Saisie immobilière et affectation des paiements en cas de pluralité de prêts

Laurent Latapie avocat droit routier
Laurent Latapie avocat droit routier

En cas de pluralité de prêts, le débiteur peut-il affecter une partie des paiements au profit de telle ou telle créance et opposer ensuite l’extinction ou la prescription d’une partie des prêts ? Le débiteur est-il en droit d’exiger la signification du titre exécutoire lors de la signification du commandement de payer valant saisie immobilière ?

Article :

Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui vient aborder le droit de la saisie immobilière sur deux points particuliers.

Cette jurisprudence vient rappeler les obligations de l’huissier lorsqu’il signifie un commandement de payer aux fins de saisie immobilière.

Cela montre, aussi et surtout, que rien qu’à ce stade plusieurs axes de vérification s’imposent pour vérifier la validité de la procédure de saisie immobilière et mettre au besoin en difficulté le créancier saisissant.

Elle vient également aborder la question du paiement des dettes dues par le débiteur lorsque celui-ci a plusieurs engagements et qu’il s’acquitte d’une partie de ces dernières.

Quelle règle s’applique à l’imputation des paiements ?

Rappel des faits :

Dans cette affaire, sur des poursuites de saisie immobilière engagées par la banque à l’encontre de Monsieur et Madame X sur le fondement de deux actes notariés de prêt des 10 juin 2003 et 1er décembre 2006, celle a déclaré deux autres créances, dont l’une était garantie par l’hypothèque donnée par Monsieur et Madame X à titre de sûreté en vue du remboursement d’un prêt accordé par la banque le 27 juin 2007.

Cette créance était liée à une opération immobilière et découlait d’un cautionnement hypothécaire consenti par Monsieur et Madame X en garantie du même prêt.

Quels moyens de défense ?

Deux axes de contestation étaient soulevés par Monsieur et Madame X à l’encontre du bien-fondé de la saisie immobilière qui visait à appréhender leur actif personnel.

Ils contestaient la validité de la signification du commandement de payer valant saisie immobilière.

Ils sollicitaient la nullité du commandement de payer valant saisie immobilière qui leur avait été signifié le 23 avril 2013, et des actes de procédure subséquents, voulant par la même faire sauter la validité de la procédure de saisie.

Ils considéraient qu’un acte ne pouvait être mis à exécution que sur présentation d’une expédition revêtue de la formule exécutoire et qu’à peine de nullité, l’huissier qui procédait à la signification du commandement de payer valant saisie immobilière devait présenter au débiteur, lors de la signification, le titre exécutoire en vertu duquel le commandement était délivré.

Quid du titre exécutoire ?

Ce point est intéressant car il est vrai que d’un côté, le droit de saisie immobilière est assujetti à une rigueur particulière pour préserver les intérêts du débiteur il n’aborde pas la question du justificatif du titre exécutoire, ou bien encore de la validité de la déchéance du terme que le créancier ne présente jamais.

Cette déchéance du terme devrait pourtant être communiquée dès le début de la procédure.

Elle fonde quand même l’exigibilité de la créance.

Elle est aussi le point de départ de la prescription.

La Cour de Cassation ne retient pourtant pas cette argumentation.

La Haute juridiction considère qu’il ne résulte pas de l’article R. 321-3 du Code des Procédures Civiles D’exécution, applicable à la signification du commandement de payer valant saisie immobilière, une obligation pour l’huissier de justice qui signifie cet acte de remettre au débiteur saisi une copie du titre exécutoire sur le fondement duquel la saisie est entreprise.

Que faire en cas de paiements sur plusieurs prêts ?

Par ailleurs, les consorts X ont soulevé un second argument.

Dans l’hypothèse ou plusieurs paiements ont été effectués par le débiteur, ce dernier considéraient qu’en l’état des paiements effectués sur un seul des deux engagements bancaires, l’autre engagement bancaire, n’ayant reçu aucun paiement, la prescription était acquise,

En effet, les consorts X faisaient valoir, éléments de preuve à l’appui, que le produit de la vente des appartements avait permis à la société S de verser plus de 7 000 000 euros à la banque.

