Liquidation judiciaire et résiliation du bail commercial, quelle procédure ?

Laurent Latapie avocat banque

En cas de non-paiement des loyers et charges d’un local commercial postérieurs au prononcé de la liquidation judiciaire, le bailleur peut-il obtenir la résiliation du bail commercial et la restitution des clés ? Dans quelles conditions ? Est-il plus avantageux d’aller devant le juge commissaire ou de rester devant le juge des référés ?

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Bail commercial, redressement judiciaire et loyers postérieurs impayés

Quelle procédure peut engager le bailleur d’un bail commercial sous le coup d’un redressement judiciaire alors que les loyers impayés sont postérieurs ? Est-il tenu d’en informer le mandataire judiciaire ? Celui-ci n’engagerait pas sa responsabilité s’il cédait le fonds de commerce en ignorant jusqu’à l’existence de l’acquisition de la clause résolutoire ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour de Cassation en fin d’année 2017 qui vient aborder les facultés du bailleur pour obtenir la résiliation du bail commercial alors que le redressement judiciaire a été prononcé, qu’une période d’observation est en cours, qu’un mandataire judiciaire en charge de la vérification des créances a été désigné et que surtout l’exploitant commercial en redressement judiciaire ne paye plus ses loyers postérieurs.

 

Dans cette affaire, le 6 août 2004, la société B a consenti à la société C un bail commercial sur des locaux lui appartenant.

 

La société C a été mise en redressement judiciaire le 27 avril 2007, Maître Y étant désigné mandataire judiciaire.

 

Or, postérieurement à l’ouverture du redressement judiciaire, le débiteur se retrouve à ne plus payer les loyers du bail commercial,

 

En effet, le locataire n’a pas réglé les loyers dus pour les mois d’avril et de mai 2008, soit postérieurement au redressement judiciaire,

 

Tout d’ailleurs laisse à penser que le non paiement de ces loyers postérieurs est intervenu postérieurement à l’acceptation du plan de redressement puisque la période d’observation maximale pour une entreprise en redressement judiciaire sauf demande de poursuites d’activités exceptionnelle à la seule demande du Procureur de la République est d’un an,

 

C’est dans ces circonstances que la société B, le bailleur, a fait délivrer à sa locataire, le 20 mai 2008, un commandement de payer visant la clause résolutoire insérée au bail commercial,

 

Or, pendant ce temps la, et par jugement en date du 23 mai 2008, la société C, le débiteur, a été mise en liquidation judiciaire, Maître Y étant désigné liquidateur,

 

Fort de la liquidation judiciaire, le mandataire judiciaire envisage et organise la cession du fonds de commerce exploité dans les locaux loués incluant la cession du bail commercial, dite cession autorisée par décision du juge commissaire au profit de la société T.

 

Il importe de préciser que la vente du fonds de commerce est intervenue le 2 octobre 2008.

 

Pour autant le commandement de payer du 20 mai 2008 visant la clause résolutoire avait produit ses effets faute de paiement dans le mois de sa délivrance.

 

Dès lors le bailleur considérait que le bail commercial consenti à la société C, désormais cédé à la société LT était résilié.

 

La société B a alors assigné Maître Y.ès qualité et la société T devant le Tribunal pour que soit constatée la résiliation du bail commercial et que qu’il soit ordonné l’expulsion de tout chef à ce titre.

 

Tout lecteur attentif comprendra bien à ce stade qu’une telle décision de justice serait lourde de conséquences quant à la cession qui a eu lieu,

 

Le liquidateur judiciaire se défend et prétend que l’action en résiliation du bail commercial engagée par la société B était irrecevable, et ce au visa de l’article L. 641-12, alinéa 4 du Code de Commerce,

 

En effet, dans sa rédaction applicable au litige ce texte précise que le bailleur peut demander la résiliation judiciaire ou faire constater la résiliation de plein droit du bail commercial pour des causes antérieures au jugement de liquidation judiciaire ou, lorsque ce dernier a été prononcé après une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, au jugement d’ouverture de la procédure qui l’a précédé et doit, s’il ne l’a déjà fait, introduire sa demande dans les trois mois de la publication du jugement de liquidation judiciaire.

 

Il est original de remarquer que le mandataire liquidateur et le débiteur rappelaient que l’action n’avait pas été engagée dans le délai de trois mois pour la simple et bonne raison que la liquidation judiciaire avait été prononcée le 23 mai 2008, alors que la société bailleresse avait, par actes des 10 et 25 mars 2010, saisi le Tribunal de Grande Instance aux fins de constatation de l’acquisition de la clause résolutoire de telle sorte que cette action n’aurait pas été introduite dans le délai de trois mois et serait donc par là même irrecevable.

 

Pourtant, le calendrier s’impose,

 

Sauf à ce que le mandataire judiciaire confonde la signification du commandement de payer visant le clause résolutoire et l’assignation aux fins de voir constaté l’acquisition de la clause résolutoire,

 

Bien plus, le mandataire liquidateur reprochait au bailleur de ne pas avoir procédé à la notification du commandement de payer au mandataire judiciaire alors que la société n’était qu’en redressement judiciaire.

 

La Cour de Cassation de s’y trompe pas et vient apporter une réponse claire et précise sur ce point puisqu’elle considère que les loyers impayés étaient afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture du redressement judiciaire de la société C, de telle sorte que l’action est résiliation du bail commercial intentée plus de trois mois après le jugement d’ouverture conformément aux dispositions de l’l’article L. 622-14, 2° du code de commerce est recevable.

 

Par voie de conséquence, il n’y a pas lieu de confondre commandement de payer et assignation,

 

Par ailleurs, la Haute juridiction rappelle qu’aucune disposition légale n’impose au bailleur de notifier au mandataire judiciaire un commandement de payer visant des loyers échus après le jugement d’ouverture du redressement judiciaire du preneur,

 

De telle sorte que la Cour constate bien que les loyers impayés étaient afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture du redressement judiciaire de la société C de telle sorte que le commandement de payer signifié à la seule gérante de cette société au cours de la période d’observation produit ses effets.

 

Dès lors, le bailleur créancier de loyers postérieurs est parfaitement en droit de procéder à la signification d’un commandement de payer entre les mains du débiteur sans nécessairement le notifier au mandataire judiciaire (il en aurait été autrement si un administrateur avait été désigné).

 

Bien plus encore, dans la mesure où le bailleur n’est pas obligé de le notifier, il peut donc obtenir la résiliation du bail commercial sans même que le mandataire judiciaire ou commissaire au plan soit avisé.

 

Il appartient au débiteur d’être parfaitement transparent avec son mandataire liquidateur car dans cette affaire, le débiteur a semble-t-il imaginé cacher l’information à ce dernier qui a, dans le cadre de la liquidation judiciaire, vendu le fonds.

 

L’acquisition de la clause résolutoire est lourde de conséquence,

 

En effet, il est bien évident que l’acquéreur risque fort de se retourner en responsabilité contre le mandataire judiciaire qui a cédé un fonds de commerce reposant sur un bail commercial dont la clause résolutoire est acquise.

 

Dès lors, passée l’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, le bailleur peut procéder à la signification d’un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail commercial au titre de paiement de loyers postérieurs sans forcément être tenu de procéder à la notification entre les mains du mandataire judiciaire.

 

S’il est vrai qu’il est toujours de bon aloi de le prévenir, il n’en demeure pas moins que le bailleur n’est pas tenu par ces formalités auprès du mandataire judiciaire,

 

Cela amène également à réfléchir à une autre problématique,

 

Dans l’hypothèse d’un plan de redressement qui serait obtenu et comprenant la désignation d’un commissaire à l’exécution du plan la question serait non pas tant de savoir si le bailleur doit notifier ou signifier entre ses mains le commandement de payer visant la clause résolutoire au titre du non paiement de loyers postérieurs à l’acceptation du plan de redressement judiciaire, mais de savoir si le bailleur serait tenu, lorsqu’il lance une assignation en référé pour demander au Juge de constater l’acquisition de la clause résolutoire de la faire signifier au commissaire à l’exécution du plan dans la mesure ou le fonds de commerce a fait l’objet d’une déclaration d’inaliénabilité.

 

En effet, il convient de rappeler que le bailleur est tenu de faire signifier son assignation à l’ensemble des créanciers inscrits.

 

S’il ne le fait pas à l’encontre du commissaire à l’exécution du plan au motif que ce dernier est le garant de l’inaliénabilité de l’actif visé dans le cadre du plan de redressement, cela serait il un motif d’irrevabilité de son action ?

 

Je ne le pense pas car il est bien évident que la décision suivant laquelle le Tribunal de Commerce prononce l’inaliénabilité du fonds de commerce et la publication n’entrainent pas une obligation du bailleur de signifier l’assignation pour la simple et bonne raison que la déclaration d’inaliénabilité sert surtout à préserver les créanciers afin d’éviter une vente intempestive de l’actif du débiteur qui le ferait dans le dos du commissaire à l’exécution du plan et au détriment des créanciers.

 

A mon sens, cette clause d’inaliénabilité ne peut permettre de préserver l’actif ou d’être un obstacle à la résiliation du bail commercial si les loyers postérieurs ne sont pas réglés.

 

En tout état de cause, la question est de savoir si le commissaire à l’exécution du plan est appelé dans la cause ce dernier pourrait-il empêcher la résiliation du bail alors qu’il n’a vocation qu’à être le garant du paiement des créanciers antérieurs sans avoir de pouvoir légal stricto sensu contre toutes créances postérieures à l’acceptation du plan ?

 

Dès lors, force est de constater que le sort du bail commercial, en présence de loyers postérieurs au redressement impayés, peut être tranché sans que le mandataire judiciaire soit appelé en cause, ce qui doit amener le mandataire judiciaire a procéder à quelques vérifications d’usage sans quoi, il engagerait sa responsabilité, plus particulièrement si ce dernier a eu la bonne idée de vendre le fonds sur la base d’un bail commercial résilié,

 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

 

 

Résiliation du bail commercial et assignation à jour fixe, quel salut ?

Un preneur a bail commercial qui n’a pas payé ses loyers et qui est frappé d’une ordonnance de référé définitive constatant l’acquisition de la clause résolutoire et l’expulsion de ce chef peut-il sauver son bail en payant les loyers et en assignant à jour fixe le bailleur ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour d’Appel d’Aix en Provence en avril 2018 qui vient aborder le sort du locataire commercial alors que le bail commercial a été résilié, le locataire ne payant pas ses loyers et la clause résolutoire ayant été acquise par décision du juge des référés, le locataire ayant fait le choix « malheureux » de ne pas se défendre à cette instance,

 

La question était de savoir quel échappatoire avec le preneur à bail commercial pour sauver son bail alors qu’une ordonnance de référé, désormais définitive, avait prononcé l’acquisition de la clause résolutoire et l’expulsion de plein droit de tout occupant de son chef,

 

Dans cette affaire, le 28 octobre 2013, Monsieur X avait fait l’acquisition d’un fonds de commerce de restaurant et donné à bail commercial pour 9 ans à compter du 1er octobre 2009 par une SCI, ladite SCI propriétaire des murs,

 

En l’état d’impayés de loyers et d’une absence d’exploitation temporaire du locataire, le bailleur fait délivrer, le 14 mars 2016, un commandement visant la clause résolutoire relative aux charges impayées en 2015, à des loyers de févriers et mars 2016 et aux fins d’avoir à justifier de l’attestation d’assurance et de l’exploitation des locaux, ces derniers étant fermés.

 

Par la suite, ce même bailleur apprend en se rendant inopinément sur place, que Monsieur X avait concédé le 1er avril 2016 (ce n’est pas un poisson), et pour deux ans l’exploitation du fonds en location gérance à Monsieur G.

 

Par la suite, le bailleur a assigné Monsieur X, locataire, devant le juge des référés,

 

Pour autant, et pour des raisons qu’on ignore, le locataire n’a pas pu, ou n’a pas cru, se présenter ou se faire représenter,

 

C’est dans ces circonstances que par ordonnance de référé en date du 5 octobre 2016, le Président du Tribunal de Grande Instance de Draguignan a résilié de plein droit le bail commercial, par acquisition de la clause résolutoire le 15 avril 2016, et a ordonné l’expulsion de Monsieur X, nonobstant sa condamnation au paiement d’une somme provisionnelle de 19 925,86 euros.

 

Cette décision a été signifiée et est donc devenue définitive, faute pour Monsieur X d’avoir frappé de recours la décision en litige,

 

Le bail commercial serait il alors perdu pour toujours ?

 

Pas nécessairement…,

 

Monsieur X tente une approche différente afin de sauver son bail commercial,

 

Il s’est fait autorisé, par ordonnance du 16 mars 2017, à assigner à jour fixe le bailleur devant le Tribunal de Grande Instance afin d’obtenir la suspension des effets de la clause résolutoire et des délais de paiement.

 

Cette tentative a échoué en première instance,

 

Par jugement du 1er juin 2017, le Tribunal de Grande Instance a rejeté cette demande de suspension des effets de la clause résolutoire, a constaté l’acquisition de la clause résolutoire du bail commercial à la date du 15 avril 2016, ordonné l’expulsion de Monsieur X et l’a condamné au paiement de la somme de 6 952,36 euros correspondant au solde de l’indemnité d’occupation due au jour de la décision rendue et ce au bénéfice de l’exécution provisoire.

 

Monsieur X a relevé appel de ce jugement.

 

A ce stade, il n’échappera pas au lecteur attentif que dans le cadre de cette procédure à jour fixe de dernière minute, Monsieur X avait pris soin d’accompagner son action salvatrice d’un certain nombre de paiement visant à réduire comme peau de chagrin la créance des loyers dus.

 

Cette démarche, peut-être inopérante sur le terrain juridique demeurait bien pensée sur le terrain économique,

 

Pour autant, le bailleur n’a pas manqué de faire preuve de résistance et a naturellement contesté les prétentions de Monsieur X, au motif pris notamment de ce que la créance de loyers, malgré les efforts conséquents n’était toujours pas soldée,

 

Et que par ailleurs, plusieurs violations au bail commercial ont été constatées.

 

Le bailleur faisait notamment valoir que le commandement de payer était parfaitement régulier ,

 

Bien plus que les infractions constatées étaient toujours d’actualité et notamment que la location gérante était irrégulière, et ce, à double titre,

 

En premier lieu, elle n’était pas autorisée par le bailleur,

 

En deuxième lieu, le locataire gérant n’était toujours pas inscrit au Registre du Commerce et des Sociétés outre que son accord n’a pas requis.

 

En troisième lieu par le locataire gérant, personne physique tel qu’il en résultait du contrat de location gérance litigieux, avait pris soin de se faire substituer par une société finalement crée, alors que ni le bail commercial litigieux, ni le contrat de location gérance ne prévoit de faculté de substitution.

 

En quatrième lieu parce que par dessus tout, le locataire gérant, fut-ce t’il personne physique ou personne morale, avait eu, en sus, l’outrecuidance de procéder à des installations non autorisées par ledit bail commercial,

 

L’ensemble de ses arguments juridiques amenaient le bailleur à penser qu’il obtiendrait, au fond, la confirmation de la décision obtenue au seul stade des référés,

 

Pour autant la Cour ne partage pas cet avis.

 

Dans un premier temps, elle confirme que le commandement de payer est parfaitement valable,

 

Qu’aux termes de ce commandement de payer visant la clause résolutoire, au titre du paiement des loyers de février et mars 2016 ainsi que d’un arriéré de charges de 2015, il était imparti un délai d’un mois à la locataire pour s’acquitter de la somme en principal de 3 991,96 euros.

 

Or, il est dans un premier temps constant qu’aucun règlement n’est intervenu de la part de Monsieur X dans le délai du commandement de payer,

 

Suivant ce raisonnement, la Cour constate que la clause résolutoire est acquise, le jugement étant dès lors confirmé en ce qu’il a constaté la résiliation du bail par l’effet de la clause résolutoire.

 

Pour autant, l’effort fait par Monsieur X sur le terrain économique, pendant le temps de la procédure au fond, fut-ce t’elle à jour fixe, semble être payant,

Puisque Monsieur X a réglé dans le même laps de temps plus de 23 588,810 euros, ce qui a permis de solder l’ensemble des causes du commandement de payer ainsi que les créances ultérieures, générées depuis lors,

 

De telle sorte qu’au jour ou la Cour s’exprime, la dette est quasiment soldée,

 

Au regard de ces éléments, la Cour considère qu’il y a matière à accorder à Monsieur X des délais courant du 15 avril 2016 au 31 mars 2017 (date à laquelle la cause locative du commandement de payer est soldé) pour s’acquitter de sa dette locative et justifier d’une attestation d’assurance,

 

La Cour ordonne alors la suspension des effets de la clause résolutoire pendant le cours des délais accordé.

 

Elle constate qu’à la date du 31 mars 2017, Monsieur X s’est acquitté des causes du commandement du 14 mars 2016 visant la clause résolutoire et a justifié d’une assurance des locaux de telle sorte que la clause résolutoire ne peut plus jouer passé cette date,

 

Dès lors, Monsieur X conserve et sauve son bail commercial,

 

Cependant, se posait toujours la question de la location gérance mise en place in extrémis par Monsieur X qui semblait dans l’impossibilité d’exploiter lui même le local objet du bail commercial,

 

Pour autant, la Cour déboute le bailleur de ses contestations et de ses demandes aux fins de résiliation du bail de ce chef et considère qu’il appartenait au propriétaire de justifier de la poursuite de l’infraction reprochée au locataire au-delà du délai d’un mois imparti par le commandement, poursuite qui ne résulte pas des constatations effectuées le 14 mars et le 15avril 2016 soit dans ce délai et non au-delà.

 

N’ayant pas sollicité le prononcé de la résiliation du bail de ce chef (et pour cause, le bailleur l’ignorait au moment de la signification du commandement de payer), les violations alléguées relatives au contrat de location-gérance, non visées dans le commandement de payer, sont en conséquence sans objet.

 

Cela peut malgré tout sembler contestable car dans la mesure ou le preneur à bail commercial avait assigné à jour fixe devant le Tribunal de Grande instance statuant au fond, et non plus dans le cadre d’une procédure de référé, le bailleur était en droit de solliciter, non plus que soit acquis la clause résolutoire tel que découlant du commandement de payer, la résiliation du bail commercial aux torts du locataire principal,

 

Pour autant, la Cour d’appel ne retient pas cette argumentation et ce, pour deux raisons,

 

En premier lieu, sur le terrain juridique, si le contrat de bail commercial interdisait la cession ou la sous location du bail commercial, rien n’est prévu quant au contrat de location gérance,

 

En deuxième lieu, sur le terrain économique, la Cour semble avoir des « scrupules » à prononcer la résiliation du bail commercial alors même que le preneur à bail, nonobstant les difficultés rencontrées a fait au mieux pour régler la créance de loyers et finir à jour de ses dettes locatives devant la Cour,

 

Cette stratégie du locataire principal, qui a rencontré des difficultés et qui subit les conséquences juridiques d’une ordonnance de référé ou il n’a pu se défendre est judicieuse,

 

En effet, nonobstant le non paiement de loyers et l’obtention d’une ordonnance de référé désormais définitive, l’assignation à jour fixe visant à obtenir la suspension des effets de la clause résolutoire accompagnée d’une demande de délais de paiement s’avère, dans ce cas d’espèce, efficace,

Cette stratégie permet sinon en droit mais plutôt sur un terrain purement économique de démontrer les efforts faits par le locataire pour rattraper une situation qu’il a lui même générée.

 

Cette décision n’est pas satisfaisante sur le terrain juridique.

 

Il convient de rappeler qu’entre l’arrêt rendu par la Cour d’Appel en avril 2018 et les causes du commandement de payer remettant à mars 2016, plus de deux ans se sont écoulé sans que le bailleur soit assuré d’une parfaite exécution de bonne foi du contrat de bail commercial par le locataire.

 

Cependant sur le terrain économique elle l’est parfaitement,

 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

 

Ruine du fonds et faute du liquidateur du locataire gérant,

Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Versailles en mars 2017 qui vient aborder la question spécifique du sort des salariés lorsque le locataire gérant fait l’objet d’une liquidation judiciaire, et que le mandataire liquidateur croit bon transférer lesdits salariés au propriétaire du bail commercial au titre de la solidarité légale, suivant qu’il y ait ou non ruine du fonds,

 

En effet, dès lors que le locataire gérant est en liquidation judiciaire, le mandataire judiciaire a l’obligation de licencier les salariés ce qu’il fait en général dès le prononcé de la liquidation judiciaire, comme la Loi lui impose de le faire,

 

Dans cette affaire, le 2 décembre 2003, le Tribunal de Commerce de Nanterre a arrêté un plan de continuation au profit de deux sociétés pour une durée de 10 ans suite à l’ouverture de procédures collectives intervenues respectivement les 25 mars et 1er avril 2003.

 

Dans ce cadre, la société D avait repris les deux sociétés en redressement judiciaire, en mars 2006.

 

Pour autant en juin 2007, la société D avait procédé à la location gérance de son fonds de commerce d’étalonnage numérique et d’effets spéciaux au profit d’une autre société, la société B,

 

Les contrats de travail des salariés attachés à ces activités, en ce compris le contrat de travail de Monsieur C ont donc été transférés au sein de la société B, en application de l’article L.1224-1 du Code du Travail.

 

Les contrats étaient repris aux mêmes conditions de travail, de rémunération et d’ancienneté mais étaient désormais régis par la convention collective des entreprises techniques au service de la création et événements.

 

Or, par jugement du 1er décembre 2011, le Tribunal de Commerce de Nanterre a prononcé la liquidation judiciaire de la société B, mettant ainsi fin au plan de continuation établi le 2 décembre 2003 et a fixé la date de cessation des paiements au 29 novembre 2011.

 

Ce même jugement de liquidation judiciaire prévoyait cependant le maintien de l’activité pour une durée d’un mois afin d’envisager une cession de l’entreprise.

 

A défaut de solution de reprise, la fermeture définitive de l’établissement est intervenue le 20 décembre 2011.

 

Par courrier du 22 décembre 2011, la société D, propriétaire du fonds, a informé le mandataire liquidateur, qu’elle résiliait, à compter du 31 décembre 2011, la location gérance qu’elle avait consentie à la société.

 

Or, par courrier du 2 janvier 2012, le mandataire liquidateur de la société B, a informé Monsieur C du transfert de son contrat de travail à la société D à compter du 30 décembre 2011.

 

Pour autant, c’était également sans compter les difficultés économiques de la société D qui se retrouvant sans rentes et sans revenus locatifs issus du contrat de location gérance, et qui entend soutenir la ruine du fonds,

 

Ainsi, et par jugement du 12 janvier 2012, le Tribunal de Commerce de Nanterre a prononcé la liquidation judiciaire de la société D sur résolution du plan de redressement établi le 2 décembre 2003 et fixé la date de cessation des paiements au 5 décembre 2011.

 

Il a autorisé la poursuite, pour une durée d’un mois, soit jusqu’au 31 janvier 2012, de l’activité de la société afin d’envisager une cession de l’entreprise.

 

In fine, la cession de l’entreprise a eu lieu et par jugement du 3 février 2012, le Tribunal de Commerce à:

 

  •  ordonné la cession des actifs

 

  • ordonné, conformément aux dispositions de l’article 1224-1 du Code du Travail, le transfert de 12 contrats de travail des salariés rattachés au service de l’étalonnage numérique

 

  • autorisé le licenciement de 11 autres salariés, dont le poste occupé par Monsieur C

 

C est dans ces circonstances que le liquidateur judiciaire, a notifié le 28 février 2012 aux salariés dont Monsieur C leur licenciement pour motif économique.

 

Une grande partie des indemnités ont alors été pris en charge par les AGS.

 

Pour autant, contestant son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits, monsieur C a saisi le Conseil de Prud’hommes, pour voir déclarer illicite le transfert de son contrat de travail de la société B vers la société D, et ce, nonobstant le fait qu’in fine les deux entreprises ont toutes les deux fait l’objet d’une liquidation judiciaire,

 

Dès lors la question posée à la Cour d’Appel était de savoir si oui ou non, le transfert du contrat de travail était valable, ou si inverse il y avait ruine du fonds,

 

Cette validité du transfert du contrat de travail était notamment contesté par la société D, propriétaire du fonds, qui considérait que le mandataire judiciaire avait non seulement manqué à ses obligations mais avait également et surtout provoqué la ruine du fonds.

 

Il convient de rappeler que tout changement d’employeur suppose pour le salarié la rupture du contrat de travail qui le liait au premier employeur et la conclusion d’un contrat distinct avec la nouvelle entreprise.

 

Néanmoins, au terme de l’article L1224-1 du Code du Travail:

 

« Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise. »

 

Pour qu’il y ait transfert des contrats de travail, l’entreprise doit donc passer d’une personne juridique à une autre, peu important la forme de l’opération, l’entreprise devant simplement se poursuivre sous une direction nouvelle et constituer une entité économique autonome.

 

L’entité économique transférée doit conserver son identité et poursuivre son activité, celle-ci se définissant comme un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre.

 

Ces règles s’appliquent également lorsqu’un fonds de commerce fait l’objet d’une location-gérance et lorsque, en fin de location-gérance, le fonds retourne à son propriétaire, quelle que soit le motif de la modification de la situation juridique de l’employeur dès lors que la situation visée correspondait à un transfert d’une entité économique autonome conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise.

 

La règle du transfert des contrats de travail ne porte pas atteinte au droit de licenciement dont dispose le nouvel employeur après la modification, sauf collusion frauduleuse entre les deux employeurs.

 

Ainsi, le propriétaire-bailleur du fonds est tenu de reprendre les contrats de travail alors même qu’il a été lui même mis en redressement judiciaire postérieurement à la mise en location-gérance.

 

Ce qui est d’ailleurs le cas d’espèce puisque dans cette affaire, la société D avait également été placée en liquidation judiciaire,

Sauf en cas de ruine du fonds,

 

Néanmoins, le retour du fonds dans le patrimoine de l’entreprise cédante n’est valable que s’il y a transfert d’une entité économique autonome conservant son identité et si le fonds de commerce était encore exploitable, peu important que cette dernière ait ensuite cessé son activité.

 

Le seul motif de l’existence d’une procédure collective et même le prononcé de la liquidation judiciaire à l’encontre du locataire-gérant ne suffit pas à faire présumer que le bailleur ne peut pas en poursuivre l’exploitation, et il appartient aux salariés qui invoquent l’illégalité du transfert de leur contrat de travail de démontrer qu’il y a eu, à cette date, ruine du fonds,

 

Lorsque l’activité est inexploitable, ou lorsqu’il y a ruine du fonds, lors de la résiliation du contrat de location-gérance, les dispositions de l’article L.1224-1 du Code du Travail ne trouvent pas à s’appliquer et le transfert chez le propriétaire du fonds des contrats de travail des salariés attachés à l’activité en cause ne peut se faire sans leur accord express préalable.

 

Monsieur C estimait que le transfert de son contrat de travail de la société B vers la société D à la suite de la résiliation de la location gérance était illicite au motif qu’il y avait eu ruine du fonds, qu’il n’y avait pas eu de transfert d’une entité économique autonome conservant son identité et dont l’activité aurait été poursuivie chez le repreneur.

 

Il indiquait qu’il n’y a pas eu de reprise, par la société D, de moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l’exploitation.

 

Ce que soutenait d’ailleurs aussi la société D,

 

Dès lors, faute de justifier d’un transfert légal du contrat de travail ou de son accord pour accepter un changement d’employeur, l’application des dispositions de l’article L1224-1 du Code du Travail est illicite.

 

De ce fait, son contrat de travail ne pouvant pas être rompu par la société D mais par la société B, son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et son indemnisation doit être mise à la charge de la société B.

 

Le mandataire judiciaire de la société B quant à lui ne partage pas cet avis et considère que le transfert du contrat de travail avait eu lieu conformément aux dispositions légales.

 

Pour autant l’arrêt mérite une attention particulière quant aux raisons qui auraient empêché le transfert du contrat de travail,

 

Le salarié considérait que le transfert des contrats de travail à la suite de la résiliation d’une location gérance nécessitait le transfert des matériels indispensables à la poursuite de l’activité chez le nouvel employeur,

 

Or, selon lui, tel n’était pas le cas,

 

Les pièces versées aux débats par Monsieur C permettent de constater que, dans le cadre de la procédure de liquidation de la société B, certains matériels attachés à l’activité avaient été mis en vente à la demande du mandataire liquidateur dans le cadre de sa mission de réalisation des actifs, à l’instar de plusieurs machines,

 

Or, la particularité de cette argumentation était de considérer que non seulement il y avait ruine du fonds mais que surtout que celle-ci avait été générée par les diligences propres du mandataire liquidateur dans le cadre des opérations de réalisation des actifs propres à toute liquidation judiciaire.

 

Cette argumentation est retenue par la juridiction du deuxième degré,

 

En effet, la Cour d’Appel de Versailles relève à juste titre que le mandataire liquidateur a participé à la ruine du fonds et c’est en cela que la jurisprudence est intéressante.

 

En effet, non seulement il est clairement acquis que la ruine du fonds est caractérisée mais surtout qu’in fine, c’est le mandataire liquidateur qui en est à l’origine et qui expose par là même sa responsabilité.

 

La Cour retient que si, comme le souligne le mandataire liquidateur, le jugement du tribunal de commerce du 12 janvier 2012 ayant prononcé la liquidation judiciaire de la société D a autorisé la poursuite d’activité jusqu’au 31 janvier 2012, cela ne signifie pas qu’elle ait été réellement poursuivie, les éléments précédemment rappelés démontrant le contraire.

 

D’ailleurs, le jugement rendu le 3 février 2012 par le Tribunal de Commerce de Nanterre, autorisant la cession des actifs de la société D à une société tierce, ne fait pas mention du rachat des matériels spécifiquement liés à l’activité en question, la reprise d’éléments corporels et incorporels pour 90.000,00 euros apparaissant liée à l’activité étalonnage pour laquelle 8 salariés étaient repris.

 

Alors que la proposition de reprise de la société tierce pour l’activité étalonnage mentionne l’existence d’une annexe comportant une liste des actifs repris, établie par un commissaire priseur.

 

Or non seulement le mandataire liquidateur ne verse pas au débat ce document.

 

Mais surtout il ne saurait nier que les moyens corporels et/ou incorporels nécessaires à la poursuite de l’exploitation de l’activité en question, n’ont pas été transférés à la société D.

 

Et pour cause, c’est lui qui, en qualité de mandataire liquidateur de la société B a procédé à la réalisation des actifs mobiliers en saisissant le juge commissaire à cette fin et en faisant désigner un huissier de justice ou un commissaire priseur afin de procéder à la vente aux enchères publiques de l’ensemble des actifs,

 

C’est encore sans compter les diligences propres au mandataire liquidateur consistant à résilier l’ensemble des contrats de location, ce qui freine

 

Cette jurisprudence est intéressante car elle démontre bien que dans la mesure où le mandataire liquidateur procède au transfert des contrats de travail suite à la résiliation d’une location gérance, il importe surtout que le transfert du matériel indispensable à la poursuite de l’activité du nouvel employeur soit effectué.

 

Cette jurisprudence est très claire.

 

Dans la mesure où le mandataire liquidateur a procédé à la vente des actifs, non seulement, le transfert du fonds n’est pas caractérisé clairement mais surtout tout laisse à penser que le fonds est en ruine et ce de par le fait du mandataire liquidateur.

 

Toutefois, une problématique se pose, car s’il y a tout lieu d’imaginer que le transfert du fonds n’a pas été réalisé convenablement ce serait au mandataire liquidateur de prouver qu’il a fourni l’ensemble des actifs et éléments attachés au fonds de commerce,

 

Or, dans le cas d’espèce, il ne fournit aucun inventaire ni aucun justificatif,

 

Dès lors, tout laisserait à penser que la ruine du fonds est caractérisée,

 

Pour autant, c’est au propriétaire du fonds de commerce ruiné de rapporter la preuve de cette ruine.

 

Il est bien évident que cela constitue une véritable difficulté sur le terrain probatoire car si le mandataire judiciaire se refuse à communiquer les éléments de transfert, le bailleur ruiné sera d’autant plus en peine de démontrer que la ruine est caractérisée.

 

Pour autant, immanquablement cette jurisprudence est intéressante et salutaire car elle démontre bien que dans la mesure où le mandataire liquidateur procède au transfert des contrats de travail suite à la résiliation du contrat de location gérance, il importe surtout que le transfert de l’ensemble des éléments corporels et incorporels indispensables à la poursuite de l’activité du bailleur soit correctement effectué sans quoi la ruine du fonds est non seulement caractérisée mais semble incontestablement causée par le mandataire liquidateur.

 

A ce que ce dernier engage sa responsabilité personnelle et professionnelle, il n’y a à mon sens qu’un pas à franchir que le bailleur ou le salarié ne doit pas écarter et que la jurisprudence ne manquera pas de développer.