Responsabilité de la banque et souscription d’un contrat d’assurance vie,

Laurent Latapie avocat banque
Laurent Latapie avocat banque

Dans quelles conditions la banque engage sa responsabilité dans la souscription, l’exécution, et la résiliation d’un contrat d’assurance vie ? Ceci d’autant plus que très souvent, c’est le conseiller bancaire qui conseille ses clients quant à la souscription d’un contrat d’assurance vie pourtant établi par une compagnie d’assurance, proche mais distincte de l’établissement bancaire proprement dit.  

Article :

Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue en juin dernier et qui vient aborder la problématique de la responsabilité de l’établissement bancaire dispensateur de crédit lorsque ce dernier subordonne l’octroi du prêt à la souscription d’une assurance vie garantissant la fin des remboursements.

Les conditions de souscription de l’assurance vie

Dans cette affaire, les consorts E qui par l’intermédiaire de la banque C avaient adhéré à deux contrats collectifs d’assurance sur la vie dénommés H souscrits par cette banque auprès de la société S, avaient en mai 2002, informé celle-là de sa volonté de résilier ses contrats et lui avait demandé de transférer leur valeur sur leur compte chèques.

La résiliation des contrats d’assurance vie

La banque, qui avait refusé de donner suite à cette demande, avait été condamnée en référé à l’exécuter et a dû verser aux héritiers des consorts E une somme correspondant à la moins-value enregistrée sur les contrats avant cette exécution et aux intérêts de droit.

Elle avait alors déclaré ce sinistre à la Caisse de garantie des professionnels de l’assurance (la CGPA) auprès de laquelle elle avait souscrit une assurance de responsabilité civile professionnelle couvrant l’activité de courtier en assurances.

Il convient dans un premier temps de s’intéresser à la portée de l’article L 140–6 du Code des Assurances qu’il convient de reprendre dans son intégralité.

« Pour les contrats d’assurance de groupe au sens de l’article L. 140-1, autres que ceux qui sont régis par le titre Ier de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, et pour les contrats collectifs de capitalisation présentant les mêmes caractéristiques que les contrats de groupe au sens de l’article L. 140-1, le souscripteur est, tant pour les adhésions au contrat que pour l’exécution de celui-ci, réputé agir, à l’égard de l’adhérent, de l’assuré et du bénéficiaire, en tant que mandataire de l’entreprise d’assurance auprès de laquelle le contrat a été souscrit, à l’exception des actes dont l’adhérent a été préalablement informé, dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l’économie, que le souscripteur n’a pas pouvoir pour les accomplir. En cas de dissolution ou de liquidation de l’organisme souscripteur, le contrat se poursuit de plein droit entre l’entreprise d’assurance et les personnes antérieurement adhérentes au contrat de groupe.

Le présent article ne s’applique pas aux contrats d’assurance en cas de vie dont les prestations sont liées à la cessation d’activité professionnelle, souscrits par une entreprise ou un groupe d’entreprises au profit de leurs salariés ou par un groupement professionnel représentatif d’entreprises au profit des salariés de celles-ci ou par une organisation représentative d’une profession non salariée ou d’agents des collectivités publiques au profit de ses membres. Il ne s’applique pas non plus aux contrats de groupe souscrits par un établissement de crédit, ayant pour objet la garantie de remboursement d’un emprunt. »

La question était de savoir dans quelles conditions l’établissement bancaire intervenait.

En effet, la banque faisait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes formées à l’encontre de la CGPA, la Caisse de garantie des professionnels de l’assurance.

Elle considérait qu’il résulte de l’article L. 511-1 du Code des Assurances, et des articles R. 511-1 et R. 511-2 du même code, qu’est considérée comme présentation d’une opération d’assurance pratiquée par un courtier, le fait de solliciter ou de recueillir l’adhésion à un contrat d’assurance ou d’exposer oralement ou par écrit à un adhérent éventuel, en vue de cette adhésion, les conditions de garantie d’un tel contrat.

La responsabilité de la banque au titre de l’assurance vie

A bien y comprendre pour la banque, il résultait de ces dispositions qu’est une opération d’assurance, le fait pour un courtier, ayant souscrit une assurance collective, de proposer à ses clients d’y adhérer 

De telle sorte qu’en l’espèce, en proposant aux consorts E d’adhérer à un contrat d’assurance-vie collectif, auquel ils avaient souscrit, la banque avait exercé une activité de courtier.

Le banquier, courtier en assurance vie ?  

Que pour autant la Cour d’Appel avait considéré que l’activité de souscripteur d’un contrat d’assurance de groupe n’était pas une activité de courtage d’assurance, et que la banque ne pouvait être garanti par le contrat d’assurance responsabilité civile souscrit auprès de la CGPA.

La banque rappelait que l’article II- 02 A.1 des conventions spéciales de l’assurance responsabilité civile, souscrite par la banque, stipulait que « dans la limite de l’activité déclarée aux conditions particulières, le présent contrat garantit l’assuré contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile pouvant lui incomber en raison des dommages causés aux tiers du fait des activités professionnelles limitativement énumérées ci-après :

 – la présentation d’opérations d’assurance telle que définie à l’article R. 511-1 du Code des Assurances comme étant le fait pour toute personne physique ou morale de solliciter ou de recueillir la souscription d’un contrat d’assurance ou de capitalisation ou l’adhésion à un tel contrat ou d’exposer oralement ou par écrit à un souscripteur ou adhérent éventuel en vue de cette souscription ou adhésion, les conditions de garantie d’un tel contrat ;

 – la gestion des contrats d’assurance conclus par l’intermédiaire de l’assuré 

 Pour la banque, il résulte de cette clause, qu’est une opération d’assurance, le fait pour un courtier, ayant souscrit une assurance collective, de proposer à ses clients d’y adhérer et reprochait à la Cour d’Appel d’avoir considéré pourtant que la banque étant le souscripteur du contrat d’assurance-vie auquel avait adhéré sa cliente n’était pas garantie par le contrat d’assurance responsabilité civile souscrit auprès de la CGPA.

La responsabilité de la banque et les opérations d’assurance

Enfin la banque rappelait que les pertes et les dommages causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée, contenue dans la police 

En l’espèce, les juges du fond, avaient constaté que le contrat rappelle qu’il appartient à la CGPA de rapporter la preuve des exclusions et qu’aucune clause n’interdit aux courtiers d’être souscripteur dans le cadre d’une assurance groupe ou n’exclut cette activité.

Or c’est bien dans le cadre de la gestion d’un contrat d’assurance conclu par son intermédiaire que la banque en refusant la demande de rachat, avait engagé sa responsabilité professionnelle 

Pour la banque, la Cour d’Appel s’était bornée à considérer que l’activité de souscripteur d’un contrat d’assurance de groupe n’était pas une activité de courtage d’assurance, pour en déduire que cette dernière n’était pas garanti par le contrat d’assurance responsabilité civile souscrit auprès de la CGPA, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la police d’assurance contenait une clause excluant la garantie de la CGPA, en cas d’assurance de groupe souscrite par l’établissement bancaire.

L’assurance de groupe souscrite par la banque

La Cour de Cassation entend répondre sur ces différents points en précisant que la banque était le souscripteur des contrats collectifs d’assurance sur la vie auxquels les consorts E avait adhéré, ce dont il résultait qu’elle était réputée être le mandataire de l’assureur tant pour les adhésions à ces contrats que pour leur exécution.

La banque, mandataire de l’assureur

La Cour d’Appel qui n’avait pas à procéder à la recherche dont l’omission est critiquée par la troisième branche que ses constatations et énonciations rendaient inopérante, en a exactement déduit que le sinistre litigieux n’était pas survenu du fait de l’activité de courtier en assurances de cette banque et, en conséquence, n’était pas garanti par le contrat souscrit auprès de la CGPA.

C’est donc à bon droit que les clients de l’établissement bancaire avaient engagé une action en responsabilité à l’encontre de cette dernière.

S’il est vrai que la banque avait cru bon déclarer ce sinistre auprès de la CGPA, la Cour de Cassation a malgré tout considéré qu’il n’y avait pas matière à garantie.

Dès lors la jurisprudence est claire.

Elle rappelle que l’établissement bancaire engage sa responsabilité tant concernant l’adhésion que l’exécution et la résiliation  liées à des contrats d’assurance vie.

