Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu en juin 2019 et qui vient aborder la problématique de la contestation faite par l’employeur de la saisie sur rémunération à l’encontre de son salarié.

Dans cette affaire, la société P avait fait pratiquer entre les mains de la société R une saisie sur rémunération à l’encontre de Monsieur F, salarié de ladite société R,

Soutenant que la société R n’avait pas exécuté ses obligations conformément aux prescriptions légales, la société P l’a assignée devant le Tribunal d’Instance aux fins de condamnations et de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Il convient de rappeler le régime de la saisie sur rémunération,

L’article L.3252-1 du Code du Travail prévoit que sont saisissables les sommes dues à titre de rémunération à toutes les personnes salariées ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs, quels que soient le montant et la nature de la rémunération, la forme et la nature du contrat.

Selon les articles L.3252-9 et R.3252-24 du Code du Travail, dans les quinze jours de la notification de l’acte de saisie, l’employeur est tenu de faire connaître au greffe la situation de droit existant entre lui-même et le débiteur ainsi que les cessions, saisies, avis à tiers détenteur ou paiement direct de créances alimentaires en cours d’exécution.

Le tiers employeur saisi qui s’abstient sans motif légitime de faire cette déclaration ou fait une déclaration mensongère peut être condamné par le juge au paiement d’une amende civile sans préjudice d’une condamnation à des dommages et intérêts et de l’application des dispositions du deuxième alinéa de l’article L.3252-10 du Code du Travail.

L’article L.3252-10 dispose en effet que le tiers saisi verse mensuellement les retenues pour lesquelles la saisie est opérée dans les limites des sommes disponibles.

A défaut, le juge, même d’office, le déclare débiteur des retenues qui auraient dû être opérées et qu’il détermine, s’il y a lieu, au vu des éléments dont il dispose.

Les articles R.3252-20 et R.3252-27 du même code précisent enfin que le greffier en chef du Tribunal d’Instance veille au bon déroulement des opérations de saisie et que l’employeur adresse tous les mois au greffe une somme égale à la fraction saisissable du salaire.

Il résulte de ces textes que le tiers saisi doit s’en tenir aux instructions du greffe, ne peut se faire juge de la régularité de l’autorisation de saisie et ne peut recevoir aucune demande directe du créancier.

Ceci d’autant plus que le barème des retenues sur le salaire est d’ordre public et aucun texte ne permet au juge ou aux parties de modifier le montant de la quotité saisissable.

Dès lors lorsque le tiers saisi ne verse pas le montant de la quotité saisissable, le greffe lui adresse des lettres de rappel et en cas de déclaration mensongère, une ordonnance est rendue par le juge, d’office ou à la demande du créancier.

Cette ordonnance déclare le tiers saisi personnellement redevable du montant des retenues qu’il aurait dû opérer.

Le montant de la somme est calculé par le juge au vu des éléments dont il dispose, notamment de la déclaration du tiers saisi.

L’ordonnance est notifiée au tiers saisi et à défaut d’opposition dans les quinze jours de la notification, elle devient exécutoire ; l’exécution en est poursuivie à la requête de la partie la plus diligente comme le rappelle l’’article R. 3252-28 du Code du Travail.

La question est de savoir si le créancier peut s’adresser directement à l’employeur et si ce dernier peut émettre quelques contestations que ce soit tant sur le bien fondé de la créance que sur la quotité saisissable à l’encontre de son salarié.

L’employeur peut-il intervenir ou contester la saisie sur rémunération faite à l’encontre de son salarié par son créancier ?

La Cour de Cassation a considéré qu’en aucun cas le créancier ne doit s’adresser directement à l’employeur, lequel doit suivre les instructions données par le greffe du Tribunal d’Instance.

La société P n’avait donc pas à s’adresser à la société R pour lui réclamer des justificatifs de la situation de Monsieur F mais au greffe du Tribunal d’Instance et c’est à ce greffe que l’employeur devait transmettre les documents utiles, obligation qu’au demeurant il apparaît avoir respecté.

La société P devait transmettre ses critiques au greffe du Tribunal d’Instance chargé de veiller au déroulement des opérations de saisie, et ne pouvait agir directement contre l’employeur.

C’est donc à bon droit que le créancier, la société P, est débouté de ses demandes en paiement au titre des retenues qu’elle dit non opérées, ainsi qu’au titre d’une résistance abusive de la société R.

S’il est vrai que la saisie des rémunérations est essentiellement un débat liant employeur et créancier et dans lequel le tiers saisi est étranger, il n’en demeure pas moins qu’elle peut donner à des contestations devant le Tribunal d’Instance.

La société P reprochait à la société R, tiers saisi, de ne pas avoir respecté le paiement de la quotité saisissable en payant au greffe la somme de 4.100 euros, supérieure à cette quotité et qu’il y avait donc matière à engager la responsabilité de l’employeur.

Dans cette hypothèse, il lui appartenait de rapporter la preuve d’une faute de l’employeur dans ses déclarations et dans le montant des retenues opérées.

Il est bien évident qu’il apparait difficile de retenir la responsabilité de l’employeur qui aurait versé une somme supérieure à la quotité saisissable.

Dans cette affaire, la Cour d’Appel avait considéré que la société P devait transmettre ses critiques au greffe du tribunal, chargé de veiller au déroulement de saisie et ne pouvait agir directement contre l’employeur.

Pour autant la Cour de Cassation rappelle que le créancier peut saisir le juge du Tribunal d’Instance, exerçant les pouvoirs du Juge de l’Exécution des difficultés d’exécution de la procédure de saisie des rémunérations en cours et d’une demande de dommages-intérêts pour résistance abusive de l’employeur qu’il allègue sous réserve de procéder à sa caractérisation.

Par ailleurs au visa de l’article 1241 du Code Civil, la Cour d’Appel avait rejeté la demande de dommages-intérêts formulée par la société P en réparation d’un préjudice matériel, faute de preuve d’une faute de l’employeur dans ses déclarations et dans le montant des retenues opérées.

La Cour de Cassation considère qu’en statuant ainsi, sans s’expliquer sur les irrégularités dénoncées par la société P dans le calcul de la quotité saisissable et le montant des sommes prélevées par la société R, dont elle invoquait la mauvaise foi, ni sur les erreurs que celle-ci reconnaissait avoir commises, la Cour d’Appel n’a pas donné de base légale à sa décision

Cela signifie que si le créancier saisissant peut se retourner contre l’employeur, il n’en demeure pas moins qu’il lui appartient de justifier d’une faute et des critères classiques de responsabilité.

En tout état de cause, la mauvaise foi ne se présume pas ni la faute en tant que telle.

Cela permet également à l’employeur d’apporter des précisions non pas tant sur le fond de la créance, mais sur les droits existants entre lui-même et son salarié.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

 

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