Ils soutenaient que, par l’effet de ces paiements, la créance au titre de la caution consentie en vertu de l’acte notarié du 27 juin 2007, d’un montant total de 1 200 000 euros, était éteinte.

Les consorts X rappelaient qu’ils s’étaient portés caution d’un premier crédit d’un montant de 1 200 000 euros, consenti le 27 juin 2007 par la banque à la société S et que l’acte prévoyait que le prêt serait remboursé par le produit de la vente des appartements objets de l’opération financée.

Que par ailleurs, par acte du 1er octobre 2010, et alors que le premier crédit n’avait pas été remboursé, la banque avait consenti un nouveau financement d’un montant de 2 730 000 euros à la société S.


Cet acte prévoyait que le produit de la vente des appartements serait affecté au remboursement de ce second financement.

Dès lors, l’acte du 1er octobre 2010, qui modifiait, sans l’accord des consorts X, l’imputation des paiements effectués par le débiteur principal, était inopposable à la caution.

C’est en tout cas ce qu’ils soutenaient.

Pour autant, la Cour d’Appel s’est borné à juger que l’accord du 1er octobre 2010 était opposable à Monsieur et Madame X et qu’en vertu de cet accord, le produit de la vente des appartements avait été imputé en priorité sur le découvert autorisé du compte centralisateur de l’opération de promotion immobilière d’un montant maximal de 2 730 000 euros,

Les consorts X reprochaient à la Cour d’appel de n’avoir pas pris soin de rechercher, comme elle y était invitée, à vérifier si les versements d’un montant supérieur à 7 000 000 euros n’avaient pas en outre permis de rembourser le prêt d’un montant de 1 200 000 euros souscrit dans l’acte notarié du 27 juin 2007, éteignant par là même la créance au titre de la caution consentie par Monsieur et Madame X .

Cependant, la Cour de cassation ne partage pas cette analyse.

La Haute juridiction rappelle, au visa de l’article 1253 du Code Civil, applicable en la cause, que le débiteur de plusieurs dettes a le droit de déclarer, lorsqu’il paye, quelle dette il entend acquitter.

Dès lors, à bien y comprendre, l’accord d’imputation des paiements conclu le 1er octobre 2010 entre la banque et Monsieur X en sa qualité de gérant de la société S, prévoyait que le produit de la vente des appartements serait imputé sur le compte centralisateur de l’autorisation de découvert en compte courant de l’opération immobilière menée par cette société, et non sur le prêt du 27 juin 2007, s’imposait au tiers.

Ainsi, le choix d’imputation des paiements effectués par le débiteur principal s’impose au tiers qui s’était porté garant, et donc à la caution, que celui-ci en ait été informé ou non.

Dès lors, l’acte du 1er octobre 2010 était opposable à Monsieur Madame X sans avoir à procéder à une recherche qui ne lui était demandée.

Cette jurisprudence est intéressante sur deux points.

Elle rappelle les obligations qui pèsent sur l’huissier significateur, ainsi que celles qui ne pésent pas.

Ainsi, il ne résulte pas de l’article R. 321-3 du Code des Procédures Civiles d’Exécution, applicable à la signification du commandement de payer valant saisie immobilière, une quelconque obligation pour l’huissier de justice qui signifie cet acte de remettre, au débiteur saisi, une copie du titre exécutoire sur le fondement duquel la saisie est entreprise.

Mais surtout, cette jurisprudence, rappelle que le débiteur de plusieurs dettes a le droit de déclarer, lorsqu’il paye, quelle dette il entend acquitter.

Les conséquences en termes d’extinction de créance et de prescription peuvent être importantes lorsque le débiteur est saisi, sur la base de plusieurs engagements bancaires….

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

 

Contradiction de titres exécutoires et saisie immobilière à Mamoudzou

Laurent LATAPIE Avocat moto palais
Laurent LATAPIE Avocat moto palais

En cas de contradiction entre plusieurs décisions de justice rendues entre une banque et son débiteur, tantôt condamnant ce dernier en paiement, tantôt consacrant la prescription de la créance de la banque, celle-ci peut-elle malgré tout saisir le bien immobilier ? Illustration atypique d’une procédure de saisie immobilière devant le juge de l’orientation de Mamoudzou.

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’Appel de Saint Denis de la Réunion en décembre 2019 et qui vient aborder, une fois de plus, la spécificité du droit de la saisie immobilière.

Dans cette affaire, et par acte d’huissier du 9 octobre 2019, la banque a fait assigner Monsieur D devant le Juge de l’Exécution du Tribunal de Grande Instance de Mamoudzou aux fins de vente forcée de son bien immobilier suite à la communication d’un commandement de payer valant saisie immobilière signifiée le 11 juillet 2018.

Par jugement du 18 mars 2019 le Juge de l’Exécution a :

  • Déclaré recevable la procédure de saisie immobilière
  • Fixé la créance de la banque à la somme de 528 642.70 euros outre intérêts au taux conventionnel de 4.90% à compter du 23 mai 2018
  • Ordonné la vente du bien saisi sur la mise à prix de 200 000 euros

C’est dans ces circonstances que Monsieur D a interjeté appel de la décision.

Celui-ci entendait sauver son actif immobilier…

Ceci d’autant plus qu’il n’en était pas son premier combat contre la banque et plusieurs décisions de justice avaient d’ailleurs été rendues.

Toute la difficulté reposait sur le fait que les différentes décisions rendues entre la banque et le débiteur, Monsieur D, se suivaient mais ne se ressemblaient pas.

En effet, dans une première procédure, et par arrêt en date du 6 mai 2014, la Cour d’Appel de Saint Denis avait rejeté l’exception de prescription soulevée par Monsieur D et condamné ce dernier en paiement.

Pour autant, et par suite, et par jugement du 18 mai 2015 le Juge de l’Exécution du Tribunal de Grande Instance de Mamoudzou a dit que l’action de la banque se trouvait prescrite en application de l’article L 137-2 du Co de de la Consommation.

C’est dans ces circonstances que Monsieur D avait saisi la Cour de cassation, mais par arrêt du 7 septembre 2017, non spécialement motivé par ailleurs, la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi en cassation de Monsieur D tendant à l’annulation de ces deux décisions en application des dispositions de l’article 618 du Code de Procédure Civile.

Tout naturellement cela n’avait pas empêché la banque d’envisager de lancer une procédure de saisie immobilière.

Il s’ensuit que Monsieur D entendait clairement soulever dans le cadre de la procédure de saisie immobilière l’autorité de la chose jugée qui aurait pu s’attacher au jugement du 18 mai 2015 afin de consacrer la prescription de la banque et par là même son impossibilité de poursuivre le débiteur.

A hauteur de Cour, il sollicitait que la Cour constate le désistement de la banque relativement à l’irrecevabilité de son appel et qu’elle prononce l’irrecevabilité de l’action de la banque au motif pris de l’autorité de la chose jugée en vertu d’un jugement rendu en mai 2015.

Pour autant, cela ne s’est malheureusement pas passé comme prévu.

En effet, sur la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée, la Cour d’Appel rappelle les dispositions de l’article 122 du Code de Procédure Civile qui qualifie de fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L’article 480 du Code de Procédure Civile dispose, quant à lui, dans son 1er alinéa : « Le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche. »

Elle rappelle également que l’article 1355 du Code Civil prévoit que « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. »

Enfin l’article 618 du Code de Procédure Civile énonce en son 1er alinéa que « La contrariété de jugements peut aussi, par dérogation aux dispositions de l’article 605, être invoquée lorsque deux décisions, même non rendues en dernier ressort, sont inconciliables et qu’aucune d’elles n’est susceptible d’un recours ordinaire ; le pourvoi en cassation est alors recevable, même si l’une des décisions avait déjà été frappée d’un pourvoi en cassation et que celui-ci avait été rejeté. »

La Cour d’Appel considère qu’il y a une contrariété de décisions dès lors que relativement à l’exécution du même contrat de prêt notarié du 7 février 2008,

  • Par arrêt du 6 mai 2014, la Cour d’Appel de Saint Denis a rejeté l’exception de prescription soulevée par Monsieur D.

 

  • Par jugement du 18 mai 2015 le Juge de l’Exécution du Tribunal de Grande Instance de Mamoudzou a dit que l’action de la banque se trouvait prescrite en application de l’article L 137-2 du Co de de la Consommation

 

  • Par arrêt du 7 septembre 2017 non spécialement motivé, la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi en cassation de Monsieur D tendant à l’annulation de ces deux décisions en application des dispositions de l’article 618 du Code de Procédure Civile.

Il s’ensuit que Monsieur D ne peut soulever l’autorité de la chose jugée qui aurait pu s’attacher au jugement du 18 mai 2015

Si le premier juge doit donc être approuvé lorsqu’il rejette la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée du jugement du 18 mai 2015, pour autant il n’était pas autorisé à privilégier l’autorité de la chose jugée en s’attachant à l’arrêt du 6 mai 2014.

Il convient d’observer que si Monsieur D, aux termes de ses écritures continue à soulever devant la Cour d’Appel l’autorité de la chose jugée du jugement du 18 mai 2015, il n’invoque pas de nouveau ne serait-ce que subsidiairement la prescription de l’action de la banque.

Il n’en offre pas d’ailleurs la démonstration.

Ce qui est à mon sens dommage.

La Cour d’Appel considère que le jugement entrepris ne peut être que confirmé en ce qu’il a déclaré recevable la procédure de saisie immobilière.

La saisie immobilière est fondée sur un commandement valant saisie immobilière délivré le 11 juillet 2018 pour un montant de 528 642.70 euros et qui est demeuré infructueux.

La banque pouvait-elle saisir de ce chef ?

Oui, notamment en ce que la Cour rappelle que Monsieur D n’a absolument pas rapporté la preuve d’une plus ample décharge de sa dette de sorte que le premier juge a valablement liquidé la créance de la banque pour la somme indiquée dans le commandement de payer valant saisie immobilière.

Cette jurisprudence est intéressante car force est de constater que si Monsieur D a obtenu gain de cause sur les problématiques de prescription à l’encontre de la banque en 2015, cela n’empêche pas la banque d’envisager une saisie immobilière en 2018.

La difficulté n’est pas tant l’argumentation retenue par la Cour qui laisse à penser que Monsieur D n’est pas bien fondé à solliciter l’autorité de la chose jugée de la première décision mais que Monsieur D aurait plutôt dû soulever la portée de la prescription pour la réitérer devant le juge de l’orientation.

Le raisonnement est subtil il est vrai,

Mais malheureusement pris au détriment du débiteur,

Une fois de plus….

La jurisprudence rappelle bien que le débiteur et son conseil doivent soulever l’ensemble des moyens de droit à leur portée.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

 

 

Saisie immobilière, projet de distribution et liquidation judiciaire

Laurent Latapie avocat droit routier

La question est de savoir si l’action tendant à voir constater la caducité d’une procédure de distribution dans le cadre d’une saisie immobilière au titre de l’arrêt des poursuites individuelles peut être engagée par le mandataire liquidateur alors qu’il n’a exercé aucun recours à la suite de la notification du projet de distribution amiable par lettre recommandée avec accusé de réception ?
Dans quelles conditions les effets de la liquidation judiciaire s’imposent au stade de l’établissement d’un projet de distribution en suite de la vente aux enchères publiques d’un bien immobilier ?

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Le protocole d’accord, titre exécutoire d’une saisie immobilière ?

Un créancier bénéficiant d’un protocole d’accord n’engageant qu’un seul des deux époux au paiement d’une créance peut-il envisager une saisie immobilière sur le bien commun des deux époux ?

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour de Cassation en ce mois de décembre 2018 qui vient aborder la problématique de la saisie immobilière dans le cadre d’un protocole d’accord conclu qui n’engage qu’un seul des co-débiteurs de la créance bancaire.

Dans cette affaire Monsieur et Madame B avaient souscrit un prêt auprès de la société M GESTION aux droits de laquelle la banque vient, un prêt .

La banque les avait fait assigner devant un le Tribunal de Grande Instance de Lyon qui les avait condamnés à lui payer une certaine somme au titre du solde de ce prêt .

Monsieur et Madame B ont interjeté appel de cette décision.

Dans le cadre de cet appel un protocole d’accord avait été conclu entre les parties le 29 avril 2008 et le dit protocole d’accord avait été homologué par arrêt la Cour d’Appel du 24 juin 2008.

Pour autant, et sur le fondement de ce protocole d’accord homologué, la banque avait fait délivrer à Monsieur et Madame B un commandement de payer valant saisie immobilière.

Suite à l’audience d’orientation, le juge de l’orientation avait rejeté toutes les contestations de Monsieur et Madame B et avait ordonné la vente forcée du bien immobilier objet de la saisie.

Les débiteurs saisis ont tout naturellement interjeté appel de la décision du juge de l’orientation,

Pour confirmer le jugement ayant ordonné la vente forcée, la cour d’appel, quant à elle, retenait que la banque disposait de la faculté d’agir en recouvrement sur les biens communs, celle-ci ne s’étant pas privée de cette possibilité en déchargeant dans ledit protocole d’accord Madame de sa dette de telle sorte qu’elle n’avait pas à recueillir son consentement exprès pour maintenir son droit.

Il ressortait en effet dudit protocole d’accord que Madame B avait été libérée de sa dette et n’avait pas donné son consentement pour engager le bien commun.

En effet, la créance dont se prévaut la banque était fondée sur ce protocole d’accord signé le 3 avril 2008 et homologué par arrêt de la Cour d’Appel de Lyon du 24 juin 2008.

Ce protocole d’accord avait eu pour objet de mettre un terme aux litiges et contentieux opposant les parties et avait notamment fixé la créance due par les époux B au titre d’un prêt consenti le 15 décembre 2008 dont ils étaient co-emprunteurs.

Dès lors que la banque avait déchargé Madame B de sa dette, la question était de savoir si le créancier pouvait saisir le bien commun.

En effet, l’immeuble objet de la présente procédure était commun aux époux B.

Il convient de rappeler que l’article 1415 du Code Civil prévoit que chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres mais engage alors les biens communs,

De telle sorte que cet article porte interdiction de poursuivre le paiement de dettes résultant d’un emprunt ou d’un cautionnement sur les biens communs, sauf le consentement exprès de l’autre conjoint.

Il en serait également de même en l’état d’un protocole d’accord.

Tel n’est pas le cas dans cette affaire, car immanquablement, Madame B n’était plus tenue au paiement de la dette.

C’est donc à bon droit que la Cour de Cassation a considéré que la transaction libérait Madame B de tout engagement et toute obligation de paiement au titre du prêt,

Monsieur B restant le seul tenu au remboursement du prêt, la Cour d’Appel ne pouvait procéder à la vente du bien commun.

Par voie de conséquence, la banque, en signant le protocole d’accord (qu’elle avait d’ailleurs elle même rédigée) reconnaissait libérer Madame B de tout engagement et de toute obligation, de telle sorte qu’elle ne disposait plus de la faculté d’agir en recouvrement sur les biens communs.

Il convient de rappeler que les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Dans le cadre de l’article 2.1 du protocole d’accord, la banque a libéré Madame B de tout engagement au titre du prêt, dont Monsieur B restait seul tenu au remboursement à hauteur de 300 000 euros.

Dès lors, la Cour de cassation considère que l’article 1415 du Code Civil n’était pas applicable, que la dette de remboursement du prêt était restée une dette commune, la Cour d’Appel a violé l’article 1134 du Code Civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016,

Bien plus, dans le cadre de l’article 2.3 du protocole d’accord, Madame B libérée de son obligation à paiement, avait expressément consenti à ce que Monsieur B s’engage au remboursement du solde du prêt et avait accepté que ces paiements soient acquittés avec les seuls revenus de Monsieur B.

Pour autant, la haute juridiction considère à juste titre que cette stipulation ne permettait pas au prêteur d’agir en recouvrement sur un immeuble commun, de telle sorte que la Cour d’Appel a violé les articles 1134 et 1415 du Code Civil.

La Cour de Cassation a donc cassé l’arrêt de la Cour d’Appel de Lyon en rappelant qu’en l’état du protocole d’accord la banque ne disposait plus de la faculté d’agir en recouvrement des biens communs dans la mesure ou elle avait déchargé Madame B de sa dette et n’avait pas recueilli son consentement exprès pour maintenir son droit.

Cet arrêt est intéressant car la Cour de Cassation dit qu’en application du protocole d’accord conclu le 29 avril 2008 et homologué le 24 juin 2008, la banque privée ne peut poursuivre le recouvrement de sa créance sur le bien immobilier commun et en conséquence, de telle sorte que la banque est à juste titre déboutée de sa demande de vente forcée. 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

Acte authentique et créance indéterminable : l’impossible saisie

Une saisie immobilière peut-elle être engagée sur la seule base d’un acte authentique ayant force exécutoire alors que le solde rendu exigible après la déchéance du terme est augmenté des intérêts échus, des intérêts à courir et surtout de l’indemnité forfaitaire, dits éléments qui ne sont pas nécessairement déterminés dans le cœur de l’acte ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour de Cassation en ce mois de mars 2018 et qui vient aborder la question spécifique du caractère exécutoire d’un acte authentique,

 

En effet, la question est de savoir si oui ou non le débiteur peut contester l’acte authentique pour remettre en cause son caractère exécutoire.

 

Cet acte authentique revêtu du caractère exécutoire est un acte bien pratique pour le créancier qui, en cas de défaillance du débiteur, peut immédiatement engager des mesures d’exécution sans passer par une décision de justice,

 

Il n’échappera d’ailleurs pas au lecteur attentif que la jurisprudence commentée n’a pas été publiée au Bulletin, ce qui laisse quand même à penser que les rares jurisprudences bénéfiques pour les débiteurs et les emprunteurs en difficulté sont diffusés au « compte goute »…,

 

Dans cette affaire, une banque avait consenti un prêt bancaire à une société X par acte authentique, établi par un notaire, et revêtu de la force exécutoire,

 

Le même acte authentique formalisait également l’engagement de caution solidaire des consorts Y,

 

Face à la défaillance de la société X, la banque a fait signifier à l’encontre des consorts Y, cautions solidaires, par acte du 24 décembre 2015, un commandement aux fins de saisie immobilière sur leur résidence principale,

 

La procédure de saisie immobilière est engagée devant la juridiction du Tribunal d’instance de Colmar, ce qui est important car la procédure est spécifique et différente, en l’état de l’application du droit local d’Alsace Moselle.

 

C’est dans ces circonstances que le Tribunal d’Instance de Colmar, par ordonnance du 27 janvier 2016, a ordonné l’exécution forcée de l’immeuble appartenant aux cautions.

 

Les cautions ont alors formé un pourvoi immédiat contre cette ordonnance,

 

Le président du Tribunal d’instance, (car la procédure prévoit cette démarche spécifique) a renvoyé l’affaire la Cour d’Appel.

 

Ladite Cour d’appel ayant fait droit aux prétentions des cautions, la banque s’est pourvu en cassation,

 

Pour motiver son pourvoi, la banque rappelle qu’aux termes de l’article 794-5 du Code de Procédure Civile Locale une créance pour laquelle une vente forcée peut-être ordonnée doit être déterminée et résulter de l’acte authentique en vertu duquel la vente forcée est sollicitée.

 

La banque laisse à penser que tel est le cas,

 

Pourtant, cela est loin d’être acquis,

 

Des lors, le titre exécutoire doit contenir le montant dû conformément à ses dispositions intégrées à l’article L11-5 du Code de Procédure Civile d’Exécution.

 

Qu’il en résulterait dès lors que la somme doit être déterminée et fixée sans élément extérieur et ultérieur à l’acte authentique.

 

Or, la difficulté rencontrée est que l’acte authentique en question et en vertu duquel la requérante avait sollicité la vente forcée du bien des cautions mentionne pourtant les conditions du prêt consenti qui sont par ailleurs reproduites dans un tableau d’amortissement.

 

La banque quant à elle considérait que les éléments constitutifs de la créance, requis par l’article L11-6 du Code Procédure Civile d’Exécution étaient bel et bien présents dans le cœur même de l’acte authentique,

 

Fort heureusement, le débiteur ne l’entendait pas de cette oreille,

 

La caution considérait que la créance invoquée à l’appui de la requête en saisie immobilière ne résultait pas directement de l’acte authentique en tant que tel,

 

Sauf à devoir la déterminer un fois la déchéance du terme acquise dont le solde rendu exigible augmenté des intérêts échus, des intérêts à courir et surtout de l’indemnité forfaitaire calculée sur un solde qui n’est pas encore fixé.

 

Ce décompte de créance est d’importance car l’ensemble des pénalités frais et intérêts viennent très souvent bousculer l’équilibre de la créance pour un débiteur conscient de ses défaillances mais qui n’imagine jamais se retrouver avec une créance aussi importante lorsqu’il regarde le décompte proposé dans le commandement de payer,

 

Ainsi, dans cette affaire, le débiteur, et caution, considérait que seul le commandement de payer qui avait été signifié le 24 décembre 2015 détaillait la somme réclamée qui était, à cette date, de 166 919.05 euros au titre du capital restant dû en principal arrêté au 26 octobre 2015 soit bien après l’acte authentique en question.

 

Dès lors, selon le débiteur l’acte authentique ne pouvait suffire à rendre la créance déterminable.

 

Dans cet arrêt qui n’est pas publié, rappelons le encore, la banque tentait de passer outre cette difficulté en soulignant le fait que c’était seulement en vertu des dispositions applicables au département du Bas Rhin du Haut Rhin et de-là Moselle que la difficulté apparaissait,

 

En effet, elle soutenait que dans la mesure ou le titre exécutoire établi par Notaire portant sur une somme d’argent déterminée contenant une clause de soumission en exécution forcée immédiate à laquelle le débiteur avait consenti, c’était à bon droit que la banque avait requis l’exécution forcée d’un acte authentique à l’encontre de la caution personnelle dans la mesure où cet acte contenait une clause de soumission à exécution forcée immédiate à laquelle toutes les parties avaient consenti.

 

Pour autant, rien ne laissait à penser que cette clause de soumission à exécution forcée immédiate n’empêchait pas le débiteur de contester le caractère exécutoire de l’acte authentique,

 

Ceci d’autant plus que les conditions du prêt consenti étaient reproduites dans l’acte authentique avec le tableau d’amortissement,

 

A bien y croire la banque, les éléments constitutifs de la créance y figuraient bien.

 

Fort heureusement, les débiteurs cautions contestent cette argumentation,

Ils considèrent, à juste titre, que le la somme due au titre de l’engagement de caution résultait essentiellement du décompte de la créance arrêtée au 26 octobre 2015 et était détaillée seulement dans le commandement de payer qui avait été signifiée au débiteur poursuivi,

 

De telle sorte que la créance en question ne résultait nullement de l’acte authentique sauf à devoir déterminer une fois la déchéance du terme acquise, par le solde rendu exigible augmenté des intérêts échus, des intérêts à courir et de l’indemnité forfaitaire calculée sur un solde qui n’était pas encore fixé,

 

Pour la Cour de cassation, les conditions des articles L111-2 , L111-5 et L11-6 du Code de Procédure Civile d’Exécution n’étaient pas caractérisées,

 

La sanction est immédiate,

 

L’acte authentique perds son caractère exécutoire et ne peut donc constituer un titre exécutoire en tant que tel.

 

La Cour de Cassation, une fois n’est pas coutume, dans cet arrêt non publié, fait droit finalement à l’argumentation du débiteur.

 

Selon la Haute juridiction, il résulte de l’article 794-5 du Code Procédure Civile Locales applicables en Alsace et Moselle devenu l’article L111-5 du Code Procédure Civile d’Exécution que les actes notariés ne peuvent servir de titre exécutoire que s’ils ont pour objet le paiement d’une somme déterminée et non pas seulement déterminable,

 

La Cour relève ensuite que si l’acte authentique en vertu duquel la vente forcée avait été sollicitée mentionnait les conditions du prêt consenti reproduites dans un tableau d’amortissement la créance invoquée à l’appui de sa requête ne résultait pas de l’acte sauf à devoir la déterminer une fois la déchéance du terme acquise par le solde rendu exigible augmenté des intérêts échus, des intérêts à courir et de l’indemnité forfaitaire calculée sur un solde qui n’est pas encore fixé.

 

La Haute juridiction confirme le raisonnement de la Cour d’Appel qui a exactement déduit, sans se contredire et sans dénaturer l’acte authentique notarié du 1er octobre 2013, que la créance pour laquelle la vente forcée du bien était poursuivie n’était pas suffisamment déterminée.

 

Ce raisonnement est intéressant,

 

Pouvons nous y voir une absence totale du caractère exécutoire de l’acte authentique ou un caractère exécutoire mais pour lequel le caractère non déterminable empêcherait une saisie immobilière ?

 

Sur cette question, la Cour de Cassation ne répond pas clairement,

 

A bien y comprendre, l’acte authentique serait insuffisant lorsque la créance pour laquelle la vente forcée du bien était poursuivie n’était pas suffisamment déterminée,

 

Mais est ce que pour autant ce raisonnement empêcherait une saisie immobilière ?

 

C’est ce que laisse à penser l’arrêt en tout cas c’est comme ça que l’arrêt sanctionne l’établissement bancaire,

 

Pour autant, sommes nous surs du fondement juridique retenu par la Haute juridiction ?

 

En effet, d’un coté la Cour de Cassation semble faire une avancée non négligeable en reconnaissant quand même que le principe même de la créance à vocation à être remis en question sérieusement dans la mesure où le créancier ne peut se satisfaire d’une créance insuffisamment déterminée dans l’acte authentique,

 

Cependant, l’arrêt ne semble pas complet,

 

En effet si la Haute juridiction que la créance est insuffisant déterminée pour fonder une mesure de saisie, je pense cependant qu’il faudrait clairement faire enlever à l’acte authentique son caractère exécutoire faute de créance suffisamment déterminée.

 

Cela mettrait fin peut-être, à une pratique ô combien douteuse qui consiste pour la banque, détentrice d’un acte authentique et de deux ou trois échéances impayées, de prononcer la déchéance du terme et d’enclencher très rapidement une procédure de saisie immobilière,

 

Cette jurisprudence viendrait apporter un nouvel équilibre,

 

Faute de créance suffisamment déterminable, le créancier ne pourrait saisir aussi facilement,

 

Il serait alors contraint d’engager une action judiciaire pour obtenir un titre exécutoire et saisir par la suite,

 

L’emprunteur malheureux serait alors en mesure de mieux faire valoir ses droits à contestation en engageant, dans un débat serein, la responsabilité de la banque qui a peut-être mal ou trop rapidement prononcé une déchéance du terme dévastatrice,

 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr