résultait de la servitude conventionnelle de passage en date du 06 novembre 1998, rappelée par le titre de Madame W fonds servants et du plan intégré à ce titre, que la parcelle A2, actuellement A8, dont la Cour d’appel constate qu’elle a été acquise par les consorts G avec la parcelle A5 issue de la division de la parcelle A14 fait partie des fonds dominants bénéficiaire de cette servitude et qu’elle est située au Sud de la parcelle A14 devenue A4, propriété de Madame W.
De sorte que sa desserte par la servitude dont elle bénéficie suppose nécessairement que le chemin de servitude se prolonge vers le Sud de ladite parcelle A14, devenue A4.
Or, les consorts G précisent encore que si l’héritage pour lequel la servitude a été établie vient à être divisé, la servitude reste due pour chaque portion sans néanmoins que la condition du fonds assujetti soit aggravée.
En cas de division de lots, une servitude restant due pour chaque portion
Dès lors, la nécessité de prolonger le passage, tel que défini par la servitude conventionnelle, au-delà du fonds servant sur le fonds dominant pour parvenir à desservir chaque portion de ce fonds dominant divisé ne saurait caractériser une aggravation du fonds assujetti.
Or, il résultait des propres constations de la Cour d’appel que la parcelle des consorts G A5 actuellement A9 et issue de la division de la parcelle A14 qui est le fonds dominant lequel est desservi par la servitude conventionnelle de passage qui grève la parcelle A3 issue de la parcelle A12 propriété de Madame W.
Or, la Cour d’appel rejetant la revendication des époux G quant à l’idée d’un passage sur le fonds de Madame W, propriétaire du fonds servant N°A3 issu de la parcelle A12, sur la circonstance que la servitude de passage conventionnelle à seulement 100 mètres de long et prend fin au Nord de la parcelle A14, fonds dominant, et que la desserte de la parcelle des époux G plus au Sud constituerait une aggravation du fonds assujettie dès lors qu’elle suppose une prolongation du tracé existant sur le fonds A4 appartenant à Madame W également issue de la division du fonds dominant.
La Cour de cassation quant à elle rappelle au besoin que, aux termes de l’article 700 alinéa premier du Code civil, si l’héritage pour lequel la servitude a été établie vient à être divisé, la servitude reste due pour chaque portion sans néanmoins que la condition du fonds assujetti soit aggravée.
Une servitude maintenue sur les lots sans aggraver le fonds
S’il résulte qu’en cas de division d’un fonds bénéficiant d’une servitude conventionnelle de passage la servitude reste due au profit de l’ensemble des fonds issus de celle-ci, peu importe l’absence de contiguïté de l’un d’eux avec le fonds servant, ce texte n’emporte pas de plein droit création d’une servitude entre les fonds issus de la division.
Ainsi, la Haute juridiction rappelle que la Cour d’appel a constaté qu’il ressortait des plans soumis à la discussion celui annexé à l’acte constitutif de servitude de 1998 n’ayant pas été produit au débat, que l’assiette de celle-ci prenait fin à la limite Nord de la parcelle alors cadastrée N°A14 que la propriété des consorts G, quoi que constituée de deux parcelles issues de la division de fonds désigné comme dominant par l’acte précité, section A14 et A2, n’avait pas d’accès à l’assiette de la servitude en question et que, sauf à prendre le passage chez un autre voisin, seule une prolongation sur la parcelle A4 de Madame W leur permettait d’accéder à ce terrain d’assiette.
Ainsi, ayant procédé à la recherche prétendument omise, ce dont elle a, abstraction faite des motifs erronés mais surabondamment critiqué par sa seconde branche, justement déduit que les consorts G ne pouvaient réclamer sur le fondement de l’acte de 1998 un droit de passage conventionnel sur la parcelle cadastrée A4 appartenant à Madame W.
Pour autant, la Cour d’appel avait également rejeté les demandes des consorts G quant à leurs demandes de condamnation de Madame W à dégager l’accès à leur propriété par le lot A15 ainsi que celle en réparation d’un préjudice de jouissance d’un préjudice moral.
Or, les consorts G à hauteur de Cour de cassation considéraient que les Juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner les éléments de preuve qui leurs sont soumises par les parties.
Or, en énonçant que les procès-verbaux établis par les huissiers les 08 et 10 mars, puis, le 12 octobre 2012, démontrant la présence d’une boite aux lettres, de deux containers à poubelles, de branchage de mimosa et d’une barrière de chantier correspondant à un cas éphémère sur la voie d’accès débouchant sur le lot A15 sont insuffisants à caractériser une entrave au droit de passage des époux G sur le fonds cadastré A7 sans examiner, alors qu’il appartenait, selon les consorts G, à la Cour d’appel d’examiner, ainsi qu’elle y était d’ailleurs invité, dans les constats d’huissier des 07 et 10 juin 2013 relevant outre la présence de deux barrières de chantier l’installation d’un grillage de clôture fixé sur piquets métalliques avec percement au sol et fixation du grillage dans la roche sur la gauche, interdisant ainsi l’accès au chemin.
Démontrant par la même l’entrave du droit de passage des époux G.
L’entrave à la servitude de passage due à des branchages et une barrière
La Cour de cassation précise que, pour rejeter la demande des consorts G tendant à ordonner à Madame W de dégager l’accès à la propriété se faisant ainsi que celle subséquente de dommages et intérêts, la Cour d’appel retient que la présence de branchages et d’une barrière, mentionnés dans les procès-verbaux établis en mars et octobre 2012 ne correspondent qu’à un cas éphémère, aucun autre encombrement n’étant dénoncé depuis.
Or, la Haute juridiction rappelant que, en statuant ainsi sans expliquer comme elle y était invitée sur les faits rapportés par le constat d’huissier des 07 et 10 juin 2013, la Cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
La Haute juridiction cassant et annulant l’arrêt de la Cour d’appel mais seulement en ce qu’il rejette la demande de condamnation de Madame W à dégager l’accès à la propriété des consorts G par la route en question ainsi que celle en réparation d’un préjudice de jouissance et d’un préjudice moral.
Ainsi, ces deux jurisprudences sont intéressantes puisqu’elles viennent rappeler le sort d’une servitude de passage lorsque plusieurs propriétaires de fonds enclavés ont vocation à se servir de cette servitude de passage, tout comme lorsque la multiplication des propriétaires de la servitude de passage déjà existante découle de la division des fonds dominants bénéficiant de ladite servitude conventionnelle de passage.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,
Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,
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