Contradiction de titres exécutoires et saisie immobilière à Mamoudzou

Laurent LATAPIE Avocat moto palais
Laurent LATAPIE Avocat moto palais

En cas de contradiction entre plusieurs décisions de justice rendues entre une banque et son débiteur, tantôt condamnant ce dernier en paiement, tantôt consacrant la prescription de la créance de la banque, celle-ci peut-elle malgré tout saisir le bien immobilier ? Illustration atypique d’une procédure de saisie immobilière devant le juge de l’orientation de Mamoudzou.

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’Appel de Saint Denis de la Réunion en décembre 2019 et qui vient aborder, une fois de plus, la spécificité du droit de la saisie immobilière.

Dans cette affaire, et par acte d’huissier du 9 octobre 2019, la banque a fait assigner Monsieur D devant le Juge de l’Exécution du Tribunal de Grande Instance de Mamoudzou aux fins de vente forcée de son bien immobilier suite à la communication d’un commandement de payer valant saisie immobilière signifiée le 11 juillet 2018.

Par jugement du 18 mars 2019 le Juge de l’Exécution a :

  • Déclaré recevable la procédure de saisie immobilière
  • Fixé la créance de la banque à la somme de 528 642.70 euros outre intérêts au taux conventionnel de 4.90% à compter du 23 mai 2018
  • Ordonné la vente du bien saisi sur la mise à prix de 200 000 euros

C’est dans ces circonstances que Monsieur D a interjeté appel de la décision.

Celui-ci entendait sauver son actif immobilier…

Ceci d’autant plus qu’il n’en était pas son premier combat contre la banque et plusieurs décisions de justice avaient d’ailleurs été rendues.

Toute la difficulté reposait sur le fait que les différentes décisions rendues entre la banque et le débiteur, Monsieur D, se suivaient mais ne se ressemblaient pas.

En effet, dans une première procédure, et par arrêt en date du 6 mai 2014, la Cour d’Appel de Saint Denis avait rejeté l’exception de prescription soulevée par Monsieur D et condamné ce dernier en paiement.

Pour autant, et par suite, et par jugement du 18 mai 2015 le Juge de l’Exécution du Tribunal de Grande Instance de Mamoudzou a dit que l’action de la banque se trouvait prescrite en application de l’article L 137-2 du Co de de la Consommation.

C’est dans ces circonstances que Monsieur D avait saisi la Cour de cassation, mais par arrêt du 7 septembre 2017, non spécialement motivé par ailleurs, la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi en cassation de Monsieur D tendant à l’annulation de ces deux décisions en application des dispositions de l’article 618 du Code de Procédure Civile.

Tout naturellement cela n’avait pas empêché la banque d’envisager de lancer une procédure de saisie immobilière.

Il s’ensuit que Monsieur D entendait clairement soulever dans le cadre de la procédure de saisie immobilière l’autorité de la chose jugée qui aurait pu s’attacher au jugement du 18 mai 2015 afin de consacrer la prescription de la banque et par là même son impossibilité de poursuivre le débiteur.

A hauteur de Cour, il sollicitait que la Cour constate le désistement de la banque relativement à l’irrecevabilité de son appel et qu’elle prononce l’irrecevabilité de l’action de la banque au motif pris de l’autorité de la chose jugée en vertu d’un jugement rendu en mai 2015.

Pour autant, cela ne s’est malheureusement pas passé comme prévu.

En effet, sur la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée, la Cour d’Appel rappelle les dispositions de l’article 122 du Code de Procédure Civile qui qualifie de fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L’article 480 du Code de Procédure Civile dispose, quant à lui, dans son 1er alinéa : « Le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche. »

Elle rappelle également que l’article 1355 du Code Civil prévoit que « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. »

Enfin l’article 618 du Code de Procédure Civile énonce en son 1er alinéa que « La contrariété de jugements peut aussi, par dérogation aux dispositions de l’article 605, être invoquée lorsque deux décisions, même non rendues en dernier ressort, sont inconciliables et qu’aucune d’elles n’est susceptible d’un recours ordinaire ; le pourvoi en cassation est alors recevable, même si l’une des décisions avait déjà été frappée d’un pourvoi en cassation et que celui-ci avait été rejeté. »

La Cour d’Appel considère qu’il y a une contrariété de décisions dès lors que relativement à l’exécution du même contrat de prêt notarié du 7 février 2008,

  • Par arrêt du 6 mai 2014, la Cour d’Appel de Saint Denis a rejeté l’exception de prescription soulevée par Monsieur D.

 

  • Par jugement du 18 mai 2015 le Juge de l’Exécution du Tribunal de Grande Instance de Mamoudzou a dit que l’action de la banque se trouvait prescrite en application de l’article L 137-2 du Co de de la Consommation

 

  • Par arrêt du 7 septembre 2017 non spécialement motivé, la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi en cassation de Monsieur D tendant à l’annulation de ces deux décisions en application des dispositions de l’article 618 du Code de Procédure Civile.

Il s’ensuit que Monsieur D ne peut soulever l’autorité de la chose jugée qui aurait pu s’attacher au jugement du 18 mai 2015

Si le premier juge doit donc être approuvé lorsqu’il rejette la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée du jugement du 18 mai 2015, pour autant il n’était pas autorisé à privilégier l’autorité de la chose jugée en s’attachant à l’arrêt du 6 mai 2014.

Il convient d’observer que si Monsieur D, aux termes de ses écritures continue à soulever devant la Cour d’Appel l’autorité de la chose jugée du jugement du 18 mai 2015, il n’invoque pas de nouveau ne serait-ce que subsidiairement la prescription de l’action de la banque.

Il n’en offre pas d’ailleurs la démonstration.

Ce qui est à mon sens dommage.

La Cour d’Appel considère que le jugement entrepris ne peut être que confirmé en ce qu’il a déclaré recevable la procédure de saisie immobilière.

La saisie immobilière est fondée sur un commandement valant saisie immobilière délivré le 11 juillet 2018 pour un montant de 528 642.70 euros et qui est demeuré infructueux.

La banque pouvait-elle saisir de ce chef ?

Oui, notamment en ce que la Cour rappelle que Monsieur D n’a absolument pas rapporté la preuve d’une plus ample décharge de sa dette de sorte que le premier juge a valablement liquidé la créance de la banque pour la somme indiquée dans le commandement de payer valant saisie immobilière.

Cette jurisprudence est intéressante car force est de constater que si Monsieur D a obtenu gain de cause sur les problématiques de prescription à l’encontre de la banque en 2015, cela n’empêche pas la banque d’envisager une saisie immobilière en 2018.

La difficulté n’est pas tant l’argumentation retenue par la Cour qui laisse à penser que Monsieur D n’est pas bien fondé à solliciter l’autorité de la chose jugée de la première décision mais que Monsieur D aurait plutôt dû soulever la portée de la prescription pour la réitérer devant le juge de l’orientation.

Le raisonnement est subtil il est vrai,

Mais malheureusement pris au détriment du débiteur,

Une fois de plus….

La jurisprudence rappelle bien que le débiteur et son conseil doivent soulever l’ensemble des moyens de droit à leur portée.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

 

 

Fin du rétablissement personnel du débiteur surendetté et sort des actifs ?

Laurent Latapie avocat banque
Laurent Latapie avocat banque

En droit du surendettement, le juge peut-il prononcer la clôture de la procédure de rétablissement personnel pour insuffisance d’actif alors que le débiteur surendetté détient encore des actifs ?

Article :

Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue en juillet 2020 concernant la problématique du droit du consommateur et du surendettement des particuliers

Dans cet arrêt, la Cour de Cassation rappelle que lorsque la liquidation judiciaire du patrimoine du débiteur n’a pas été prononcée, le juge ne peut prononcer la clôture de la procédure de rétablissement personnel pour insuffisance d’actif que s’il constate que le débiteur ne possède rien d’autre que des biens meublants nécessaires à la vie courante et des biens non professionnels indispensables à l’exercice de son activité professionnelle, ou que son actif n’est constitué que de biens dépourvus de valeur marchande ou dont les frais de vente seraient manifestement disproportionnés au regard de leur valeur vénale.

Dans cette affaire, le juge d’un tribunal d’instance de Versailles avait, par jugement du 10 décembre 2015, prononcé l’ouverture d’une procédure de rétablissement personnel avec liquidation judiciaire au profit de Madame J et avait également désigné un mandataire.

Après le dépôt, par ce dernier ,du bilan économique et social, le juge avait, par jugement du 29 mai 2017, arrêté la liste des créances et prononcé la clôture de la procédure de rétablissement personnel pour insuffisance d’actif ce qui a pour effet de générer une purge du passif.

L’enjeu est donc de taille.

L’un des créanciers, la banque, a interjeté appel de ce jugement.

La banque faisait grief à l’arrêt de prononcer la clôture pour insuffisance d’actif de la procédure de rétablissement personnel ouverte au profit de Madame J et de dire que la clôture pour insuffisance d’actif entraînait en conséquence l’effacement de la dette envers elle pour un montant de 175 199,76 euros, bénéficiant d’une hypothèque conventionnelle.

La banque rappelait que le mandataire, avait pour mission de procéder aux mesures de publicité destinées à recenser les créanciers, de recevoir leurs déclarations de créances dans un délai de deux mois à compter de la publicité du jugement d’ouverture de dresser un bilan de la situation économique et sociale de la débitrice, de vérifier les créances et d’évaluer les éléments d’actif et de passif.

Elle considérait qu’il appartenait au juge de constater et de vérifier que le débiteur ne possédait rien d’autre que des biens meublants nécessaires à la vie courante et des biens non professionnels indispensables à l’exercice de son activité professionnelle.

Ou bien de vérifier que son actif n’est constitué que de biens dépourvus de valeur marchande ou dont les frais de vente seraient manifestement disproportionnés au regard de leur valeur vénale.

De telle sorte que le juge ne pouvait par conséquent se prononcer valablement au regard de considérations liées à l’insuffisance de l’actif réalisable pour désintéresser les créanciers.

A bien y comprendre, le juge ne pouvait donc se satisfaire du fait l’actif de cette dernière ne serait pas suffisant à désintéresser les créanciers de telle sorte la clôture de la procédure de rétablissement personnel par des considérations tirées de l’insuffisance de l’actif réalisable pour désintéresser les créanciers ne pourrait être prononcée.

La Cour de Cassation vient rappeler qu’au visa des articles R. 334-10, devenu R. 742-17, et L. 332-9, alinéa 1er, devenu L. 742-21 du Code de la Consommation, il résulte de ces textes que lorsque la liquidation judiciaire du patrimoine du débiteur n’a pas été prononcée, le juge ne peut prononcer la clôture de la procédure de rétablissement personnel pour insuffisance d’actif que s’il constate que le débiteur ne possède rien d’autre que des biens meublants nécessaires à la vie courante et des biens non professionnels indispensables à l’exercice de son activité professionnelle, ou que son actif n’est constitué que de biens dépourvus de valeur marchande ou dont les frais de vente seraient manifestement disproportionnés au regard de leur valeur vénale.

Ainsi la Cour de Cassation rappelle le bon sens économique.

La difficulté est que la banque avait déclaré sa créance, liée à un prêt bancaire immobilier.

En effet, Madame J avait acquis, en l’état futur d’achèvement, un appartement situé dans le Gers ,financé en totalité par le prêt consenti par la banque.

La banque ne s’était pas opposée à la vente du bien.

Cependant c’était sans compter la pugnacité et la résistance d’un certain nombre d’investisseurs, dont Madame J à l’encontre de la banque et la société de courtage en crédits immobiliers qui avaient finalement fait le choix d’engager leur responsabilité au titre de manquement de conseil.

Choix heureux.

La banque et la société de courtage avaient été condamnées in solidum à payer à Madame J la somme principale de 80 000 euros.

Pour autant, la banque considère que le premier juge n’aurait pas dû constater l’insuffisance des actifs pour désintéresser les créanciers sans passer par la liquidation judiciaire de son patrimoine total.

La Cour de Cassation vient sanctionner le fait qu’il y avait un actif réalisable dans cette affaire et que celui-ci devait être vendu peu importe que le prix de la vente ne parvienne pas à désintéresser intégralement des créanciers.

Tant bien même encore il viendrait se compenser avec quelque créance de condamnation de la banque…

La jurisprudence est intéressante car elle rappelle les modalités de réalisation des actifs dans le cadre d’une procédure de surendettement des particuliers, tout comme elle rappel l’office du juge dans le cadre de ses vérifications lorsque celui-ci souhaite clôturer une procédure de rétablissement personnel pour insuffisance d’actif.

 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr