Il convient de s’intéresser à un arrêt en droit de la saisie immobilière qui a été rendu par la Cour d’Appel de Basse Terre en février 2017 et qui vient aborder une nouvelle fois la délicate question de la faculté qu’a le débiteur défaillant en première instance, de faire appel d’une décision rendue par le juge de l’orientation en son absence,

Alors qu’un récent décret vient mettre fin à l’effet dévolutif de l’appel dans le cadre des procédures de référé, tout laisse à penser qu’il y a un véritable recul du droit au procés équitable et à l’accès au juge, tant ce principe d’effet dévolutif de l’appel est malmené en droit de la saisie immobilière, alors que les enjeux immobiliers, patrimoniaux et financiers sont immenses,

D’aucuns y verront un moyen procédural efficace d’alléger la charge de travail des magistrats,

D’autres le vivront comme une atteinte majeure aux droits de la défense, au procès équitable, et finalement, à l’accès au juge tout simplement,

Or, droit de la saisie immobilière faisant, si le débiteur n’intervient pas devant le juge de l’orientation, il est très sérieusement mis en difficulté si, in fine, il décide de faire appel, pour soulever des moyens de défense, en fait, en droit, en hésitant pas à soulever plusieurs moyens d’irrecevabilités permettant d’annuler la procédure de saisie immobilière tout entière,

Cette faculté de faire appel est à mon sens particulièrement importante car elle permet au débiteur de faire valoir ses droits en rappelant bien que le droit de la saisie immobilière demeure par nature attentatoire au bien immobilier de l’emprunteur défaillant et par là même au droit de propriété pourtant constitutionnellement consacré.

Ainsi, on ne peut que déplorer cette absence d’effet dévolutif de l’appel en cas de recours contre la décision du juge de l’orientation,

Cela est d’autant plus dommageable que dans le cas d’espèce, la banque, nonobstant l’appel engagé par le débiteur qui souhaitait soulever des moyens notamment de prescription, a quand même pris soin de ne pas renvoyer l’audience d’adjudication et a fait adjugé le bien aux enchères publiques.

En effet, dans cette affaires les consorts S avaient conclu à Pointe à Pitre le 11 février 2005, un prêt avec une banque aux fins de financer l’acquisition d’un bien immobilier et ce pour prés de 207 000 euros.

Ce prêt avait l’objet d’échéances régulières qui n’avaient pas fait l’objet d’incidents particuliers mais par acte notarié de février 2007, les mêmes consorts S avaient conclu avec la même banque, un 2ème prêt de 77 000 euros.

Les deux actes de prêt précisaient bien que le préteur pouvait se prévaloir d’une exigibilité immédiate de la totalité de la créance par lettre recommandée adressée à l’emprunteur en cas de non paiement du prêt.

C’est que la banque a formalisé le 15 mai 2009 en mettant en demeure les emprunteurs de régler les échéances impayées et en prononçant la déchéance du terme.

Pour autant, ce n’est que par acte d’huissier en date du 9 juin 2016 que la banque en question a fait délivrer aux consorts S un commandement de payer valant saisie immobilière afin de voir ce bien vendu.

Pour ensuite se faire signifier à une assignation à comparaitre devant le Juge de l’orientation,

Malheureusement, il ressort des circonstances de la cause qu’en l’état des difficultés propres aux consorts S, ces derniers n’ont pas comparu et le juge de l’orientation a constaté qu’à l’audience d’orientation, le créancier poursuivant maintenait sa demande tendant à ordonner la vente forcée de l’immeuble, fixer l’audience à laquelle aurait lieu la vente aux enchères, déterminer les modalités de visite de l’immeuble, er arrêter le montant de la créance.

Dans la mesure où les consorts S n’ont pas comparu, le juge a considéré qu’au terme de l’article 472 du Code de Procédure Civile si le défendeur ne comparait pas, il est néanmoins statué sur le fond et le juge peut faire droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulier, recevable et bien fondée.

Le juge a considéré qu’au terme de l’article 311 -2 du Code des Procédures Civiles d’Exécution : « tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut procéder à une saisie immobilière ».

C’est en l’état des deux actes notariés revêtus de la formule exécutoire, du décompte de la créance et sur la base de la déchéance du terme contractuellement prévue et prononcée par le prêteur, que le juge de l’orientation a jugé que le créancier était bien muni d’un titre exécutoire que la créance était exigible et que le bien était saisissable.

Il ordonne la vente aux enchères publiques du bien saisi à l’audience du 15 juin 2016 et fixe la mise à prix à hauteur de 140 000 euros.

Cependant, après mure réflexion, les débiteurs saisis ont souhaités frapper appel de la décision, notamment au motif de la prescription de l’action.

En effet, ces derniers considèrent que dans la mesure où la déchéance du terme est intervenue en mai 2009 et que la saisie immobilière n’a été engagée quant à elle que le 9 juin 2016, ils étaient parfaitement fondés à soutenir la prescription biennale consacrée par l’article L137-2 du Code de la consommation, et par une jurisprudence clairement acquise.

Deux particularités dans cette affaire.

La première est relative à la procédure de saisie immobilière et la deuxième est relative au fait que la banque n’a pas cru bon patienter la procédure d’appel et a procédé à la vente du bien par un jugement d’adjudication rendu le 15 décembre 2016.

En effet, classiquement, lorsque le jugement d’orientation est frappé d’appel, et nonobstant l’issue « probable » de l’appel en question, l’audience de criée fait l’objet d’un renvoi, afin de procéder à l’adjudication avec entre les mains une décision rendue par la Cour d’appel,

Pour autant, le juge d’adjudication prend acte de l’acte de l’appel et pour autant considère qu’au visa de l’article L311-6 du Code des Procédures Civiles d’Exécution qu’« A moins qu’il en soit disposé autrement, toute contestation ou demande incidente est formée par le dépôt au greffe de conclusions signées d’un avocat. »

Par cette motivation, le juge de l’adjudication rejette ce qu’il considère être une demande incidente, au motif pris que cette prétendue demande incidente n’aurait pas été formalisée par dépôt de conclusions au greffe,

Or, il ne s’agissait pas tant de formaliser une demande incidente mais bel et bien de solliciter un renvoi en l’état de l’appel en cours dont le juge ne pouvait ignorer l’existence.

La banque poursuit donc sa vente et le bien est adjugé à hauteur de 186 000 euros, soit bien en dessous de la créance bancaire et bien en dessous de ce que pourrait valoir le bien selon les débiteurs.

Il est vrai qu’en ces temps de rigueur économique et de marché immobilier encore fragile, les adjudications ne brillent pas par des élans d’enchères portées « endiablées, les biens étant bien souvent adjugés à des valeurs inférieures à ce que pourrait estimer le débiteur dans le cadre d’une vente immobilière sereine,

Devant la Cour d’appel, l’établissement bancaire ne manque pas de contester l’argumentation du débiteur attachée à la prescription de la procédure de saisie,

La banque rappelle que la déchéance du terme est intervenue le 15 mai 2009, et qu’une première saisie immobilière a été engagée.

En effet, sur la base de cette déchéance du terme, une première saisie immobilière avait été engagée suivant commandement du 20 janvier 2010, publiée en mars 2010, soit seulement quelques mois après la déchéance du terme, et force est de constater que dans le cadre de cette procédure, les consorts S avaient usé de tous les moyens juridiques et judiciaires pour s’y opposer.

Ainsi, ces derniers avaient pris soin de se défendre et un jugement d’orientation avait été rendu le 14 octobre 2010 frappé d’appel car ils avaient été déboutés de leurs prétentions.

La Cour d’Appel de Basse Terre a le 14 février 2011 également débouté les consorts S de leurs prétentions et le 1er jugement d’adjudication avait eu lieu le 12 mai 2011.

L’immeuble objet de la présente procédure avait été une première fois adjugé à Monsieur C pour le prix de 180 200 euros.

Cependant, Monsieur C n’ayant pas réglé le prix d’adjudication, ni les frais, une procédure de réitération des enchères avait été engagée à son encontre.

La vente sur réitération des enchères avait alors été fixée au 12 mai 2012.

Aucun acquéreur ne s’étant présenté, le juge avait refusé la demande de renvoi de l’adjudication formulée par la banque et avait prononcé la caducité du commandement.

La banque, contestant cette décision avait alors fait appel et par un arrêt en date du 17 juin 2013, la Cour d’Appel de Basse Terre avait infirmé le jugement en toutes ses dispositions et renvoyé les parties devant le Juge de l’Exécution pour fixation d’une nouvelle date de vente sur réitération des enchères.

C’est ainsi que par jugement du 20 février 2014, le Juge de l’Exécution du Tribunal de Grande Instance de Pointe à Pitre avait ordonnée une nouvelle vente forcée avec une mise à prix de 80 000 euros en prorogeant les effets du commandement de payer valant saisie.

Appel avait été interjeté de cette décision et par arrêt de la Cour d’Appel de Basse Terre du 14 novembre 2014, celle-ci confirmait le jugement du Juge de l’Exécution.

Pour autant, les consorts S ont alors soulevé par conclusions en date du 25 mars 2015 un nouvel incident de péremption du commandement.

En effet, la banque avait prorogé le commandement le 27 février 2014, sur la base d’une décision du 20 février 2014 ordonnant la prorogation des effets du commandement aux fins de publication, mais en raison d’une erreur des services de la publicité foncière, le dépôt n’a été pris en compte que le 6 mars 2014.

En conséquence, le juge de l’orientation n’a pu que constater la péremption du commandement publié le 2 et 26 mars 2010.

Deux thèses s’affrontaient alors, en suite de cette « épopée judiciaire »,

Les consorts S considéraient que l’ensemble de la procédure qui avait été initiée entre le 20 janvier 2010 et le 16 juillet 2015 ne pouvait être interruptif de prescription au motif pris que le Juge de l’Exécution avait constaté la péremption du commandement publié en mars 2010.

A l’inverse, l’établissement bancaire considérait que la prescription ne pouvait nullement acquise en l’état de la prescription d’un commandement de payer.

Pour autant, les débiteurs ne se contentent pas de cette seule argumentation et soulèvent également bon nombre de moyens de droit récurrents en matière de saisie immobilière, et outre la question de la prescription, il soulevaient des questions de validité de la signification du commandement de payer par voie d’huissiers notamment afin de vérifier que la signature était la bonne.

Sont également contestés les éléments relatifs à la validité de l’assignation à comparaitre, des moyens relatifs aux obligations contractuelles de la banque, tout comme la demande d’annulation de la clause de stipulation des intérêts,

Pour autant, la banque se garde bien d’entrer en discussion sur ces différents points et se cantonne à soutenir l’irrecevabilité de l’appel, au visa de l’article R 311-5 du Code des Procédures Civiles d’Exécution qui stipule : « A peine d’irrecevabilité prononcée d’office, aucune contestation ni aucune demande incidente ne peut, sauf dispositions contraires, être formée après l’audience d’orientation prévue à l’article R. 322-15 à moins qu’elle porte sur les actes de procédure postérieurs à celle-ci. Dans ce cas, la contestation ou la demande incidente est formée dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l’acte ».

Dans la mesure où les consorts S ont été régulièrement assignés mais non pas comparus en première instance, la banque considère qu’ils ne sont plus recevables à formuler des contestations de fond ou de forme sur la procédure antérieure à l’audience d’orientation.

Pour autant, les consorts S tentent de s’affranchir de cette cause d’irrecevabilité au motif qu’il appartenait au juge de première instance de vérifier si les conditions des articles L 331-2, L 331-4 et L 331-6 du Code des Procédures Civiles d’Exécution étaient réunies.

Cette argumentation était subtile car elle permettait de pallier l’irrecevabilité d’office, alors même qu’il appartient quand même au juge de vérifier si oui ou non la créance était prescrite.

Faute pour le juge de le faire et de se satisfaire d’un simple commandement de payer valant saisie, la débiteur s’estimait bien fondé à contester le jugement, ce qui fait que c’est l’analyse du juge faite après l’audience d’orientation qui pouvait dès lors être contestée.

Palliant ainsi l’absence d’effet dévolutif de l’appel de la décision du juge de l’orientation…,

Pour autant, cette faculté de contestation de l’absence de vérification du juge de l’orientation est rejetée car la Cour d’Appel de Basse Terre,

La Cour considère que le débiteur n’est pas recevable à formuler pour la première fois devant la Cour d’Appel des moyens de fait ou de droit tendant à contester les poursuites du créancier, car il n’a pas comparu à l’audience d’orientation alors qu’il a été régulièrement assigné.

La Cour d’Appel considère que l’appel n’est pas manifestement abusif mais qu’en tout état de cause, les consorts S sont irrecevables.

Ils sont donc déboutés de l’ensemble de leurs contestations,

Ce raisonnement juridique vient malheureusement clore le débat,

Il ressort surtout de cet arrêt que la Cour d’Appel ne s’intéresse même pas à la question de la prescription et ne tranche pas la difficulté qui aurait pu laisser à penser qu’en l’état des éléments fournis par la banque, la première procédure de saisie immobilière était oui ou non prescrite.

La Cour considère qu’il n’y a même pas matière à répondre à cette question et que dans la mesure où ces arguments sont soulevés pour la première fois en cause d’appel, il y a donc lieu de les déclarer comme étant parfaitement irrecevables.

Cette rigueur juridique interpelle forcément,

Pour quelles raisons, le débiteur ne pourrait il pas évoquer devant la Cour d’Appel des nouveaux moyens de fait et droit dans la mesure où il n’a pu le faire en première instance, alors que dans tous les autres contentieux, l’effet dévolutif permet justement de le faire ?

Cela est contestable,

D’autant plus quant on connaît les calendriers spécifiques en pareille matière,
En effet, sous l’ancien régime du droit de la saisie immobilière, avant la réforme de 2006, les audiences du juge de l’orientation ne pouvaient faire l’objet de renvoi en tant que tel,

Désormais la procédure est plus « souple » sur ce point en première instance,

Pour autant, la procédure devant la Cour d’appel demeure strictement encadrée,

En effet, la procédure devant la Cour d’Appel est faite sur la base d’une assignation à jour fixe, laquelle est très souvent fixée dans des délais courts, sinon dans les deux mois de l’appel.

Dans pareil carcan procédural, il n’y a pas lieu de craindre que l’effet dévolutif de l’appel vienne engluer la saisie immobilière dans une procédure sans fin.

Une telle rigueur est salutaire pour l’établissement bancaire,

En effet, il ne faut pas oublier que l’établissement bancaire, qui semble avoir pressenti la décision de la Cour d’Appel rendu sur la base de l’article R311-5 du Code des Procédures Civiles d’Exécution, et qui semble s’être « irritée » de cette nouvelle tentative de contestation du débiteur, n’a pas hésité à solliciter la vente aux enchères du bien immobilier du débiteur sans attendre la décision de la Cour,

Cela est regrettable car il est bien évident que l’adjudication en tant que telle n’est pas contestable et l’effet translatif de propriété est de toute façon acquis dès le jugement d’adjudication.

Dès lors, dans l’hypothèse où, par extraordinaire, la Cour d’Appel de Basse Terre considérait que la créance était prescrite et que l’établissement bancaire ne pouvait procéder à une saisie immobilière, dans la mesure où le jugement d’adjudication entraine un effet translatif de propriété quasi immédiat au profit de l’acquéreur, la banque ne pourrait pas rendre le bien au débiteur qui dans tous les cas perdrait sa maison.

Le débiteur pourrait s’exprimer seulement sur le terrain indemnitaire en engageant la responsabilité de la banque dans une nouvelle procédure qui viendrait exposer le débiteur à une précarité certaine le temps de la procédure.

Par voie de conséquence, il est regrettable, voire téméraire, que l’établissement bancaire ait cru bon vendre alors même que la Cour d’Appel ne s’était pas encore exprimée.

Ce que n’avait d’ailleurs pas manqué de remarquer Madame la Présidente à l’audience,

En tout état de cause, l’adage suivant lequel rien n’est gagné d’avance est de vigueur en droit de la saisie immobilière,

Le débiteur saisi, doit se défendre, tant dans une première saisie immobilière que dans la deuxième, et ce, à chaque fois, des l’audience d’orientation, sans attendre un appel jugé irrecevable, à tel point que le banquier, guère impressionné, n’hésite même plus à renvoyer la vente et fait adjuger le bien,

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