Dessaisissement du débiteur en cas de reprise de liquidation judiciaire

Qu’en est il du dessaisissement du débiteur en cas de reprise d’une liquidation judiciaire initialement clôturée pour insuffisance d’actif ? Que peux faire la banque en cas d’impayés sur un prêt le temps de la reprise ? le débiteur peut-il opposer ce dessaisissement à l’établissement bancaire ?

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour de Cassation en mars dernier qui vient aborder la problématique des effets d’une reprise de liquidation judiciaire sur le dessaisissement général du débiteur alors que celle-ci avait été initialement clôturée pour insuffisances d’actifs.

L’arrêt est intéressant car il précise que si la reprise de la liquidation judiciaire a un effet rétroactif, cet effet est limité à la saisie et la réalisation des actifs et l’exercice des actions qui ont été omis dans la procédure clôturée,

La reprise de la procédure n’emporte donc pas à nouveau le dessaisissement général du débiteur, qui reste libre de contracter et d’engager des biens qui n’avaient jamais été compris dans la liquidation ;

Ceci est d’autant plus important qu’il n’est pas rare de constater que certaines reprises de liquidation judiciaire interviennent parfois plusieurs années après la clôture de la liquidation judiciaire initiale, alors même que les débiteurs ont refait leur vie,

Ceci est d’autant plus salutaire qu’il n’est pas rare de voir certaines procédures collectives s’inscrire dans la longueur.

Voire de se rouvrir ou de reprendre plusieurs années après au motif d’un actif qui aurait été oublié,

En effet, celles-ci s’accompagnent dans un premier temps de la réalisation des actifs et dans un deuxième temps du désintéressement des créanciers à travers un état de collocation qui vient impacter le débiteur qui se trouve un liquidation judiciaire pendant un certain temps.

Cela empêche le débiteur de contracter, de créer une nouvelle société ou de reprendre une nouvelle activité.

Dans cette affaire Monsieur Y exerçait l’activité de négoce de vins et spiritueux immatriculé au registre du commerce pour cette acticité le 24 février 1986.

Par jugement du 12 juin 1987, Monsieur Y a fait l’objet de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire et par un jugement du 24 juin 1998, le même tribunal a converti la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire.

Dite liquidation judiciaire entrainant le dessaisissement général du débiteur,

Par jugement du 26 janvier 2000 le tribunal de commerce a clôturé les opérations de liquidation judiciaire.

Cependant, par jugement du 7 octobre 2003, la réouverture des opérations de liquidation judiciaire a été ordonnée au motif pris que certains actifs n’avaient pas été réalisés convenablement.

La difficulté rencontrée est que Monsieur Y avait contracté un prêt en 2004, soit le temps de la liquidation judiciaire et s’était trouvé défaillant de telle sorte que la banque l’avait poursuivi en paiement,

La banque avait obtenu sa condamnation au paiement de la somme de 7 733,47 euros dont 7 683,47 euros avec intérêts au taux contractuel de 13,635% à compter du 14 décembre 2011, date de la déchéance du terme, et la somme de 50 euros au taux légal à compter de cette même date ;

Or le débiteur contestait cette condamnation en paiement puisqu’il considérait que le prêt avait été contracté alors même qu’il était encore en liquidation judiciaire et qu’il faisait l’objet d’un dessaisissement,

Il se fondait notamment sur l’article L 641-du Code de Commerce qui précise: « Le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens, même de ceux qu’il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n’est pas clôturée ; les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur. »

La procédure de liquidation judiciaire emporte donc dessaisissement du débiteur, dessaisissement général du débiteur, qui ne peut durant cette procédure contracter de nouveaux emprunts

Le débiteur considérait que le prêt ne pouvait être que nul et que la banque ne pouvait donc pas le poursuivre en paiement, celui-ci faisant l’objet d’un dessaisissement,

La réouverture de la liquidation judiciaire est strictement prévue par les dispositions de l’article 643-13 du Code de Commerce qui précise :

« Si la clôture de la liquidation judiciaire est prononcée pour insuffisance d’actif et qu’il apparaît que des actifs n’ont pas été réalisés ou que des actions dans l’intérêt des créanciers n’ont pas été engagées pendant le cours de la procédure, celle-ci peut être reprise.

Le tribunal est saisi par le liquidateur précédemment désigné, par le ministère public ou par tout créancier intéressé. S’il est saisi par un créancier, ce dernier doit justifier avoir consigné au greffe du tribunal les fonds nécessaires aux frais des opérations. Le montant des frais consignés lui est remboursé par priorité sur les sommes recouvrées à la suite de la reprise de la procédure.

La reprise de la procédure produit ses effets rétroactivement pour tous les actifs du débiteur que le liquidateur aurait dû réaliser avant la clôture de la procédure de liquidation judiciaire ». 

La reprise de la procédure n’emporte donc pas à nouveau dessaisissement général du débiteur, qui reste libre de contracter et d’engager des biens qui n’avaient jamais été compris dans la liquidation

Le dessaisissement n’est pas total et le débiteur de trouve donc libre de contracter au besoin de nouveaux engagements bancaires.

Malheureusement dans le cas d’espèce, le débiteur a rencontré de nouvelles difficultés économiques et s’est trouvé poursuivi par la banque.

Ce dernier a essayé d’opposer le dessaisissement mais cela n’a pas trompé la Cour de Cassation qui précise que si la reprise de la liquidation judiciaire a un effet rétroactif, cet effet est limité à la saisie et la réalisation des actifs et à l’exercice des actions qui ont été omis dans la procédure clôturée.

Cet arrêt est important car la pratique montre bien qu’il n’est pas rare de constater que la reprise de la liquidation judiciaire, amène souvent l’ensemble des partenaires du débiteur, établissement bancaire compris à tirer tous les effets d’une liquidation judiciaire avec un dessaisissement général qui amène le débiteur à subir dans le cadre de cette reprise la clôture des comptes du débiteur et parfois même à subir la déchéance du terme de l’ensemble des prêts.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat à Fréjus, Avocat à Saint Raphael, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

Déchéance du terme non valable et assignation en paiement, quelle efficacité ?

Il convient de s’intéresser à une nouvelle jurisprudence, rendue cet été 2017 et qui vient aborder une nouvelle fois la question spécifique de la déchéance du terme d’un prêt bancaire lorsque l’emprunteur non commerçant est défaillant.

 

Cette jurisprudence rappelle que si le contrat de prêt d’une somme d’argent peut prévoir que la défaillance de l’emprunteur non commerçant entrainera la déchéance du terme, celle-ci ne peut, sauf dispositions expresses et non équivoques, être déclarée acquise au créancier sur la délivrance d’une mise en demeure restée sans effet précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle.

 

Les faits sont les suivants,

 

Le 24 novembre 2007, la banque avait consenti à Madame X un prêt immobilier d’un montant de 277 635 euros, ce qui n’est pas rien, remboursable en 240 mensualités de 1897.92 euros au taux fixe de 4,95 % l’an.

 

Les échéances du prêt étant demeurées impayées, la banque se prévalant de la déchéance du terme à la suite d’une mise en demeure reçue par Madame X le 5 janvier 2010 et demeurée infructueuse, l’avait alors assignée en paiement de la créance.

 

La Cour d’appel considère que pour condamner Madame X à payer à la banque la somme de 298 381.22 euros avec intérêts au taux contractuel de 4,95 % à compter du 3 février 2010 et la capitalisation de ceux-ci,

 

L’arrêt frappé de pourvoi retient que s’il ressort des vérifications d’écritures que la signature figurant sur l’accusé de réception du 5 janvier 2010 n’est manifestement pas celle de Madame X, l’assignation en paiement qui s’en est suivie vaut déchéance du terme.

 

La Haute juridiction ne retient pas cette solution et cette motivation de la juridiction du deuxième degré,

 

Elle rappelle avant tout que l’établissement bancaire ne peut se prévaloir d’une déchéance du terme automatique pour un emprunteur non commerçant,

 

Or, la pratique bancaire démontre que les établissements bancaires ont pour fâcheuse habitude de prévoir une telle déchéance automatique dans des contrats rédigés de manière obscure leur permettant de prononcer la déchéance du terme et d’envisager, dans la foulée, une saisie immobilière du bien dans un délai extrêmement court et sur la seule base d’un ou deux impayés,

Cette déchéance du terme automatique est dangereuse car elle permet à l’établissement bancaire d’entrer dans ses droits de manière quasi automatique et de pouvoir lancer toute procédure de saisie immobilière à cette fin,

 

Elle est d’autant plus dangereuse lorsque l’offre de prêt est réitérée par acte notarié, par acte authentique, lequel acte authentique est revêtu de la force exécutoire, permettant ainsi au créancier, sur la seule base d’une déchéance du terme automatique découlant parfois d’un ou de quelques impayés, d’envisager sans grande difficulté la saisie immobilière de l’emprunteur en difficulté,

 

Pour que la créance soit exigible, elle doit faire l’objet d’une déchéance du terme,

 

Cette déchéance du terme doit répondre aux exigences du contrat de prêt mais doit également répondre aux critères jurisprudentiels qui imposent à l’établissement bancaire de solliciter l’emprunteur afin que celui-ci puisse régulariser les impayés avant de subir la déchéance du terme de l’intégralité du prêt,

 

Or, la pratique démontre que les difficultés rencontrées par l’emprunteur en situation d’indélicatesse financière demeurent conjoncturelles,

 

La préoccupation majeure de l’emprunteur est de faire face à ses obligations financières, nonobstant des difficultés économiques le plus souvent plus conjoncturelles que structurelles,

 

Or, dans pareil cas, avant le prononcé de la déchéance du terme il n’est pas rare de se retrouver face à un établissement bancaire qui se refuse à faire droit à une suspension des échéances du prêt, sauf à grand renfort d’intérêts intercalaires quasi prohibitifs, laissant l’emprunteur seul face à ses difficultés et l’exposant directement à une déchéance du terme,

 

Déchéance du terme prononcée, et nonobstant les efforts très importants de l’emprunteur en difficulté afin de rattraper son retard dans le paiement des échéances impayés, il est encore plus rare de constater que la banque envisage dans ce cas de remettre en place le prêt en litige afin qu’il se poursuive et que la dite déchéance soit purement et simplement annulée,

 

Pour autant, il est important de rappeler au débiteur qu’il n’est pas démuni et peut tout à fait contester cette déchéance du terme.

 

Il peut, en cas d’impayés, naturellement solliciter la suspension judiciaire des échéances en cas de silence ou de résistance de la banque, afin d’obtenir, bien souvent au forceps d’ailleurs, une suspension judiciaire des échéances du prêt,

 

Il peut également contester la déchéance du terme proprement dite lorsque si celle ci était déjà prononcée, en remettant en question son existence et sa validité voire son inopposabilité à son encontre pour amener judiciairement l’établissement bancaire à remettre en place le crédit avec son échéancier,

 

Il est bien évident que si le débiteur vient contester la déchéance du terme et que celle-ci n’est pas conforme, rien n’empêche l’emprunteur pendant cette période de poursuivre les paiements au profit des échéances à remettre en place et de faire constater par la juridiction saisie que l’ensemble des échéances ont été poursuivies de telle sorte que le prêt aurait vocation à se poursuivre naturellement.

 

Dans l’hypothèse où la déchéance du terme ne serait pas valable, il appartient à l’emprunteur, et son conseil, d’en tirer toutes les conséquences en reprenant le paiement d’échéances mensuelles,

 

Si la question de la déchéance du terme est génératrice de nombreuses jurisprudences et doctrines, cette nouvelle jurisprudence apporte une réponse complémentaire lorsque justement ladite déchéance du terme ne serait pas valable,

 

Cette jurisprudence de 2017 rappelle que peut constituer un abus la notification d’une déchéance du terme automatique à un débiteur de bonne foi sans avertissement préalable.

 

Mais surtout, elle précise, en sus que l’établissement bancaire ne peut palier sa déchéance du terme irrégulière en considérant que l’exigibilité de la créance en litige découlerait non plus de ladite déchéance du terme irrégulière mais de l’assignation qui s’en suivrait,

 

Ainsi, la jurisprudence étudiée rappelle que si le contrat d’un prêt d’une somme d’argent peut prévoir que la défaillance de l’emprunteur non commerçant entrainera la déchéance du terme, celle-ci ne peut sauf disposition expresse et non équivoque être déclarée acquise au créancier sans la délivrance d’une mise en demeure restée sans effet précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle.

 

Mais surtout, elle précise, en ce que si la déchéance du terme peut-être remise en question, la banque ne saurait rattraper le « coche » en considérant que celle-ci a procédé à un commandement de payer par huissier ou bien encore en considérant que celle-ci en assignant en paiement vient consacrer l’exigibilité de la créance et donc sa déchéance.

 

Il ne faut pas s’y tromper,

 

Il est bien évident que l’assignation ne saurait entrainer par elle-même la déchéance du terme.

 

Dans la mesure où la déchéance du terme est subordonnée à l’envoi d’une mise en demeure à l’emprunteur par lettre recommandée avec accusé de réception manifestant l’intention de la banque de se prévaloir de l’exigibilité immédiate de la totalité de sa créance, il est bien évident que celle-ci ne peut-être compensée ou remplacée par une assignation ou même par un commandement de payer qui ne répond pas aux dispositions contractuelles du prêt.

 

Dès lors, dans l’hypothèse où l’établissement bancaire aurait manqué à ses obligations ou aurait « raté » la validité de la déchéance du terme, ce dernier ne peut tenter de régulariser la situation en assignant le débiteur ou en faisant signifier un commandement de payer,

 

L’établissement bancaire serait plutôt fondé à revoir la problématique à sa base,

La banque ayant plutôt vocation à procéder à la signification d’une nouvelle déchéance du terme conformément aux dispositions du contrat de prêt dont il se prévaut, sans tenter de créer une validation « a postériori » en signifiant tantôt un commandement de payer, tantôt une assignation en paiement, tantôt une assignation à comparaitre devant le juge de l’orientation aux fins de vente immobilière,

 

Ainsi, si le contrat de prêt d’une somme d’argent peut prévoir que la défaillance de l’emprunteur non commerçant entrainerait la déchéance du terme celle-ci ne peut, sauf dispositions expresses et non équivoques, être déclarée acquise au créancier selon délivrance d’une mise en demeure restée sans effet précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle.

 

De même, l’établissement bancaire ne peut faire découler de l’assignation ou de la procédure qui s’en suivrait une validation a postériori d’une exigibilité erronée,

 

Il appartient à l’emprunteur en difficulté, devenu débiteur fort de cette déchéance du terme particulièrement contestable d’être particulièrement vigilant, et de combattre cette notion d’exigibilité et de déchéance du terme,

 

Cette contestation permettrait à l’emprunteur de reprendre son prêt en cours, de reprendre ses paiements, au besoin sur la base d’un prêt au seul taux légal si le taux effectif global du prêt est également contesté,