Par contre la garantie découlant de la CGPA n’a pas vocation à garantir le sinistre car la Cour de Cassation considère que L. 140–6 ne s’applique pas aux contrats de groupe et que la banque a engagé sa responsabilité professionnelle et a vocation à indemniser ses clients.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

https://www.laurent-latapie-avocat.fr/retards-de-paiement-du-pret-bancaire-immobilier-et-suspension-judiciaire-des-echeances/

Retrait du concours bancaire et liquidation judiciaire, la banque est-elle responsable ?

Laurent Latapie avocat banque
Laurent Latapie avocat banque

L’établissement bancaire engage t’elle sa responsabilité de la même manière à l’encontre de l’entreprise en difficulté tant en cas de soutien abusif, qu’en cas de rupture abusive du concours initialement octroyé ? La caution peut-elle engager la responsabilité de la banque pour ses deux fautes ? Sur quel fondement ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue en septembre 2020 et vient aborder la problématique de la responsabilité civile de la banque lorsque celle-ci retire son concours.

 

Et ce, plus particulièrement, lorsque l’entreprise débitrice se retrouve en liquidation judiciaire.

 

La question se pose alors de savoir si la banque engage finalement sa responsabilité au visa des dispositions de l’article L650-1 du Code du commerce, qui sont liées au concours octroyé ou si finalement, le fondement juridique de la responsabilité de la banque est distinct car, finalement il est question de reprocher à la banque d’avoir retiré abusivement son concours ?

 

Quels sont les faits ?

 

Dans cette affaire, et par acte du 30 mars 2011, les consorts U s’étaient rendus cautions du prêt consenti à la société C par la banque.

 

Par la suite, malheureusement, la société a été mise en redressement, puis après résolution du plan en liquidation judiciaire respectivement les 18 juillet 2013 et 02 juillet 2015.

 

La banque, ne perdant pas de temps, a alors assigné en paiement les cautions.

Ces derniers, reconventionnellement, ont recherchés la responsabilité de la banque pour rupture abusive du crédit.

 

Dans le cadre de cette procédure, les cautions avaient opposé des moyens de défense classiques à l’encontre de la banque et avaient notamment soulevé le caractère disproportionné de leurs engagements de caution.

Ils avaient également soulevé différents manquements de la banque à ses obligations de conseil et de mises en garde.

 

Le caractère disproportionné

 

Concernant le caractère disproportionné des engagements, la fiche de renseignements avait été étudiée par la banque et ne montrait pas une disproportion manifeste au sens de l’article 341-4 du Code la consommation, devenu désormais L332-1 et L343-4 du même code.

 

Il n’y avait donc pas de caractère disproportionné de l’engagement de caution. Ces derniers étant en mesure d’honorer leur engagement de caution à hauteur de la somme de 94 436 €, somme pour laquelle ces derniers avaient été condamnés.

 

Pour autant, était-il question d’en rester là ?

 

Les cautions maintenaient que la banque était tenue d’un devoir de mises en garde à l’égard des cautions, de telle sorte qu’au ljour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté aux capacités financières de la caution.

 

En effet, il existait un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, de telle sorte qu’il résulterait de cet engagement, une inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur et de la caution.

 

Les cautions n’en restèrent pas là et soutenaient par ailleurs que le seul statut de dirigeant ou d’associés de la société cautionnée était impropre à caractériser la qualité de caution avertie.

 

Le devoir de mise en garde

 

De telle sorte que banque ne pouvait s’exonérer de son devoir de mise en garde.

 

Sur ce deuxième point, les juges au fond ne suivent pas l’argumentation des cautions et considèrent qu’ils doivent être considérées comme des cautions averties, dès lors qu’à la date de leur engagement ils étaient propriétaires à 100 % des parts sociales de la SCI C, débiteur principal.

 

La rupture abusive du crédit

 

Mais surtout, cette jurisprudence est intéressante en ce qu’elle vient aborder la problématique de la rupture abusive du crédit par l’établissement bancaire.

 

En effet, dans le cadre de leur pourvoi, les consorts U faisaient grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Nancy de les avoir déboutés de leur demande reconventionnelle relative à la mise en jeu de la responsabilité de la banque.

 

En effet, ces derniers considéraient que la banque engageait sa responsabilité à l’égard de la caution aussi bien pour l’octroi abusif d’un concours octroyé à un débiteur qui fait l’objet d’une procédure collective que pour le cas ou le même établissement bancaire a rompu abusivement le concours.

 

Cependant la Cour d’Appel ne cède pas à l’amalgame entre deux champs de responsabilité bien distincts,

 

La Cour d’appel considérait que cette responsabilité de la banque pour un octroi abusif de concours était régie par les dispositions de l’article L650-1 du code du commerce qui n’ouvre pas droit à réparation en cas de rupture abusive de crédit.

 

En effet, il convient de rappeler qu’en vertu des dispositions de l’article L650-1 du code du commerce, il appartient à la caution qui entend rechercher la responsabilité de la banque non pas au titre d’une action qui lui est propre en vertu du caractère accessoire de son engagement au titre d’une faute commise par le comportement de l’emprunteur débiteur principal, il appartient à la caution de rapporter la preuve soit d’une fraude soit d’une exécution caractérisée dans la gestion du débiteur soit que les garanties prises en contrepartie des concours soient disproportionnés.

 

La question qui se posait était de savoir si oui ou non, la responsabilité de la banque devait être assujettie aux dispositions de l’article L650-1 du code du commerce, alors qu’il n’était pas question d’octroi de crédit, ni de soutien abusif, mais bel et bien de rupture abusive de crédit.

 

Pour autant, il est vrai que de prime abord tout semble lié.

 

En effet, dans un premier temps, les consorts U reprochaient à la banque d’avoir complaisamment donné son concours financier à la société C sans aucune vérification.

 

Puis, dans un deuxième temps, d’avoir brutalement révoqué ce concours en décidant de ramener l’autorisation de découvert bancaire qu’elle avait accordé à sa cliente de 50 000 € à 30 000 €.

 

Acculant le débiteur principal à l’impayé, et exposant d’autant les cautions.

 

Dès lors, les cautions considéraient que la banque devait aussi voir sa responsabilité engagée pour avoir brutalement rompu le concours consenti à la société C.

 

Fort heureusement, la Cour de cassation est sensible à cette problématique.

 

Tout dépend, cependant, du fondement juridique évoqué à cette fin.

 

En effet, s’il est vrai que la Cour d’appel a été sensible au fait qu’après avoir complaisamment donné son concours financier à la société, la banque avait, par la suite, brutalement révoqué son concours en décidant de ramener son autorisation de découvert qu’elle avait accordé à sa cliente de 50 000 € à 30 000 €,

 

Si faute il y avait, il n’en demeurait pas moins que le fondement juridique n’était plus le même.

 

En effet, à juste titre, la Cour rappelle que les dispositions de l’article L650-1 du code du commerce ne concernent que la responsabilité du créancier lorsqu’elle est recherchée du fait du concours qu’elle a consenti.

 

Sur la base de ce texte, seul l’octroi estimé est fautif de ceux-ci et non leur retrait peut donner lieu à l’application de ce texte.

 

Pour autant, l’établissement bancaire ne serait pas responsable en cas de rupture abusive de crédit ?

 

Bien sûr que si.

 

En effet, la Cour de cassation casse et annule puis renvoie les parties devant la même Cour d’appel autrement composée, en précisant que l’article L650-1 du code du commerce est réservé à l’établissement bancaire qui a commis une faute en octroyant un crédit.

 

Mais, dans le cas contraire, en cas justement de rupture abusive de crédit, si l’article L650-1 du Code du commerce ne trouverait à s’appliquer, il n’en demeure pas moins que le droit commun de la responsabilité a vocation à s’appliquer en cas de rupture abusive du crédit.

 

Cela est heureux.

 

En effet, cette jurisprudence est salutaire.

 

La Cour de cassation souligne que la rupture abusive du crédit ne peut être protégée par les critères extrêmement fermés de l’article L650-1 du code du commerce qui demeurent des dispositions dérogatoires et protectrices de l’établissement bancaire.

 

Par voie de conséquence, tant le débiteur principal, que la caution peuvent donc se retourner contre la banque en cas de rupture abusive de crédit.

 

Et venir ainsi sanctionner une pratique malheureusement trop courante lorsque notamment les découverts bancaires sont réduits à néant sans autre forme de procès, par l’établissement bancaire, quasi du jour au lendemain, sans aucune raison valable par ailleurs.

 

Il importe à ce moment-là au chef d’entreprise qui se trouve en difficulté, d’imaginer engager la responsabilité de la banque dès le début de la procédure collective sans avoir besoin d’attendre le prononcé de la liquidation judiciaire, véritable épée de Damoclès, exposant tant le débiteur principal que sa caution.

 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr