Péremption d’instance et médiation font-ils bon ménage ?

Qu’en est il de l’articulation entre mode amiable du règlement d’un litige et la procédure judiciaire ? L’acceptation par une partie d’une médiation proposée par la juridiction, après l’expiration du délai de péremption, vaut elle renonciation à se prévaloir du bénéfice de la péremption d’instance ?

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour de Cassation, Chambre Sociale,  en mai 2018, qui aborde la question de la péremption d’instance, laquelle jurisprudence fait l’objet d‘un commentaire en vue d’être transposé en droit de la saisie immobilière et en droit des voies d’exécution,

La question était de savoir si l’acceptation d’une médiation, pouvait emporter la renonciation à soulever la péremption d’instance.

Dans cette affaire, la Cour de Cassation considère que l’acceptation par une partie d’une médiation proposée par la juridiction, après l’expiration du délai de péremption, ne vaut pas renonciation à se prévaloir du bénéfice de la péremption d’instance.

Cette jurisprudence est d’autant plus intéressante que certains prêts bancaires prévoient des recours préalables à des phases de médiation ou de conciliation,

En l’espèce, M. X… a été engagé à compter du 12 octobre 1987, en qualité de chef opérateur du son, selon contrats de travail à durée déterminée successifs d’usage, par la société FT.

A compter du 26 février 2006, la société ne lui ayant plus fourni de travail, il a saisi la juridiction prud’homale ;

La cour d’appel, statuant sur l’appel d’un premier jugement du conseil de prud’hommes ayant requalifié en contrat à durée indéterminée à temps partiel les contrats à durée déterminée d’usage conclus entre les parties, a, par ordonnance du 10 mai 2010, ordonné la radiation du rôle de l’affaire et prescrit des diligences à la charge des parties à peine de péremption ; qu’après que le conseil de prud’hommes, dans un second jugement, a condamné la société à payer des rappels de salaire au salarié,

Or, le salarié a interjeté appel de ce jugement alors que la société formait quant à elle un appel incident, et a sollicité le rétablissement de l’affaire radiée ainsi que la jonction des deux instances pendantes devant la cour d’appel.

Une médiation a été ordonnée par la cour d’appel avec l’accord des deux parties.

Après l’échec de la médiation, par arrêt du 16 juin 2016, la cour d’appel a, notamment, rejeté le moyen soulevé par le salarié tiré de la péremption d’instance.

En effet la Cour a rejeté l’exception tirée de la péremption d’instance soulevée par le salarié,

Puis, sur le fond, la Cour a décidé que la rupture de la relation de travail était intervenue le 26 février 2006 et qu’elle s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et débouter l’intéressé de ses demandes,

Pour motiver sa décision, la Cour d’appel retient deux arguments,

D’une part, qu’une médiation avait été ordonnée par la cour avec l’accord des deux parties, ce dont il se déduisait que la procédure d’appel se poursuivait,

Et, d’autre part, que l’instance opposant les deux parties étant toujours en cours, du fait de l’appel frappant le jugement du 7 mars 2014,

De telle sorte qu’il était loisible aux parties, en vertu du principe de l’unicité de l’instance, de soumettre à la Cour toutes les demandes liées au même contrat de travail.

A bien y comprendre il n’y aurait pas de péremption d’instance,

Fort heureusement, la Cour de Cassation ne partage pas cet avis,

La Haute Juridiction considère et précise que le point de départ de la péremption d’instance s’établit à la date de l’ordonnance de radiation, soit le 10 mai 2010,

De telle sorte que la péremption d’instance était acquise au 10 mai 2012,

Dès lors, le premier jugement avait acquis l’autorité de la chose jugée à la même date, ce dont il résultait que le principe d’unicité de l’instance prud’homale était sans effet à cet égard, la cour d’appel a ainsi violé les textes susvisés .

Cette décision est intéressante puisqu’elle vient aborder la problématique de cette articulation sensible entre mode amiable du règlement du litige et procédure judiciaire.

La Cour de cassation considère donc que le principe de la péremption d’instance peut être soulevé à tout moment par celui qui souhaite s’en prévaloir.

Il convient de préciser que l’article 388 du Code de Procédure Civile dispose en son premier alinéa que « La péremption doit, à peine d’irrecevabilité, être demandée ou opposée avant tout autre moyen ; elle est de droit. »

Tout laisse à penser que la péremption d’instance devient une véritable mesure d’ordre plus que la prise en compte de la volonté des parties d’abandonner l’instance.

Immanquablement, la péremption d’instance est un moyen de sanction quant à l’inertie d’une des parties dans le cadre de la procédure étant précisé que le Code de Procédure Civile prévoit, notamment depuis le décret n° 2017-892 du 6 mai 2017 que le Juge peut la soulever d’office.

Dès lors la question est de savoir si la péremption d’instance ne devient pas tantôt une mesure d’ordre tantôt une sanction visant à purger et à limiter autant que faire ce peut le contentieux.

Cela est d’autant plus remarquable que les délais d’audiencement devant la Cour d’Appel sont longs, voire très longs,

Cette jurisprudence met bien en exergue le fait que si les textes et la philosophie actuelle est de privilégier la médiation, il n’en demeure pas moins que la phase contentieuse doit rester une priorité.

En effet, dans l’hypothèse où aucun accord ne pourrait être trouvé, seule la phase contentieuse permettrait de régler le problème et permettrait au Juge de s’exprimer sous réserves que ce dernier ne soulève pas la péremption d’instance au motif pris que la procédure aurait durée trop longtemps.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

Responsabilité du gérant et liquidation judiciaire après une conciliation

Un mandataire liquidateur, qui avait été préalabalment désigné conciliateur afin de sauver l’entreprise, est il en droit d’engager la responsabilité du gérant pour insuffisance d’actifs alors que l’article L812-8 du Code du commerce prévoit une incompatibilité sur ce point ? le mandataire liqudiateur peut il reprocher au gérant des fautes commises postérieurement à l’ouverture de la procédure collective ?

Article :

Il convient de s’intérresser à un arrêt rendu en novembre qui vient aborder la spécificité de la faute du gérant pour laquelle le mandataire ne manque pas de le poursuivre en responsabilité du gérant pour insuffisance d’actifs.

Il convient de savoir si la responsabilité du gérant peut être exposée pour des fautes commises postérieurement au jugement d’ouverture ou pour des fautes antérieures.

La société S était dirigée par Madame X.

Celle-ci avait bénéficié d’une procédure de conciliation et Maître Y mandataire judiciaire avait été désigné en qualité de conciliateur.

Le 8 octobre 2007, la société S avait été placée en redressement judiciaire, Maître Y étant désigné comme mandataire judiciaire et le 5 février 2008, la société S avait été placée en liquidation judiciaire, Maitre Y étant désigné liquidateur.

C’est dans ces circonstances que ce dernier, alors qu’il n’avait eu de cesse d’accompagner Madame X a décidé de l’assigner aux fins d’engager sa responsabilité du gérant pour insuffisance d’actifs.

Or, dans cette affaire, Madame X a été condamnée sur la base de fautes de gestion postérieures à l’ouverture de la procédure collective.

Ce qui n’est pas commun,

Pour autant, la question demeure, est ce valable et juridiquement possible ?

La Cour de Cassation n’a pas manqué de casser l’arrêt et de rappeler la mécanique spécifique de la faute de gestion en droit de l’entreprise en difficulté.

La responsabilité du gérant ne peut être caractérisée de la sorte,

La Cour d’Appel d’Aix en Provence qui a été sanctionnée par la Haute juridiction considérait que la gérante n’avait pas déposé de déclaration de résultat pour la période de 2007 à 2008,

Que par ailleurs, la Cour d’appel considérait également que la responsabilité du gérant découlait d’une absence totale d’arrété de chantier sur plusieurs chantiers qui avaient été purement et simplement abandonnée par la gérante, et ce, après l’ouverture de la procédure collective.

Ces éléments sont générateurs de fautes de gestion,

Mais dans le cadre du droit de l’entreprise en difficulté, la responsabilité du gérant ne pouvait être abordée que sur la base de fautes de gestion antérieures.

Il est vrai que l’article L. 651-2 du Code de Commerce qui aborde la problématique de la faute de gestion ne précise pas la période de ladite faute de telle sorte qu’on ne saurait savoir si le mandataire judiciaire pourrait venir reprocher une faute de gestion qu’elle soit antérieure ou postérieure.

Pour autant,  il convient de rappeler la philosophie du droit de l’entreprise en difficulté et notamment la rigueur des textes antérieurs qui ont clairement rappelés que, sous le régime ancien, seule la gestion du dirigeant social antérieure au jugement de l’ouverture de la procédure collective était génératrice de responsabilité du gérant en cas de fautes.

Il convient de préciser que le débiteur n’avait pas manqué de contester l’initiative du mandataire liquidateur qui souhaiter engager la responsabilité du gérant.

En effet, le débiteur était parfaitement fondé à venir rappeler que Maître Y avait été désigné en qualité de conciliateur et l’avait assisté pour faire face à ses difficultés économiques,

Dès lors, il était particulièrement spécieux de venir par la suite lui reprocher des fautes qu’il avait pu appréhender dans un rapport de confiance absolue.

Il convient de rappeler que Maître Y désigné en qualité de conciliateur par ordonnance du président du président du Tribunal de Commerce en date du 22 décembre 2006, avait été, par la suite, désigné en qualité de mandataire judiciaire par jugement du même tribunal en date du 8 octobre 2007 soit moins d’un an avant la fin de sa mission de conciliateur, en méconnaissance des dispositions de l’article L 812-8 du Code de Commerce.

Il est vrai que l’incompatibilité édictée par l’article L 812-8 du Code de Commerce n’est pas une incompatibilité absolue puisqu’elle n’impose que l’écoulement d’un délai d’un an entre l’exercice des fonctions de conciliateur et celles de mandataire judiciaire lorsqu’il s’agit de la même entreprise.

La Cour de Cassation considère qu’elle n’est assortie d’aucune sanction légale et n’entraîne donc pas ipso facto la nullité de la désignation du mandataire et des actes accomplis par ce dernier dans l’exercice de sa mission.

Il ne serait donc pas possible de solliciter la nullité de l’action en responsabilité du gérant pour insuffisance d’actif sur cette base,

Le conciliateur pourrait donc être désigné mandataire judiciaire en parfaite violation de la loi et la Cour de Cassation considère qu’il n’y a pas de sanctions suffisantes pour l’en empêcher.

La Cour de Cassation est assez sévere tout comme le mandataire puisque ces derniers viennent exciper qu’il appartient au dirigeant de rapporter la preuve que les éléments de fait articulés par Maître Y à l’appui de son action en comblement du passif, ont pu être recueillis à l’occasion de l’exercice de ses fonctions de mandataire judiciaire puis de liquidateur, e

Or, Pour la Haute juridiction, il n’est pas démontré ni même allégué par Madame X  que la présentation de ces griefs aurait été permise ou facilitée par l’exercice antérieur d’un mandat de conciliateur .

A mon sens, c’est inverser la charge de la preuve et violer l’esprit de l’article L 812-8 du Code de Commerce.

Par ailleurs, le mandataire judiciiare ne manque pas d’imagination et vient retenir entre 5 et 6 fautes à l’encontre du dirigeant.

Le liquidateur reproche tout d’abord à Mme X  d’avoir omis d’effectuer la déclaration de cessation de la société dans le délai légal et d’avoir poursuivi, au cours de l’exercice comptable du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2007, une activité déficitaire à l’origine de l’aggravation du passif.

La Cour de Cassation ne partage pas cet avis puisque la H aute juridiction considère que cette situation d’endettement est insuffisante à caractériser un état de cessation des paiements en l’absence d’éléments d’information sur les éventuels moratoires consentis par les créanciers et sur les actifs disponibles et sur les concours financiers dont disposait la société à cette date.

Ceci d’autant plus que la gérante avait pris soin de mettre des moratoires en place,

Bien plus, elle n’avait pas manqué de solliciter la désignation d’un conciliateur qui avait rendu son premier rapport en mai 2007 dans lequel il  concluait à la possibilité de parvenir à un moratoire sur trois ans.

Cette réponse de la Cour de cassation permet mieux d’appréhender l’incompatbilité de L 812-8 du Code de Commerce puisqu’on peut quand même trouver curieux de voir le conciliateur en 2007 préciser qu’il est favorable à un moratoire sur trois ans, puis de changer son fusil d’épaule en liquidation judiciaire et venir engager la responsabilité du gérant pour insuffisance d’actifs au motif qu’il n’était pas en mesure de faire face à son passif.

Maître Y reproche en second lieu à Mme X, le défaut de tenue d’une comptabilité régulière  car aucun bilan ni compte de résultat relatif à l’exercice comptable du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2007 n’ont été, selon lui, établis ou remis par le gérant,

La Cour de Cassation considère que l’entreprise faisait un chiffre d’affaires de plus de 2 000 000 euros avec près de 13 salariés, de telle sorte que l’absence de comptabilité fiable privait le dirigeant et le mandataire d’un outil de gestion indispensable et des éléments nécessaires à l’appréciation de la capacité de l’entreprise à financer la période d’observation.

Ceci constituant une absence de visibilité ayant contribué à la création d’un passif complémentaire.

Le mandataire vient encore reprocher à Mme X  une défaillance dans le suivi de la bonne marche de l’entreprise et indique que le listing établi par le cabinet d’expertise comptable F désigné à cette fin par le juge commissaire révèle un nombre important de clients douteux et de litiges ou procès en cours.

Concernant les chantiers de l’entreprise, l’existence de malfaçons, inachèvements, non conformités, sont soulevés par différents clients qui entendent s’opposer au paiement des soldes réclamés par le liquidateur.

Comme le retient la Cour de Cassation, plusieurs chantiers ont été abandonnés après l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire sans qu’aucun arrêté de chantier ne soit dressé,

Cette absence de rigueur dans le suivi de l’exécution des travaux et l’absence de diligences nécessaires à leur mise en paiement est à l’origine de l’impossibilité pour l’entreprise de recouvrer une partie de ses créances et a contribué à l’insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire.

Qu’il est enfin reproché à Mme X  un usage des biens et du crédit de la société contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins personnelles, des frais de voyage et de réception engagés pour un montant de 20.585 €,alors même que Mme X  n’est pas en mesure de s’expliquer sur le rapport entre l’engagement de ces frais et l’objet social de sa société.

Enfin, Madame X n’a pas manqué de souscrire en 2004 et 2005 des contrats de crédit bail pour trois véhicules de direction Mercedes Classe C dont deux véhicules coupé sport, attribués à Mme X… et à son associé, en plus du financement des différents véhicules alors que l’entreprise rencontrait des difficulté.

S’il est vrai que les fautes de gestion sont multiples,il appartient à la Cour de Cassation de faire la part des choses pour caractériser la responsabilité du gérant,

Elle rappelle que lorsque plusieurs fautes de gestion ayant contribué à une insuffisance d’actif sont retenues, chacune d’elles doit être légalement justifiée; que seules des fautes de gestion commises antérieurement à l’ouverture de la procédure collective peuvent être imputées au dirigeant poursuivi en comblement de l’insuffisance de l’actif.

Tel est donc l’apport de cet arrêt qui vient mettre en exergue deux points.

Premierement au titre des fautes de gestion, les juges du fond ne peuvent pas prendre en considération des fautes commises postérieurement à l’ouverture de la procédure collective et deuxiemement l’arrêt vient s’interroger sur la compatibilité de la désignation d’un mandataire judiciaire alors qu’il était précedement désigné en qualité de conciliateur.

Il est regrettable que la Cour de Cassation considère que l’incompatibilité édictée par loi n’est pas génératrice de sanctions en tant que telle ce qui permet au mandataire liquidateur de faire ce que bon lui semble et notamment d’engager la responsabilité du gérant.

Que pour autant, sur cette problématique particulière, il n’ échappera pas au lecteur attentif que si sous sa casquette de conciliateur celui-ci semble croire à un sauvetage de l’entreprise avec un moratoire sur trois ans, il change complétement son fusil d’épaule lorsqu’il devient mandataire liquidateur en venant chercher la responsabilité du gérant pour insuffisance d’actifs.

Fort heureusement, le gérant a bon nombre de moyens de droit et de fait à sa disposition pour contrer les prétentions du mandataire liquidateur,

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

Accident de moto et partage de responsabilité

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accident de circulation et moto

Dans le cadre d’un accident mortel de la circulation impliquant un conducteur de moto décédé et une voiture, quels sont les moyens de défense du motard et de ses ayants droits, veuve et enfants, lorsque le conducteur de la voiture oppose deux fautes de conduite du motard, à savoir une circulation excessive et un défaut de maîtrise ?

Article :

Il convient de s’interresser à un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Paris en septembre 2018 concernant la problématique du partage de responsabilité dans le cadre d’un accident mortel de la circulation impliquant une moto,

Le 29 juin 2014, Monsieur T agé de 42 ans pilotait une moto, une motocyclette de marque HONDA lorsqu’il a été victime d’un accident mortel de la circulation impliquant un autre véhicule conduit par Monsieur X.

Par jugement d’octobre 2016, le Tribunal de Grande Instance de Paris décidait que la faute commise par Monsieur T, le conducteur de la moto, réduisait à 50% le droit à indemnisation de ses ayants droit suite à l’accident survenu le 29 juin 2014 et avait condamné solidairement Monsieur X et la GMF à payer :

  • 145 619,09 euros à Madame T
  • 22 008 ; 37 euros et 23 327 ;83 à ses enfants
  • 12 500 euros à Monsieur JLT
  • 4 500 euros à Madame ST

Les ayants droit ont fait appel contestant le partage de responsabilité et considérant que le seul responsable de l’accident était Monsieur X conducteur de la voiture.

Qu’en tout état de cause, il ne pouvait rien être reproché à Monsieur T, conducteur de la moto.

Cette jurisprudence est intérressante car elle démontre qu’il appartient aux ayants droit du conducteur de moto de démontrer que celui-ci n’est pas responsable de l’accident et qu’il n’y a pas à envisager de partage de responsabilité.

Il importe de préciser que bien trop souvent les conducteurs de voitures, pour s’éxonérer de leur responsabilité, soutiennent que le conducteur de la moto allait trop vite et n’avait pas la maîtrise de son véhicule.

Les faits démontrent pourtant que dans les secondes qui précèdent l’accident, le conducteur de la moto essaye de se rattraper et cela amène parfois à des manœuvre brutales qui lui font perdre le contrôle de sa moto.

Il n’est pas rare de constater que ces éléments factuels sont repris par la partie adverse laissant à penser que le conducteur de la moto est responsable de l’accident.

Le décès de Monsieur T n’enlève rien au droit indemnitaire.

Il est bien évident que sur le terrain du préjudice moral de la famille, de la veuve et des enfants, et sur le terrain économique, les enjeux sont importants.

Les consorts T sont venus solliciter un droit à indemnisation plus important.

Ils contestaient notamment le fait que le Tribunal de Grande Instance s’était appuyé sur le rapport d’enquête qui avait conclu hativement que Monsieur T, conducteur de la moto, circulait à une vitesse excessive compte tenu des circonstances et ce sur le seul témoignage du conducteur du véhicule impliqué dans l’accident et celui de sa passagère et compagne.

Les consorts T contestaient également le fait que le Tribunal de Grande Instance avait considéré que la présence de traces de freinage confirmait la vitesse excessive alors que ces traces démontraient uniquement que le conducteur de la moto avait fait usage de son frein.

En tout état de cause, cela ne pouvait nullement être présumé par le Juge mais devait être démontré par des éléments probatoires et factuels concrets.

Les seuls témoins de l’accident étaient le conducteur de la voiture impliquée et sa passagère de telle sorte que leurs témoignages devaient être accueillis avec précaution en l’état de leur implication dans l’accident.

Monsieur X avait expliqué avoir marqué un arrêt au niveau de l’intersection pour laisser une voiture le doubler.

Il avait déclaré ne pas être assez qualifié pour estimer la vitesse et avait déclaré aléatoirement que le conducteur de la moto roulait à plus de 80 km/h sans indiquer sur quoi il se basait.

Sa compagne avait donné aux gendarmes une version des faits différente puisqu’elle avait déclaré que Monsieur X ne s’est pas arrêté avant de tourner sur la gauche mais avait seulement ralenti, cette dernière ne mentionnant pas l’existence d’un véhicule les ayant dépassés.

Elle indiquait que la vitesse de la moto l’avait impressionnée sans donner des détails précis.

Dès lors, en l’absence de tout autre témoin, il apparaissait impossible de conclure à une vitesse excessive sur la seule base de ces deux témoignages partisans et contradictoires.

Bien plus, il est important d’exploiter le schéma de l’accident établi par les gendarmes qui semble clairement contredire l’hypothèse d’une vitesse excessive puisqu’on peut constater que le corps de la victime a été éjecté juste à coté de la zone de choc ce qui n’aurait pas été possible dans le cas d’une vitesse importante.

Enfin, tout laissait à penser que l’accident était seulement imputable au comportement de Monsieur X qui avait coupé la route et s’était engagé sur la gauche sans avoir vérifié qu’il pouvait le faire en toute sécurité.

Dès lors, il avait immanquablement violé l’article R 415-4 du Code de la Route qui dispose :

« Tout conducteur s’apprêtant à quitter une route sur sa gauche ….doit céder le passage aux véhicules venant en sens inverse sur la chaussée qu’il s’apprête à quitter.. »

Or dans cette affaire, Monsieur X et son assureur reprochaient au conducteur de la moto deux fautes de conduite à savoir une circulation excessive et un défaut de maîtrise.

Sur la vitesse excessive, aucune indication n’est mentionnée en procédure concernant la vitesse maximale autorisée sur la route départementale qui peut donc être présumée de 90 km/h.

La compagnie d’assurances n’invoque aucun texte permettant de caractériser la faute alléguée de circulation à vitesse excessive ni aucun élément de preuves matérielles au soutien de l’affirmation selon laquelle Monsieur T roulait à vive allure.

Il importe de préciser et de soutenir que les déclarations du conducteur et de sa passagère constituent des appréciations subjectives relatives à la vitesse de la moto et sont dès lors dénuées de tout caractère probant.

Ce dernier a déclaré « je ne peux faire que des suppositions, j’ai eu l’impression qu’il arrivait très vite »

A été présentée comme élément à charge, la déclaration de l’épouse du conducteur de moto décédé qui indique qu’il pouvait arriver à son époux comme tout motard « de mettre un peu les gaz » mais cela ne saurait constituer une preuve de la vitesse excessive de son époux puisqu’au moment de l’accident, Madame T n’était pas présente.

Dès lors, la vitesse de la moto n’est pas déterminée aux vues de ces seuls éléments et en l’absence d’expertise aucune faute ne peut etre retenue à l’encontre de Monsieur T.

Sur le défaut de maîtrise, en droit l’article R 413-17 du Code de la Route dispose que :

« Les vitesses maximales autorisées par les dispositions du présent code, ainsi que celles plus réduites éventuellement prescrites par les autorités investies du pouvoir de police de la circulation, ne s’entendent que dans des conditions optimales de circulation : bonnes conditions atmosphériques, trafic fluide, véhicule en bon état.

Elles ne dispensent en aucun cas le conducteur de rester constamment maître de sa vitesse et de régler cette dernière en fonction de l’état de la chaussée, des difficultés de la circulation et des obstacles prévisibles.

Sa vitesse doit être réduite :

  • Dans les virages ;
  • A l’approche des sommets de côtes et des intersections où la visibilité n’est pas assurée. »

Les intimés invoquaient une vitesse non adaptée aux obstacles prévisibles sans les désigner.

Toutefois, il se déduit de leurs écritures que la voiture s’apprêtait à tourner sur la gauche et que l’avant du véhicule dépassait la ligne médiane et que cela constituait un obstacle prévisible.

Or, au sens du texte précité, la vitesse doit être réduite à l’approche des intersections où la visibilité n’est pas assurée alors qu’un tel défaut de visibilité n’est pas démontré par les intimés.

S’agissant des constatations matérielles et notamment les traces de freinage et de ripage, celles ci ne sont pas suffisamment exploitables.

Cela explique le silence observé par les parties s’agissant de ces éléments matériels étant précisé que les photos communiquées sont totalement inexploitables.

La Cour d’Appel considère « qu’il n’est pas établi que les manœuvres de freinage de Monsieur T auraient été inadaptées.

 

Dès lors, les éléments réunis ne pouvant pas caractériser un manquement fautif de Monsieur T aux prescriptions du Code de la Route, le droit à indemnisation de ses ayants droit doit être intégral et le jugement entrepris devra être infirmé sur ce point. »

Le partage de responsabilité n’a donc plus lieu d’être et il n’y aura pas de réduction du droit indemnitaire.

L’ensemble des montants accordés en première instance sont donc doublés.

Cette jurisprudence est intéressante,

Elle rappelle ô combien la charge de la preuve est sujet à débat, et permet au conducteur de moto, malheureusement décédé, et ses ayants droits, veuve et enfants, d’être correctement indemnisés du préjudice subi, sans avoir à supporter une réduction indemnitaire au motif pris d’un soi-disant partage de responsabilité,

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat à Fréjus, Avocat à Saint Raphael, Docteur en Droit,

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L’avocat du créancier, le débiteur et la saisie immobilière

avocat saisie immobilière

avocat saisie immobilière
le rôle de l’avocat en saisie immobilière

Le débiteur peut il contester l’intervention et le mandat de l’avocat du créancier qui s’est subrogé aux droits du créancier saisissant ? Peut-il reprocher à l’avocat du créancier un manquement à une quelconque obligation de conseil ? Qu’en est il de l’avocat du débiteur ?

Article :

Il convient de s’interresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’Appel de Lyon en ce mois d’août 2018 qui vient aborder, en toile de fond, le rôle de l’avocat en droit de la saisie immobilière tant celui-ci intervient à tous les stades de la procédure, qu’il soit avocat du débiteur, avocat du saisissant, voire même avocat du créancier subrogeant.

Dans cette affaire, les époux B s’étaient retrouvés en litige avec la société K, banque privée en raison d’avance de fonds pour investissements sur les marchés des instruments financiers à terme.

 

A l’issue d’une procédure judiciaire, les parties avaient conclu un protocole transactionnel signé entre les parties le 29 avril 2008 et homologué par la Cour d’Appel de Lyon par arrêt du 24 juin 2008.

 

Cependant, le 19 janvier 2016, la banque K avait fait délivrer aux époux B, un commandement de payer la somme de 67.933,10 euros, valant saisie immobilière de leur bien situé dans le Rhône au titre de la troisième échéance de 50.000 euros augmentée des intérêts au taux légal, pour exécution du solde de l’accord transactionnel.

 

Le commandement avait été régulièrement publié le 17 mars 2016 au service de la publicité foncière.

 

C’est dans ces circonstances que par acte d’huissier de justice du 9 mai 2016, la banque K avait fait délivrer aux époux B une assignation à comparaître à l’audience d’orientation du Juge de l’Exécution du Tribunal de Grande Instance de Lyon du 28 juin 2016.

 

Cet arrêt est intéressant puisque suite à cette audience, un jugement a été rendu le 13 décembre 2016 dans lequel le Juge :

 

  • Débouté les époux B de toutes leurs contestations relatives au titre exécutoire et à la saisissabilité de l’immeuble objet de la procédure de saisie immobilière,

 

  • Débouté les époux B de leur demande de délais de paiement,

 

  • Ordonné la vente forcée de l’immeuble et fixé les modalités de celle-ci, la date d’adjudication étant prévue au 23 mars 2017,

 

  • Condamné les époux B aux dépens qui seront compris dans les frais taxés de la vente.

 

Or, les époux B avaient contesté le jugement d’orientation et frappé d’appel la décision en litige,

 

Pour se retrouver avec un arrêt confirmatif en date du 15 juin 2017.

 

Entre-temps, par jugement du 23 mars 2017, le Juge de l’Exécution du Tribunal de Grande Instance de Lyon avait renvoyé l’adjudication au 19 octobre 2017.

 

A cette audience, la banque K n’avait pas sollicité la vente forcée du bien saisi, indiquant que sa créance avait été réglée.

 

Pour autant le Trésor Public, représenté par son avocat, avait demandé la subrogation dans les poursuites et l’autorisation de vendre immédiatement le bien aux enchères.

 

Les époux B, avaient donc sollicité le renvoi de l’affaire, notamment pour proposer un nouvel argumentaire en défense contre ce créancier, mais le Juge de l’Exécution a décidé de faire procéder immédiatement la vente aux enchères du bien saisi.

 

Par jugement du 19 octobre 2017, le Juge de l’Exécution du Tribunal de Grande Instance de Lyon a :

 

  • Constaté que la banque K se désistait de ses poursuites à l’encontre des époux B,

 

  • Fait droit à la demande de subrogation du Trésor Public,

 

  • Adjugé le bien à Madame L.

 

Les époux B ont relevé appel de cette décision avec les demandes suivantes :

 

  • Déclarer recevable leur appel à l’encontre du jugement d’adjudication du 19 octobre 2017,

 

  • Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a constaté le désistement d’instance de la banque K,

 

  • Réformer le jugement entrepris pour le surplus au motif pris que la SCP d’avocats G B A n’avait aucun pouvoir pour demander la subrogation à l’audience d’adjudication du 19 octobre 2017 au nom du Trésor Public et à l’encontre de la banque K,

 

  • Déclarer en conséquence irrecevable la demande de subrogation du Trésor Public,

 

  • Juger qu’il n’y a pas lieu à adjudication,

 

  • Donner acte à M. et Mme B de ce qu’ils ont acquittés de leur créance auprès de la banque K.

 

Pour autant, la Cour d’Appel ne fait pas droit à leurs demandes et les déboute,

 

Elle rappelle en tant que de besoin, au visa de l’article R.322-60 al.1 du Code des Procédures Civiles d’Exécution, que seul le jugement d’adjudication qui statue sur une contestation est susceptible d’appel de ce chef dans un délai de 15 jours à compter de sa notification.

 

Elle souligne que le jugement d’adjudication en litige ne fait état d’aucune contestation mais seulement d’une demande de renvoi.

 

Toutefois, elle considère que l’appel formé par les époux B doit être considéré comme recevable en ce qu’il critique la subrogation autorisée par le Juge de l’Exécution.

 

Les époux B observaient quant à eux que le jugement attaqué mentionnait que le Trésor Public était représenté par Maître B et la banque K était représentée par Maître A alors que ces deux conseils étaient membres de la même SCP à savoir la SCP GBA.

 

Chaque avocat associé exerçant ses fonctions au nom de la SCP, il s’en est déduit que les deux créanciers avaient le même représentant, à savoir ladite société d’avocats,

 

Les consorts B soutenaient que cette SCP d’avocats n’avait pas mandat du Trésor Public pour demander la subrogation dans les poursuites.

 

Ils en voulaient pour preuve que, dans un courrier du 16 octobre 2017, le Trésor Public leur avait écrit dans les termes suivants : « si vous réglez lors de l’audience d’adjudication en date du 19 octobre 2017, la moitié de la créance fiscale due auprès du Centre des Finances Publiques, garantie par hypothèques, soit la somme de 13.835,83 euros, Maître B ne demandera pas la subrogation. »

 

Cette argumentation est loin d’être infondée.

 

Il n’est pas rare de voir que des accords se mettent bien souvent en place entre débiteur et créancier directement, nonobstant la procédure de saisie immobilière, à charge pour les parties de répercuter l’accord à leurs avocats respectifs,

 

Il peut être rageant pour le débiteur de constater que l’avocat du créancier semble ne pas être informé de cet accord et de ne pas en tenir compte dans le cadre de la saisie qu’il sollicite malgré tout.

 

Il est difficile pour le débiteur de comprendre cela alors même que ce dernier fait souvent des efforts terribles pour pouvoir obtenir un accord avec le créancier dans le seul but de sauver son bien.

 

Or, il est fréquent de constater qu’à l’audience, l’avocat du créancier semble ignorer complètement l’information.

 

La Cour d’Appel écarte pourtant cette argumentation et considère que les appelants et débiteurs n’ont aucune qualité pour débattre du mandat donné à un avocat par la partie adverse.

 

Elle rappelle qu’il résulte de l’article 416 du Code de Procédure Civile que l’avocat, à la différence de tout autre représentant, est dispensé de justifier de son mandat.

 

L’avocat est en effet titulaire d’un mandat ad litem est ainsi présumé agir sur les instructions de son mandant et ne répond que devant lui de l’exercice de son mandat.

 

Au surplus, la Cour d’Appel estime que les appelants ne justifient pas avoir proposé de s’acquitter de la moitié de la créance du Trésor Public en temps voulu pour éviter la vente, de sorte que l’avocat a nécessairement agi dans les termes de son mandat en demandant la subrogation puisque, selon le courrier précité, le Trésor Public n’excluait la subrogation que dans le seul cas où ce paiement serait effectué.

 

Or, les époux B n’ignoraient pas être redevables de la créance du Trésor Public régulièrement dénoncée dans le cadre de la procédure de saisie immobilière et, de ce fait, qu’ils s’exposaient au risque de sa demande de subrogation dans les poursuites en application de l’article R.311-9 du Code des Procédures Civiles d’Exécution.

 

La Cour d’Appel a considéré qu’ils étaient donc mal venus de reprocher à l’avocat du créancier de ne pas les en avoir informés, ce dont il n’avait nullement l’obligation, le devoir de conseil de l’avocat s’exerçant vis à vis de son client et non à l’égard d’une partie adverse.

 

Ce point est intéressant car cela souligne que bien que le débiteur n’ait pas la main sur l’avocat du créancier, on peut s’interroger sur le rôle que l’avocat du débiteur qui aurait dû attirer l’attention de son client sur les risques d’une éventuelle subrogation.

 

C’est dire les obligations qui pèsent sur l’avocat du débiteur puisqu’il doit vérifier chaque point d’une matière particulièrement technique qui recèle bon nombre d’axes de contestation.

 

Ce travail est long et fastidieux mais l’avocat se doit de procéder aux vérifications d’usage pour s’assurer que la banque ou son conseil n’auraient pas manqué l’une des multiples obligations particulièrement rigoureuses de la procédure de saisie immobilière.

 

La Cour d’Appel laisse donc à penser qu’il appartenait à l’avocat du débiteur de prévoir une éventuelle subrogation et donc de l’anticiper.

 

La Cour d’Appel conclu donc à la confirmation du jugement entrepris en ce en ce qu’il a fait droit à la demande de subrogation du Trésor Public dont il n’était pas contesté qu’il avait la qualité de créancier inscrit sur l’immeuble saisi.

 

Enfin, la Cour d’Appel qui semble particulièrement remonté sur le rôle et la compétence de l’avocat dans le cadre d’une saisie immobilière fait une remarque sur les demandes accessoires.

 

En effet, les avocats des intimés demandaient que les dépens soient “distraits” à leur profit

 

La cour rappelle que ce sont des termes employés dans l’ancien Code de Procédure Civile qui n’est plus en vigueur depuis une quarantaine d’années (sic).

 

Il s’avère qu’ils entendent en réalité bénéficier du droit de recouvrement direct des dépens prévu par les dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile, ce qui doit leur être accordé sur leur simple demande dès lors que le ministère d’avocat est obligatoire dans la procédure d’appel et que la partie adverse est condamnée au paiement des dépens.

 

Les époux B étaient pourtant bien fondés à s’interroger sur le rôle de l’avocat dans le cadre de la procédure de saisie immobilière.

 

En premier lieu le fait que plusieurs créanciers soient représentés par le même cabinet d’avocats est toujours mal compris par le débiteur.

 

En deuxième lieu, cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle met bien en exergue le rôle de l’avocat en droit de la saisie immobilière, que ce soit celui du créancier ou celui du débiteur.

 

 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr