
Une déchéance du terme prononcée par la banque et une saisie immobilière enclenchée dans la foulée. Une action en responsabilité contre la banque pour déchéance du terme irrégulière et abusive peut-elle être engagée ? L’emprunteur a-t-il droit à un délai raisonnable pour régulariser sa situation ? Une déchéance du terme abusive réputée non écrite, quelles conséquences pour l’emprunteur ? Est-il possible de remettre en question le fichage bancaire qui plonge encore plus l’emprunteur en difficulté ? Quelle chance de rédemption pour l’emprunteur enfin à même de sauver son domicile ?
Article :
Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’appel de Bordeaux de juillet 2025, et qui vient aborder la problématique de la validité de la déchéance du terme dans le cadre d’une action qui a été initiée par un établissement bancaire contre un de ses débiteurs.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, la banque avait consenti aux consorts R par acte notarié du 29 septembre 2006 deux prêts immobiliers, le premier d’un montant de 163 500.00 € sur 240 mois au taux de 4,1 %, l’autre d’un montant de 16 500.00 € pour une durée de 96 mois à taux 0.
Ces prêts ayant permis de financer l’achat d’un immeuble d’habitation.
Par courrier du 23 septembre 2016, la banque mettait en demeure les emprunteurs de régulariser leur arriéré au titre des prêts et de divers autres concours personnels et professionnels.
La banque a ensuite constaté la déchéance du terme de l’ensemble des créances et demander le paiement de la somme de 102 041.09 € par courrier du 11 octobre 2016.
Une déchéance du terme prononcée par RAR
Par courrier recommandé du 13 février 2018, la banque a notifié la déchéance du terme du prêt immobilier après mise en demeure des emprunteurs notifiée le 01er février 2018 de régler sous huitaine la somme de 6 495.73 €.
Parallèlement, la banque a inscrit les emprunteurs au fichier des incidents de remboursement des crédits des particuliers le 14 octobre 2016 pour le premier crédit et, pour le second crédit, le 05 janvier 2018.
Une saisie immobilière enclenchée par l’établissement bancaire
La banque a ensuite engagé une procédure de saisie immobilière en faisant délivrer aux consorts R un commandement de payer aux fins de saisie immobilière.
Puis, à défaut d’exécution, la banque a alors saisi le Juge de l’exécution du Tribunal judiciaire compétent aux fins de voir ordonner la vente forcée de l’immeuble des emprunteurs, fixer la date de l’audience à laquelle il sera procédé, et fixer le montant de sa créance.
Pour autant, et dans le même laps de temps, suivant acte en date du 09 octobre 2019, les consorts R ont assigné la banque devant le Tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de voir déclarer responsable des divers préjudices, de la voir condamnée à leur verser des dommages et intérêts.
Et, c’est dans ces circonstances que, par jugement du 25 juin 2020, le Juge de l’exécution près le Tribunal judiciaire avait sursis à statuer dans l’attente de l’issue de l’action en responsabilité.
Une action en responsabilité contre la banque pour déchéance du terme irrégulière et abusive ?
C’est dans ces mêmes circonstances que, par jugement en date du 17 novembre 2022, le Tribunal judiciaire de Bordeaux avait déclaré recevable l’action dirigée contre la banque, condamné la banque à payer aux consorts R la somme de 10 000.00 € chacun, déclaré irrecevable la demande subsidiaire en fixation de la créance présentée par la banque et a condamné la banque au paiement de la somme de 1 200.00 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
C’est dans ces circonstances, tout naturellement, que les consorts R ont frappé d’appel cette décision en sollicitant bien sûr la condamnation de la banque à leur verser des dommages et intérêts en indemnisation du préjudice de la double inscription au fichier de la banque de France mais également en demandant à la Cour de constater que la déchéance du terme n’est pas intervenue et, de ce fait, que la somme réclamée par la banque n’est pas due.
À ce jour, la créance ne pouvant être fixée et, par la même, le lecteur attentif l’aura bien compris, il ne peut envisager une saisie immobilière de même concert.
Cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle vient aborder plusieurs problématiques.
Premièrement, la déchéance du terme.
Deuxièmement et surtout, les conditions dans lesquelles la rupture des relations contractuelles a eu lieu.
Enfin et surtout, elle vient aborder la question de la double inscription au fichier des incidents de paiement.
Les conditions dans lesquelles la banque a prononcée la déchéance du terme
Concernant la déchéance du terme, la Cour souligne que les appelants invoquent le caractère fautif de la déchéance du terme prononcée à tort à deux reprises après mise en demeure des 23 septembre 2016 pour le premier crédit et le 01erfévrier 2018 pour le deuxième crédit alors que, à ces dates, il n’existait pas d’échéance impayée compte-tenu du règlement non pris en compte par la banque et, en tout état de cause, que la clause d’exigibilité immédiate en vertu de laquelle la banque a prononcé la déchéance du terme était abusive puisqu’elle prévoit la résiliation unilatérale du contrat sans préavis d’une durée raisonnable.
La banque objectant à hauteur de Cour d’appel que si la Cour devait retenir le caractère abusif de la clause de déchéance du terme sur la base de la jurisprudence de la Cour de cassation du 22 mars 2023 découlant de celle de la Cour de justice de l’Union Européenne estimant abusive toute clause de déchéance du terme qui ne laisse pas au débiteur un délai raisonnable pour régulariser sa situation d’impayés, il ne pourrait cependant être retenu aucune faute contractuelle à l’égard de la banque dans la mesure où, lors de la signature du contrat de prêt, la clause n’était pas considérée comme abusive.
Un délai raisonnable devant être laissé à l’emprunteur pour régulariser sa situation ?
Elle soutient que cette jurisprudence est désormais applicable aux contrats et aux procédures en cours et elle ne saurait engager rétroactivement la responsabilité de la banque dont les actes doivent être appréciés à l’aune du droit existant lors de la passation du contrat et de l’intervention des incidents de paiement.
La Cour s’intéresse à l’acte notarié constatant que le prêt accordé aux intimés par la banque a été établi le 29 septembre 2006 et il est ainsi régi, s’agissant de la définition de clause abusive, par les dispositions de l’article L 132-1 du Code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle de la Loi du 04 août 2008.
Article qui prévoit que, dans les contrats conclus entre professionnel et non-professionnel ou consommateur sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer au détriment du non-professionnel ou consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
La Cour d’appel de Bordeaux appliquant les arrêts de la Cour de justice de l’Union Européenne des 26 janvier 2017 et 08 décembre 2022 relatifs à l’interprétation de l’article 3 paragraphe 1 de la directive 93/13 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.
La Cour de cassation a jugé que la clause qui prévoit la résiliation de plein droit de prêt sans mise en demeure préalable ou après mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement.
Comme le rappelle la jurisprudence par deux arrêts de principe de la Cour de cassation, Première Chambre civile, 22 mars 2023, N°21-16.044 et 21-16.476.
En l’espèce dans cette affaire, concernant le crédit des consorts R, le contrat de prêt à la rubrique défaillance et exigibilité des sommes dues prévoit que :
« Par ailleurs, la totalité des sommes dues en principal intérêts, frais et accessoires au titre des prêts objet de la même offre deviendra de plein droit immédiatement exigible sans qu’il ne soit besoin d’une mise en demeure préalable, aucun autre déblocage de fonds ne pourra être sollicité par l’emprunteur.
Et, d’une manière générale, en cas de non-respect de la règlementation afférente au prêt conventionné, d’inexécution de l’un des engagements contractés par l’emprunteur ou d’inexactitude dans ses déclarations. »
La clause précitée, rédigée en termes très généraux, implique que la banque dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour prononcer la déchéance du terme quel que soit l’ampleur et la nature de la défaillance de l’emprunteur.
Le pouvoir discrétionnaire de la banque pour prononcer la déchéance du terme remis en question ?
En outre, ne prévoyant aucune mise en demeure préalable à la résiliation du contrat, la clause apparait manifestement abusive puisque, de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment de l’emprunteur qui, sans aucun avertissement préalable et sans préavis d’une durée raisonnable, se voit imposer l’exigibilité immédiate de la totalité du prêt selon l’appréciation de la banque.
Le fait que dans le cas soumis à la Cour la banque ait mis en demeure les emprunteurs à deux reprises de régler leur arriéré sous huit jours n’est pas de nature à retirer à la clause litigieuse son caractère abusif dans la mesure où les conditions réelles de mise en œuvre de la clause sont sans effet sur sa validité appréciée in abstracto, d’autant qu’un délai de préavis de huit jours ne parait pas d’une durée raisonnable pour permettre au consommateur de régulariser sa situation.
C’est donc à tort que le premier Juge a estimé que, à supposer abusive la clause litigieuse par les mises en demeure délivrées les 23 septembre 2016 et 01er février 2018, les emprunteurs avaient été mis à même de s’expliquer sur leurs défaillances et de régulariser sous huitaine l’incident de paiement et que la déchéance du terme avait ainsi été régulièrement prononcée.
Une déchéance du terme abusive réputée non écrite, quelles conséquences pour l’emprunteur ?
La Cour d’appel décide dès lors que la clause litigieuse déclarée abusive sera en conséquence réputée non écrite, de sorte que la déchéance du terme prononcée sur la base de cette clause doit être considérée comme invalide, les créanciers étant alors en droit de réclamer que le paiement des échéances échues et impayées, comme le rappelle la jurisprudence, Cour de cassation, Première Chambre civile, 16 juin 2021, N°18-25.320.
Ainsi, la Cour d’appel considère que, en prononçant la déchéance du terme en application d’une clause abusive, la banque a immanquablement commis une faute contractuelle.
La jurisprudence précitée étant applicable aux contrats et procédures en cours sans que la Cour de cassation ait entendu en limiter les effets au contrat postérieur à sa décision.
Ce qui amène la Cour d’appel à s’exprimer sur un deuxième point, à savoir la rupture des relations contractuelles.
Sur la rupture des relations contractuelles
Concernant la rupture des relations contractuelles, les consorts R invoquaient la banque au titre de la rupture brutale de la relation contractuelle faisant valoir que moins d’un mois s’était écoulé entre la mise en demeure du 23 septembre 2016 et les courriers de l’ensemble des recours bancaires adressés le 11 octobre 2016.
La banque n’a formulé aucune observation sur ces griefs en se limitant à faire valoir que les consorts R ne justifient d’aucun préjudice à ce titre.
Pour autant, la Cour prend en considération la production devant sa juridiction des documents relatifs notamment au compte-personnel des consorts R pour reprocher à la banque, à la lecture de l’ensemble des relevés bancaires, qu’il a été mis fin à l’ensemble des comptes des consorts R après les mises en demeure du 23 septembre 2016 par courrier recommandé du 11 octobre 2016 adressé à chacun des intimés, soit en dix-huit jours.
La notion de préavis raisonnable dans le prononcé de la déchéance du terme :
Ce qui ne constitue pas un délai de préavis raisonnable au sens de la jurisprudence applicable jusqu’à l’entrée en vigueur au 01er janvier 2014 de l’article R 313-12 du Code monétaire et financier qui a fixé ce délai à soixante jours.
De sorte que la faute de la banque est aussi établie sur ce point.
Enfin, la Cour d’appel s’intéresse également à la problématique du fichage bancaire.
Sur la double inscription au fichier des incidents de paiement
La Cour rappelle que l’article 4 de l’arrêté du 26 octobre 2010 relatif au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers définis l’incident de paiement objet d’une inscription au fichier comme le défaut de paiement pour lequel la banque prononce la déchéance du terme après mise en demeure.
C’est dans ces circonstances que le premier Juge avait constaté que l’emprunteur avait fait l’objet d’une double inscription temporaire au fichier national les 14 octobre 2016, puis, le 05 janvier 2018, au titre du même concours financier en méconnaissance du principe de nullité des inscriptions pour les incidents au titre du même concours.
Les conséquences désastreuses du fichage bancaire pour l’emprunteur en difficulté
La Cour d’appel confirmant ainsi le jugement de Première Instance qui avait constaté la faute de la banque sur ce point.
La Cour d’appel précisant même que ce point mérite d’autant plus confirmation qu’aux termes du présent arrêt de la déchéance du terme est réputé n’être jamais intervenu et qu’aucune inscription au fichier des incidents de paiement n’aurait ainsi dû être faite.
Cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle vient aborder une fois de plus cette problématique de déchéance du terme, des conditions dans lesquelles celle-ci intervient, de la notion de délai raisonnable, et surtout des conditions dans lesquelles la banque peut, de manière parfaitement abusive et critiquable, prononcer finalement la rupture des relations contractuelles à la fois pour les crédits immobiliers en question mais également à la fois sur l’ensemble des concours bancaires.
Mettant immanquablement l’emprunteur en défaut et ne lui laissant aucune chance pour s’en sortir.
Une chance de rédemption pour l’emprunteur enfin à même de sauver son domicile ?
Fort heureusement, cette jurisprudence vient rééquilibrer ce rapport de force.
Il convient par la suite d’amorcer efficacement et spécifiquement les conditions dans lesquelles l’indemnisation a vocation à se faire pour permettre à l’emprunteur en difficulté d’être le mieux indemnisé possible pour pouvoir reprendre ses engagements, faire face à ses obligations et être indemnisé du véritable préjudice qu’il a subi et de l’ensemble des tourments qu’il a subi pendant plusieurs années.
Il est bien évident que, dans ce même lapse de temps, la saisie immobilière a été interrompue et n’aura plus vocation à être reprise.
Étant d’ailleurs précisé que, entre le moment où la procédure a été initiée et le moment où l’arrêt de la Cour d’appel a été prononcé, il convient quand même de rappeler que la jurisprudence a quand même donné une compétence exclusive du Juge de l’exécution sur ce genre de contentieux, qu’importe la procédure au fond enclenchée à cet effet.
À bon entendeur.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,
Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,




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